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SCÈNES DE VIE EN CORÉE

De Martine Prost

L’Asiathèque, 2011
L’Asiathèque, 2011

Celui qui arpente la Corée, séjour après séjour, qu’il soit voyageur régulier, observateur ou chercheur, sait son temps de séjour compté, à chaque voyage compté. Il  a apprit, presque instinctivement, à exercer son regard, de telle façon qu’il peut, presque immédiatement, saisir le surgissement d’une scène, dans son étrangeté, dans sa singularité. Il la photographie, moins pour garnir un album photo bientôt oublié dans un ordinateur, que pour établir des liens entre ce qui se saisit ici et maintenant et la façon dont il le met en rapport avec sa propre culture. Dans ce rapport, il établit la carte des ressemblances, des dissemblances dans la perspective inavouée d’en dégager la synthèse nécessaire à la formation du jugement.

Dans l’instant du surgissement, le regard entrave la scène dans son entièreté. Il ne la découpe jamais en unités dont les significations pourraient différer selon les parties ; il compacte la scène pour en saisir le sens général immédiat et composer une attitude, variable selon les circonstances. Ces scènes-là existent dans leur beauté à l’état brut, dans le jaillissement cru. Ce n’est qu’après, lorsque la scène lentement s’efface, que la mémoire intervient, stabilise l’image évanescente, pour la reconstruire un jour, plus tard, plus loin. Et dans ce moment de reconstruction du souvenir, le langage devient un allié puissant, le moyen par lequel le sens se construit et reconstruit ce qui vient d’être vu.

C’est le mérite du livre de Martine Prost que de nous proposer ces « Scènes de vie en Corée », saisies sur le vif, que le voyageur aura déjà vu mais qui, peut-être, seront restées inactives, dans un coin de la mémoire, jusqu’à ce que le langage vienne les exhumer, les ranimer, soulever le voile des questions infinies. Figé par la scène en train de se produire, il n’est pas certain que le spectateur ait eu le temps de comprendre, surtout s’il méconnaît la langue du pays, ce qui est en train de se jouer sous ses yeux

Les dix-sept chapitres de ce livre débutent par une saynète, un instantané, fixé, avec brio, tant il faut à la fois observer, analyser, comprendre. Une répétition au ralenti de la scène serait quelquefois bienvenue, quand il faudra, ensuite, les mots pour stabiliser ce qui vient d’être vu, pour en extraire le sens. Martine Prost décrit et analyse quelques scènes typiques de la vie coréenne, souvent à partir d’échanges verbaux et non-verbaux qui s’en dégagent et qui fondent la particularité de ce livre (l’auteure est linguiste) à faire intervenir la langue coréenne, les tournures inédites pour décrire et commenter ce qui se produit sous le regard. Cela donne un livre vivant, aussi vivant que la Corée est vivante. Dans Les pérégrinations coréennes, d’Eric Bidet, le temps long était nécessaire pour comprendre la scène qui agissait sous nos yeux. Avec Scènes de vie en Corée, nous sommes dans le temps court, dans le temps du surgissement. Dans ce qu’il nous faut saisir de l’immédiateté.  Et des scènes, en Corée, il s’en déroule ! dans ce pays au tempérament latin. Surtout si vos préférences vont aux quartiers populaires ou à la compagnie des personnes âgées, quand elles témoignent de cette « pauvre et douce Corée » qui s’efface lentement.

Une longue fréquentation de la Corée, et de sa langue, et l’auteure peut  nous donner à voir une Corée perçue avec justesse, autant qu’avec  finesse par l’analyse qui en ressort, comme ce chapitre consacré aux trottoirs de Séoul. Ou ce chapitre consacré à la langue écrite coréenne permettra au lecteur non averti d’en comprendre les conditions de sa création ou encore le chapitre consacré aux 5000 d’histoire de la Corée et l’hypothèse consacrée au pacifisme coréen, hypothèse hardie qui présente le mérite de tenir à distance la langue de bois et d’ouvrir un débat intéressant ou la pluridisciplinarité des approches ouvrirait sans doute de belles perspectives.

Les lecteurs retrouveront dans ce livre des thèmes familiers, des scènes vécues, parfois incomprises, et auront plaisir à confronter leur analyse à celle de Martine Prost, dans ce  livre, en forme de déclaration d’amour pour le pays.

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