Poésies

la Corée poétique du XVIe siècle

Belle édition que cette Anthologie de la poésie coréenne du XVIe siècle, en ouvrage grand format 21×21, un papier épais et une édition bilingue agrémentée de nombreux commentaires sur les auteurs et les spécificités coréennes du texte pour présenter au lecteur français la diversité et le caractère unique de la poésie coréenne du XVIème siècle ?

Sous Joseon, les nobles ont un accès plus facile et presque réservé à l’éducation. Sans surprise, ils sont donc les principaux écrivains de l’époque. Devenus fonctionnaires ou ministres, certains choisissent le roi comme thème d’écriture. De nombreux poèmes du XVIème siècle chantent ses louanges ou la déception due à son absence, comme les hymnes à la fidélité de Chong Ch’eol. Le souverain tient son pouvoir du ciel, il est garant de la protection du peuple en vertu de la pensée confucéenne. Pour le peuple coréen, plus qu’un roi, c’est avant tout un symbole.

Cependant, la position de celui qui écrit ne pose pas de limite à la variété des sujets laissée libre par l’écriture. Il suffit de trouver les mots. A l’époque où le lyrisme français se développe avec les poètes de la Pléiade, la Corée aussi est en pleine avancée littéraire, sur la lancée du nouvel alphabet datant du siècle précédent. Jusqu’alors limitée aux aristocrates, l’écriture s’ouvre. Fonctionnaires, militaires, courtisanes, tous se rassemblent dans l’écriture poétique. Malgré les différents points de vue teintés de subjectivité, leur vision est la même : celle de leur pays, monarchie régie par le néoconfucianisme, tantôt prônée et admirée, tantôt mal vécue et fuie. Nombreux sont les lettrés à fuir la ville et à chercher refuge à la montagne. Retour aux sources pour une poésie épurée, qui a pour thème principal la nature.

A mes pieds coule une rivière baignée par le clair de lune.

Ce soir d’automne, les grues s’envolent vers le Mont Gaya,

Et se perdent sur le faîte des pins auréolés de nuages.

Il en est ainsi depuis des millénaires :

Pourquoi chercher ailleurs le paradis ?

Yi Dal (P134)

La poésie bouddhique des siècles précédents nous revient à l’esprit. La nature était là au commencement du monde, au commencement de la poésie. C’est le thème d’excellence de celui qui recherche la paix intérieure parmi les hommes. La Corée se lit et se vit au naturel à travers ses paysages, qui ne portent pas encore le poids de la modernisation et des nombreuses transformations de l’homme.

C’est l’occasion de pénétrer dans les profondeurs de la montagne, de laisser tous ses soucis s’écouler au fil de l’eau du ruisseau et de se délecter du chant des oiseaux. Mais, pour autant, pas de vision simpliste de la nature. Plus qu’un paradis terrestre, elle est avant tout un refuge et un modèle vivant dont on peut s’inspirer. Car que faire pour palier le manque de l’être aimé ou la douleur de la désillusion ? Ecriture salvatrice d’un modèle enchanteur, qui continue son cycle saison après saison, sans faiblir.

 

L’organisation précise de la société néo-confucéenne prônée par Yi Yulgok, un des poètes du recueil, n’efface pas pour autant la difficulté de l’homme face au rapport à autrui. Plus qu’un représentant d’une catégorie sociale qui a pour devoir premier de remplir ses fonctions dans la société – respecter son aîné et protéger son cadet – l’homme demeure être de sentiments, qui connaît la joie, mais aussi la tristesse. L’autre est bien souvent source de la solitude face à laquelle l’écriture reste la seule évasion. Pourtant celle-ci non plus n’est pas figée, et il faut bien plus qu’une plume qui trace quelques mots.

L’homme qui compose des chansons

Pour la première fois

Doit avoir beaucoup de soucis.

Il doit réaliser que les mots ne suffisent pas

A calmer ses souffrances.

Si vraiment cela pouvait être,

Combien je chanterais avec enthousiasme !

Sin Heum (P139)

Si la pléiade française se choisit le sonnet comme forme d’excellence, en Corée, Royaume de Joseon à l’époque, c’est le sijo qui est maitre du jeu. Un tercet pour réunir toutes les subtilités de l’écriture poétique. Un tercet pour tout dire.

L’écriture élève et enseigne : c’est ce que nous montre ce recueil.

 

Malgré l’éloignement culturel et temporel, l’émotion ressentie à la lecture de certains vers est réelle. Magie de la poésie qui dépasse le temps et l’espace dans une objectivité universelle. Les poètes de la Pléiade parlent d’amour eux-aussi, de nature, de souffrances qu’ils cherchent à tout prix à dépasser. Plus que du mal du siècle, c’est du mal de l’être humain dont il s’agit. Quand l’homme est en mal d’amour, il pleure, et quand il est en mal de vie, il meurt. Ses poèmes sont des messages de sa situation embarrassante d’être fini dans un monde infini. Et le bouddhisme de rappeler que tout ce qui nait doit mourir.

A la vue des fleurs qui tombent, mes chers oiseaux, ne soyez pas tristes ;

Si elles sont éparpillées par le vent, elles n’y peuvent rien :

A quoi bon regarder le printemps qui s’en va.

Song Sun (P23)

S’il y a un début, il y a une fin, et plus l’on tourne les pages de l’ouvrage tenu précieusement entre nos mains, plus l’on se rapproche de sa fin, mais aussi de sa finalité ; c’est une lecture enrichissante qui ouvre sur l’inconnu : la Corée du XVIème siècle.

 

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