Romans

Regards sur une dictature voilée

Trois jour en automne - de PAK Wan-seo
Trois jour en automne – de PAK Wan-seo – Atelier des Cahiers, 2011

Il serait tout à fait inconcevable de parler du livre sans tout d’abord rendre hommage à l’une des plus grandes romancières contemporaines qu’a connu la Corée. Pak Wan-seo nous a quitté en janvier 2011 à la suite d’un cancer. Elle laisse derrière elle de nombreuses œuvres dont la force réside sur une critique rude et sans état d’âme de la société coréenne moderne. Pak Wan-seo est née en 1931 dans la province de Gyeonggju (Corée du Nord actuelle).

Elle suivit des études de littérature à l’Université National de Séoul et n’eut d’autres choix que de les abandonner lorsque la Guerre de Corée éclata. Bien que sa carrière d’écrivain débuta assez tardivement (sortie de sa première œuvre en 1970), elle reçut de nombreux prix littéraires prestigieux dont le prix Yi Sang pour n’en citer qu’un.

C’est depuis ce jour-là que m’a vie a basculé.

Qui n’a jamais prononcé ces mots en ayant toujours espérer autre chose de la vie. Lorsqu’on se trouve dépourvu de toutes nos armes parce que la destinée s’est octroyé le droit de mettre son grain de sel. Tel est le bilan de la vie du personnage principal de Trois jours en automne.

Sans vouloir faire offense aux traducteurs qui ont fait un travail de grande envergure, la traduction française du titre manque d’impact chez le lecteur. On préfèrera alors le titre anglais Three days in that Autumn, beaucoup plus évocateur et qui lui, nous renvoie instantanément à un automne particulier, celui dont il est question dans le livre. Une subtilité à laquelle le titre français ne peut nous renvoyer.

Trois jours en automne est un court roman où la lecture s’écoule sans résistance grâce au style narratif épuré qui permet de se focaliser sur la complexité et sur les tourments des personnages. On appréciera également chez Pak Wan-seo la bonne idée d’avoir diviser ce court roman en trois petits chapitres : plus que trois jours, plus que deux jours et le dernier jour. Un décompte qui permet au lecteur de partager à la fois la tension, le stress et l’espoir qui anime la vie du personnage principal. Ce dernier, est une gynécologue qui a décidé d’ouvrir une clinique alors que la Corée était toujours en période de guerre.

À l’aube de sa retraite, le personnage principal qui est aussi la narratrice nous raconte sa vie de femme gynécologue tout en critiquant de manière parfois virulente le monde dans lequel elle vit. Des anecdotes racontées avec un humour noir, reflet de l’amertume du personnage.

On débute alors notre lecture :

Il ne reste plus que trois jours.

Pak Wan-seo titille la curiosité du lecteur dès le début puisqu’elle omet volontairement de nous dire la finalité de ces trois jours. On comprend par la suite, que le jeu mis en place par l’auteur est magistralement judicieux puisque quelques lignes plus tard, la narratrice s’arrête sur la description d’un fauteuil en velours qui semble avoir été d’aucune utilité pendant trente ans. Une description imperceptible aux yeux des uns, et plus que troublante chez les autres. Mais pourquoi donc, la narratrice s’attarde t-elle sur un fauteuil apriori inutile ? Quelle est donc la symbolique cachée derrière ce siège ?

Bon gré mal gré, le lecteur part à l’assaut d’une interprétation dissimulée dans le texte. Peut-être que ce fauteuil n’est qu’une représentation matérielle de l’âme tourmentée de la gynécologue. Toutefois, le lecteur dispose du droit et cela de manière légitime à déceler une autre lecture.

La narratrice nous épargne l’énumération sordide d’évènements dans le récit et préfère laisser place à une lecture à double sens où les sentiments de colère et de compassion s’entremêlent. On détecte alors à travers les lignes le cri de détresse lancée par la gynécologue. Un cri puissant et pourtant inaudible aux gens qui l’entouraient. Victime d’un viol, elle s’efforça à continuer à vivre avec pour seule bouffée d’oxygène la haine qui l’habitait. Une haine qui, aussi saloperie qu’elle puisse paraître, fut le moteur de sa carrière. Elle lui permit de guérir des femmes victimes comme elle d’un animal revêtit d’une apparence humaine. Ces mots sont si durs qu’elle arrive même au point d’assimiler le fait de porter un enfant non désiré à une maladie. Une maladie dont elle seule possède le remède :

Quand elles viennent me voir, enceintes d’un enfant non désiré, la plupart arrivent arborant des visages empreints du plus profond désespoir, comme quelqu’un qui souhaiterait tomber foudroyé. Puis quand le fœtus est proprement et complètement éliminé, leurs visages prennent sur le champ un air insouciant et paisible. Ma capacité à éradiquer les racines de leur souffrance sans laisser la moindre trace est proprement miraculeuse. Pour accomplir cela, il faut nourrir en soi une haine viscérale pour cette douleur imposée aux femmes. Je suis celle qui les libère de ce martyre.  p.62-63

La narratrice s’auto-proclame comme le messie de ces malheureuses femmes victimes de la barbarie des hommes. Cependant, elle réalise peut-être un peu trop tard que la guérison physique est moindre face à la douleur psychologique. Toute cette haine et ce plaisir qu’elle a ressenti en éradiquant la maladie dès sa racine ne lui donnait satisfaction que sur l’instant même. Le bilan final est lourd : solitude absolue. Elle qui pensait que sa conscience était cuirassée réalise avec stupeur qu’elle s’était fourvoyée depuis le début. Certes, il ne restait plus la moindre trace physique de cette souffrance, mais qu’en est-il de la douleur imposée à l’âme. Cette âme si éméchée que seul le mépris pouvait satisfaire. Pourtant, la gynécologue plus connue comme une faiseuse d’anges va montrer des signes de faiblesse, lorsque sa réelle conscience se manifestera sans l’accord de son maître. Une conscience qui va finalement l’obliger à ne plus se voiler la face. Et comme par magie, l’espoir renaît de ces cendres, tout comme son rapport avec la vie. Elle a commencé sa carrière en mettant au monde un enfant et espère y mettre un terme de la même façon. Un comportement qui entraine une fissure dans sa tour d’ivoire et qui n’aura nulle autre conséquence que l’éruption des émotions refoulées durant toutes ces années.

Le but de l’auteur dans cet ouvrage n’est pas de susciter la pitié chez le lecteur (triste à dire mais difficile de ne pas prendre en pitié le personnage) mais plutôt de le préparer à vivre dans un monde très éloigné des contes de fées. Elle condamne les sociétés qui imposent un environnement et des normes sociales. La femme en est d’ailleurs l’une des premières victimes. Cependant, à travers les différents personnages, elle tient à nous montrer que pleurer sur son sort et en vouloir à la terre entière ne mène à rien sinon à la solitude.

Sa première patiente qui mit au monde l’enfant de son violeur et qui reconstruit tout de même sa vie, la prostituée qui voue un respect sans limite à sa maquerelle, le propriétaire qui élève son petit-fils comme son fils… Tous ces personnages qui malgré leurs vies misérables, acceptent de (se) donner une seconde chance.

Ce court roman qui regorge de sarcasmes et qui reflète la vision de l’auteur sur la société coréenne moderne -que l’on peut assimiler à toutes les sociétés- est en fait un moyen de nous interroger sur la place que l’on accorde dans nos vies à la dictature voilée que nous impose la société.

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Par Diyebana Sylla

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