Poésies

Anthologie de poésie coréenne

Bien qu’ils prétendent que c’est de la poésie,
Ces souvenirs deviennent des poèmes ou des déchets
En fonction de qui les lit.

Park Je-chun, Jeu d’imagination.

Anthologie de Poésie Coréenne« Plutôt que de désigner des chefs de files profilés pour devenir des figures exotiques pour les littérateurs occidentaux, nous préférons offrir un florilège de la poésie écrite en Corée, expression qui convient mieux à la variété des influences qui la traversent. » peut-on lire dans l’introduction d’Antoine Coppola. Les auteurs présentés ici sont pour la plupart inconnus ou peu connus. Promenade dans l’inconnu donc, à la découverte d’une Corée poétique sur laquelle on vient juste de lever le voile.

Dans les 65 poèmes du recueil, on retrouve bien sûr des thèmes et des écritures dits classiques, l’amour, la tristesse, la sensibilité. Les poètes s’épanchent sur un amour perdu,  comme dans Le Silence de l’Amour d’Han Yong-woon, ou sur la solitude qui manifestement est inhérente à l’être humain, quel que soit son pays d’origine. Lisons ces vers de Song Tae-Ok :

Posant tranquillement leurs racines dans l’eau,
Les fins filaments de la douleur
S’embrassent les uns les autres ;
Pénétrant la solide et calleuse écorce,
Le vert feuillage fleurit en deux feuilles
Tandis que je regarde en silence.

L’homme impuissant face à la nature n’a que le silence pour combler ce qui le dépasse. Ce qui nous est cher n’a pas besoin de paroles, déjà le titre le dit. On peut parler d’un arbre en évoquant la texture de son écorce et la couleur de ses feuilles. Mais quand il s’agit d’aller au-delà et de comprendre son histoire, sa signification et sa vie au sens premier du terme, l’arbre prend une autre dimension et devient inaccessible. Il devient autre, comme un homme. Pour Choi Keum-nyu aussi l’arbre prend vie et dépasse l’homme qu’il symbolise pour ne faire qu’un avec lui. C’est l’histoire de sa promenade au village des arbres, avec Dans le milieu de l’hiver, je vais au village des arbres. Les arbres millénaires, qui enfoncent leurs racines profondément dans le sol, deviennent des moines en méditation, symboles de la vieillesse, et de la sagesse qu’elle apporte. La profondeur de la pensée asiatique se fait sentir, et peut-être qu’un koân reviendra à la mémoire de certains : « L’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? ».

De façon humble et à travers des mots simples, le lyrisme de la tristesse, qui n’est sans rappeler le « han » coréen, reste présent. Un sentiment de solitude et de tristesse presque nostalgique émane des poèmes comme Méditations sur un nuage de Lee Gil-won, Condoléances de Choi Young-kyu ou Une maison sur l’épaule de la solitude de Kim Hyun-joo. Un peu comme si la souffrance était une caractéristique de la vie contre laquelle il est impossible de lutter. Alors il faut écrire, donner des mots au vide, au mal, aux sentiments. Des mots qui viennent du cœur, mais aussi du corps tout entier. Telle est la réflexion que porte Park Je-chun, cité en exergue. Constante recherche d’une échappatoire, l’homme tient bon. Et quand la société et les hommes le déçoivent, il part. C’est alors l’histoire de La rivière Changmoru de Kim Su-mok, qui n’est sans rappeler le célèbre Voyageur de Pak Mok-weol :

Sur le chemin, entre les champs de blé,
De l’autre côté de la rivière,
Comme la lune au milieu des nuages,
Il marche, le voyageur.
Le chemin s’étend sans fin
Et le sud est bien loin.
Dans tous les villages où le vin est fermenté,
Le crépuscule s’enflamme.
Comme la lune au milieu des nuages,
Il marche, le voyageur.

L’errance semble avoir traversé les siècles, tout comme la tradition poétique ancienne qui se retrouve encore dans certains poèmes contemporains.

La poésie présentée dans cette anthologie est jeune majoritairement. Plus de conventions pour la poésie qui est depuis longtemps accessible à tous. Et face à l’insatisfaction quotidienne, la poésie devient une critique. Park Su-jin n’y va pas de main morte. Les citadins, la ville natale et la télévision, et Je suis allée me faire couper les cheveux en disent long sur l’inutilité qui a envahi la société moderne, sur la stupidité du fonctionnement de la mode.

Ouvrant son esprit avec précaution,
Il a remodelé son espace intérieur
A l’image de son village natal.
Perdu, l’acteur de télévision réclamait quelqu’un.

Face à l’hyper-modernisation et l’obsession technologique, l’auteur cherche à rappeler que bien souvent la solution se trouve dans le passé. On sait où l’on va en sachant d’où l’on vient. Et Kang Young-eun de nous parler de bouches de métro, de la jupe de Marylin Monroe et d’Andy Warhol ! Ces quelques vers reflètent une réalité qui peut impressionner les occidentaux : cette constante présence de la tradition et de la modernité, toujours ensembles, toujours mêlées, comme sur l’un de ces fameux clichés de Séoul, où une tour de verre s’élève vers le ciel dans l’arrière-plan d’un temple très ancien. Le passé n’est pas abandonné, il n’est pas laissé derrière, il est au contraire absorbé dans la société nouvelle et en fait partie.

Je photographie un lotus d’épine
Avec un appareil photo numérique
De trois millions de pixels.

Nous dit Eu Su-hwa dans Un capteur bleu se déplace dans mon esprit. La ressemblance est frappante : l’appareil photo numérique, la technologie, la tour ; le lotus, le Bouddha, le temple.

La réalité dépeinte telle quelle frappe et marque. Mais plus intéressantes encore, ce sont les images utilisées par les poètes. Le poète puise son inspiration dans son entourage et tout s’ouvre à la poésie. L’homme n’est plus au centre, le poète n’est plus qu’un intermédiaire. L’important est ailleurs. Pour Kim Dong-ho et son Elégie de la moustiquaire, c’est une mouche, pour Lee Nya-myung, c’est un héron. Pourquoi les hérons ont-ils un corps si léger ?

Un héron à l’air absent,
Avec ses deux pieds trempés dans l’eau.
Ignorant les courants d’eau passant entre ses jambes,
Le héron plonge ses yeux dans l’eau.
Ignorant que l’eau du ruisseau pourrait lui arracher les yeux,
Le héron plonge son long bec dans l’eau du ruisseau.
Ne sachant pas que le courant pourrait lui couper son bec,
Le héron – dépourvu de pattes, d’yeux ou de bec – voltige,
Ses ailes battent de surprise et il monte haut.
S’envolant avec légèreté,
Plongeant son corps en profondeur dans le ciel,
Il enlace le firmament. Le courant est surpris,
Il bat des ailes vers l’azur, puis reprend son cours.

Les fables reviennent en mémoire, mais ici tout est différent. Pas de capacité de parole, pas de morale, du moins, pas explicite. Critique ou exemple à suivre, au lecteur de choisir.

Arbres, animaux, même les objets ne sont pas épargnés par l’appel du poème. Bois de chauffage pour Song Jung-ran, Jarre de céramique bleue avec un garçon et une grappe de raisins pour Kim Chang-hee. Ces objets à qui la poésie insuffle la vie dépaysent et rappellent que le pragmatique peut aussi être un poème. Alors le poème peut aussi être pragmatique ! A la manière parnassienne, le poème est un art, qui se crée dans le temps, fruit d’un travail minutieux auquel se dévoue le poète.

Un tailleur de pierre découpe avec grand soin,
Orne harmonieusement l’ébouriffée et solide masse,
Les marteaux éjectent les bords inutiles
Et découpent les masses laides et protubérantes.
Les racines de la haine chutent sur les genoux,
Et la lie de la douleur est recueillie haute sous le pied.
Il doit ciseler une tournure d’esprit teintée de tristesse
Et rompre tous les bouquets inutiles de la luxure.
Une pièce disgracieuse de l’esprit se détache
Et l’esprit des hauteurs s’arrondit.
Au moment où je parle, la pierre lisse sans excroissance
Ressemble au visage du tailleur de pierre.
De la pierre, le Bouddha émerge.

Dans La statue assise du Bouddha sur la roche, Park Nam-joo attend la dernière ligne pour dévoiler son secret. Vers après vers l’esprit travaille, l’esprit dessine, mais l’esprit ignore. Le plaisir en est prolongé, la magie des mots dévoilée. Un seul vers, un seul mot peut tout faire basculer.

Un recueil qui s’adresse avant tout aux amoureux des mots et des poèmes, aux curieux de ce qui se passe à l’autre bout du monde. Une illustration plus poétique que coréenne, où les notes des traducteurs guident le non initié. A noter également les illustrations de Ho Young-hwa qui ornent le recueil et plongent le lecteur dans une atmosphère  inimitable. Esquisses à l’encre noire qui apparaissent au bas de la page ou tableaux aux couleurs éclatantes, la poésie et la peinture se mélangent pour donner au lecteur une touche d’art coréen. Ouvrons les portes d’un nouvel univers où tout se mélange, où les traits du pinceau et les traits de la plume ne sont qu’un, pour un voyage dans une poésie intemporelle, une poésie infinie, inimitable et inimitée.

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