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La renaissance du cinéma coréen (1950-1960)

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Pour le poète et critique littéraire Lim Wha, le cinéma de l’époque Joseon a d’abord commencé grâce au « concours des différentes cultures voisines ». De fait, à travers son histoire, le cinéma coréen n’a cessé de composer et de fusionner avec d’autres formes artistiques et il est évident qu’il  a toujours entretenu des liens étroits avec la littérature. Les romans classiques traditionnels, les romans populaires, les feuilletons publiés dans les journaux, et la fiction littéraire, véritables garanties artistiques pour les films, ont continuellement été utilisés par l’industrie du cinéma.

Il est généralement admis que le scénario est un élément fondamental pour un film, sans lequel ce dernier ne pourrait tout simplement pas exister. Basiquement constitué de mots, le scénario est lié de manière fondamentale à la littérature. Or, l’adaptation d’un classique littéraire représente une réduction considérable des coûts de production d’un film. Plus que dans d’autres domaines artistiques, la réalisation de films est une aventure onéreuse, et, bien souvent, un roman plébiscité est la garantie d’une sécurité financière pour un film. Son public peut ainsi continuer à l’apprécier sous la forme d’un feuilleton radio, puis lors de son adaptation au cinéma. Cet article sera axé sur les liens qu’ont entretenus cinéma et littérature et comment ils se sont mutuellement influencés dans les années 50 et 60, époque de l’ascension du cinéma coréen et début de son éclatante renaissance.

  • Le roman classique, source du cinéma populaire coréen des années 50

Le 15 Août 1945, à la fin de l’occupation japonaise, les producteurs coréens se sont efforcés de s’affranchir des influences japonaises pour produire des films librement. Mais le début de la guerre de Corée survenu le 25 Juin 1950 a mis un point d’arrêt à leurs efforts. Loin de les décourager, et, ne voulant pas laisser un vide dans l’histoire du cinéma coréen, ils continuèrent à œuvrer  principalement pour l’armée et ses organisations affiliées en produisant des journaux d’actualité et des documentaires.

Bien sûr cela ne signifie pas que les réalisateurs ont arrêté de produire de véritables films pendant ce laps de temps. C’est à l’époque de la guerre de Corée que les futurs chefs de file du cinéma coréen, tels que Shin Sang-ok (1926-2006), Kim Ki-young (1919-1998), et Yu Hyunmok (1925-2009), ont fait leurs premières armes. En cherchant refuge à Daegu, Shin Sang-ok faisait ses débuts dans la réalisation d’une adaptation de la nouvelle de kim Gwang-ju, The Evil Night. Dans cette histoire, une prostituée apporte son aide à un écrivain et le laisse passer la nuit dans sa chambre. L’écrivain est alors choqué par la réalité de la vie des rues, miroir de la société à petite échelle. Les thèmes liés à la critique sociale présents dans l’œuvre  originale sont bien développés dans son adaptation, et ce film est considéré aujourd’hui comme une référence du cinéma réaliste coréen.

Le 27 Juin 1953, le cessez-le feu est déclaré, et, avec le retour à la capitale des appelés, la société coréenne entre rapidement sa phase de reconstruction. A cette date, la Corée était submergée par la vague de modernisation venue d’occident, et dont l’Amérique était le porte-drapeau. Le public était particulièrement fasciné par cette culture américaine et son glamour porté à l’écran par Hollywood, et les mélodrames coréens transposés dans d’élégants cadres citadins devinrent tout aussi populaires.

 Du milieu à la fin des années 50, la source d’inspiration principale des films coréens grand public furent les romans populaires tels que les écrivaient les auteurs Kim Mal-bong, Park Gyeju, Chung Bi-suk, and Kim Lae-sung. Cette liste serait incomplète si on ne citait pas aussi Madame Freedom, le livre largement acclamé de Chung Bi-suk qui fut publié dans The Seoul Shinmun sous forme de feuilleton de janvier 1954 au 6 Août 1954. L’histoire fait état des problèmes sociaux via les termes de « groupes d’entraide contre la misère », « danse de la misère », et de « misère outrancière »… Au moment de sa diffusion, ces écrits étaient vivement critiqués et comparés à « un ennemi national aussi dangereux que cinq cent mille ennemis ». La version portée à l’écran en 1956 par Han Hyung-mo fut certainement le film le plus controversé dans l’histoire du cinéma coréen. Il relate l’histoire de la femme d’un professeur qui se passionne pour la danse et entame une relation extra-conjuguale. Le film, dont l’esthétique sensuelle recrée l’univers sulfureux du roman, n’est pas passé au travers de la censure, et cela même avant sa sortie. Il fut seulement autorisé une fois raccourci des scènes où les acteurs s’embrassaient. Madam Freedom devint finalement le plus grand succès des années 50 dans les salles coréennes.

Le réalisateur Han Hyung-mo n’a pas eu peur de se risquer à des genres différents. Considéré comme étant à la pointe du cinéma populaire coréen des années 50, le réalisateur a embrassé la culture littéraire pour élargir son horizon. En 1957, il a réalisé l’adaptation du roman de Park Gyeju ayant pour sujet l’amour platonique entre deux personnes, The Pure Love, fut réédité plus de 30 fois. Hong Seong-ki, l’un des plus célèbres cinéastes de la fin des années 50 spécialisés dans le mélodrame, a également adapté deux nouvelles de Park Gyeju : The Star in My Heart, en 1958, et Waking or Sleeping, en 1959. Quant au travail de Kim Lae-sung, il fut une grande source d’inspiration pour les réalisateurs de films de genre typiquement coréens, comme on peut le voir dans Lover (1956) et The Starof Lost Paradise (1957), tous deux réalisés par Hong Sung-ki, et dans ce qui est considéré comme le premier film policier coréen, The Devil (1957), réalisé par Han Hyung-mo.

  • Les années 60 et l’explosion du cinéma littéraire

Le cinéma coréen des années 60 débute avec Aimless Bullet (1961), le chef-d’oeuvre de Yu Hyun-mok, toujours tenu pour l’un des meilleurs films coréens toutes époques confondues. Adaptation de la nouvelle de Lee Beom-seon, l’oeuvre a su retraduire la détresse et l’angoisse de la société coréenne d’après-guerre. La même année, Shin Sangok s’imposa encore davantage en tant qu’auteur à part entière en réalisant Mother and a Guest (1961) d’après le récit de Joo Yoseop qui dépeignait habilement les conflits entre les valeurs féodales et les femmes. L’adaptation du roman de Oh Young-soo The Seaside Village par Kim Soo-young est considérée comme le film étant à l’origine de la vague du cinéma littéraire. Les femmes plongeuses et la beauté saisissante des ébats sexuels décrite dans le livre ont été magnifiquement transposées à l’écran par la sensibilité artistique unique du réalisateur.

En 1966, le gouvernement promulgua une loi dans le but de promouvoir et de valoriser les meilleures créations nationales, et instaura le système de quota concernant les films étrangers.  Les oeuvres les plus loués furent les films anti-communistes, les fims éducatifs et les films littéraires. L’abondance de ces derniers de 1966 à 1968 est la conséquence de ces mesures gouvernementales. A l’origine, le terme « film littéraire » était utilisé pour désigner les adaptations des romans reconnus pour leur valeur, mais en raison de ces mêmes mesures, le terme désigna plus largement tout film ayant une portée artistique.

 Parler de la création de cette époque sans évoquer le réalisateur Hyun-mok serait impossible. Sa filmographie comprend The Curse of Kim’s Daughters (1963, d’après le roman de Pak Kyongni), un drame sur une famille déchirée entre tradition chamaniste et modernité, volonté et fatalité; The Guests of the Last Train (1967, tiré de l’oeuvre de Hong Seongwon), qui décrit la souffrance intellectuelle ressentie dans une société qui semble sans avenir; et Descendants of Cain (1968, d’après Hwang Sun-won), ayant pour cadre le monde rural nord-coréen après la libération, film déconcertant à bien des égards et qui amène le spectateur à reconsidérer les notions de bien et de mal. Avec ces films et d’autres de ses oeuvres, Hyun-mok devint l’un des représentants les plus actifs des studios de Chungmuro (équivalent coréen d’Hollywood pour les Etats-Unis).

Kim Soo-young fut aussi l’un des maîtres du film littéraire. Ce réalisateur est célèbre pour sa carrière prolifique, il est l’auteur de 10 films pour la seule année 1967. Son travail remarquable dans Full Ship (tiré de l’oeuvre de Chun Seungsei), Flame in the valley (d’après la pièce de Cha Bumsuk), Mist (d’après Kim Sung-ok), et Sound of Magpies (d’après le roman de Kim Dongni), contribua à consolider sa réputation. Cette production abondante est due en grande partie à sa tendance à travailler à partir de romans. Les coûts de production de Mist, adaptation du roman Journey to Mujin, furent particulièrement bas. L’inspiration que Kim Soo-Young a puisée dans le cinéma moderne européen transparaît ici dans sa tentative d’élaboration d’un nouveau langage cinématographique. Pour les besoins du film, l’auteur Kim Sung-ok remania le scénario et composa également le thème musical. Mist fut le point de départ d’une carrière couronnée de succès. Après ce film, il écrivit de nombreux scénarii pour les studios de Chungmuro, et fit ses débuts derrière la caméra avec Potato (1968), adaptation du livre éponyme de Kim Dong-in. Il remporta de surcroît la 7e édition du prix Daejong dans la catégorie « Meilleur scénario d’adaptation » pour son travail dans The General’s Mustache (1968).

 The General’s Mustache , inspiré du roman de lee O-Young, est l’un des chefs-d’oeuvre du cinéma coréen moderne. Le film évoque les sentiments de solitude et d’isolation de l’homme moderne, et son réalisateur Lee Seong-su, dont le rêve était de créer l’équivalent coréen de la nouvelle-vague, utilisa brillamment les codes du cinéma moderne pour faire passer son message intellectuel. Le parcours de Lee Seong-su inclue When Buckwheat Flowers Blossom (1967, d’après l’oeuvre de Lee Hyo-seok), dont l’atmosphère folklorique coréenne tranche avec les péripéties de trafiquants désoeuvrés, A Plateau (1969, tiré de l’oeuvre de Chung Bi-suk), qui narre les amours maudites de deux personnages sur fond de conflit idéologique, et 7 People in the Cellar (1969, d’après la pièce de Yoon Jo-byung),  histoire d’un homme désespéré face à la volonté d’un ecclésiastique qui lutte pour son salut. Au travers de telles oeuvres, Lee Seung-gu a atteint de nouveaux sommets esthétiques en prenant le parti pris des images sur celui de la narration.

 Au travers de romans déjà plébiscités par le grand public, les réalisateurs ont pu developer et affirmer les différents genres du cinéma coréen, et pour les plus ambitieux sur le plan esthétique, l’adaptation de classiques fut l’occasion de mettre à profit leur talent dans le tournage d’oeuvres d’envergure. Des recherches poursuivies dans les années 50 à l’époque dorée des années 60, la littérature a stimulé aussi bien pour la production de films populaires que celle de films d’art et d’essai, chacun tenant une place particulière dans l’histoire du cinéma coréen. La richesse et la profondeur de ces oeuvres témoignent encore de l’apport considérable des artisans de ces décennies.

* Pour ceux qui seraient intéressés par les adaptations de romans coréens, parmi les films mentionnés par l’article, Madame Freedom, Mother and a Guest, et The Guest of the Last Train sont disponibles en  DVD dans la collection Korean Film Archive Classic Film Collection DVD Series, et sous-titrés en anglais.

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