Romans

Espoir et fatalité, un fragile équilibre

Le bruit du tonnerre de KIM Chuyong
Le bruit du tonnerre
de KIM Chuyong

Dans Le bruit du tonnerre, Kim Chuyong réussit un véritable tour de force en prenant le parti d’articuler son roman non pas autour de l’Histoire et ses héros mais autour de l’histoire d’une femme malmenée par le destin. Alors que la production littéraire est majoritairement tournée sur le récit d’un passé douloureux en interrogeant une communauté de destins, publié en 1986, ce roman est contemporain des mouvements sociaux et des transformations profondes que connaît la Corée à cette période-là. Avec Le bruit du tonnerre, l’auteur propose une manière différente d’aborder cet épisode de l’Histoire où engagement et patriotisme étaient les maitres mots, et semble annoncer la tendance qui se profile à la fin des années 80 dans le monde de la littérature coréenne, à savoir le l’intérêt grandissant pour l’individu.

Tandis que la société coréenne fragilisée par la guerre est en quête d’identité et que l’écriture est devenue une arme pour exprimer son engagement, ce roman de Kim Chuyong nous plonge au cœur de la vie de Killyo, une jeune veuve résolue à retrouver son enfant né d’un viol qu’elle a abandonné à la naissance. Lorsque l’héroïne apprend que sa fille est en fin de compte toujours en vie, elle décide de partir à sa recherche. Nous la suivons dans cette quête presque insensée au fil des événements historiques – la narration débute au moment de la libération en 1945 et s’achève en 1950 lors du débarquement des forces américaines. Dans l’agitation et la confusion qui règne en Corée après la seconde guerre mondiale, un chemin jalonné de mésaventures toutes plus terribles et traumatisantes les unes que les autres attend cette mère à la détermination infaillible.

Outre un style indéniable propice à éveiller l’empathie du lecteur pris dans le feu de l’action, cet ouvrage de Kim Chuyong reflète non seulement son sens du rythme narratif mais aussi sa maîtrise du suspens, habilement dosé au fil des pages. De rebondissements en rebondissements, le lecteur découvre le triste sort que le destin réserve à Killyo. Malgré quelques rares moments de trêve dans cette tragique spirale infernale, le destin semble s’acharner contre elle ; chaque fois que le lecteur pense atteindre l‘acmé de ce drame personnel, les pages suivantes prouvent au contraire que tout est possible, et surtout le pire.

Pour autant la qualité de l’auteur résiderait-elle uniquement dans son « art de bien raconter une histoire » permettant au lecteur de s’immerger au point de parfois avoir l’impression d’être aux côtés de l’héroïne ? Cette vision serait sans doute quelque peu réductrice. En effet, tout un chacun pourra voir en filigrane derrière le personnage de la jeune femme une allégorie de la Corée, successivement envahie et occupée par les chinois et les japonais. Page après page, à travers les errances de Killyo, Kim Chuyong esquisse une réflexion sur l’engagement politique – ou plus exactement dans le cas présent, le non-engagement. L’auteur redonne une dimension humaine à tous les concepts et grandes idées fédératrices conduisant l’individu à agir.

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