Les jumeaux
de LEE Jung-hyoun
Editions FRMK

Voici ce que le lecteur voit, avant même d’engager sa lecture : un visage aberrant, vaguement humain, où la rigueur géométrique a pris le pas sur l’imperfection naturelle des traits. Le titre, enfin, vient parachever cette sensation d’étrangeté : Les jumeaux. Promesse d’un dédoublement, d’une impossible distinction entre deux entités à la fois mêmes et autres.  Et si ce visage, d’où se dégage une forme d’humanité étrangère à notre expérience du réel, n’était que l’incarnation d’une tension inhérente à la gémellarité : le conflit, mais aussi la complémentarité, entre l’altérité et l’identique ; en d’autres termes, l’indifférenciation.

 Le livre est maintenant ouvert, et le lecteur entre de plain-pied dans l’univers des deux protagonistes. Un univers froid, sans couleur et sans parole, sur lequel les jumeaux exercent un pouvoir quasi-démiurgique. Ils déambulent au milieu d’un monde désolant et silencieux, se déplacent en se regardant à peine, dépourvus de tout sentiment. Dans leur demeure, une maison perdue à la lisière d’une forêt, les membres de leur famille gisent sur le sol, telles des marionnettes. Ils ne les voient même pas, tous ces cadavres ne les concernent pas. La mort les accompagne, elle se fait jour et s’empare des lieux qu’ils traversent, des personnes qu’ils rencontrent. Un jeune homme à l’apparence frêle, assez fou pour s’aventurer dans leur repaire, en fera les frais…

 Mais vivre avec un autre soi est un fardeau trop lourd à porter. Comment se forger une identité si autrui n’est plus pensable en termes de différence et d’écart ? L’absence de distance annihile toute possibilité de rapprochement, de communion et de partage. Se sentir dupliqué, savoir que l’autre ne diffère en rien de ce que nous sommes, ne serait-ce que du point de vue physique, conduit inévitablement à s’exclure du monde et de la diversité qui le caractérise. Situation insupportable qui ne se résoudra que par la mort : en offrant sa vie, l’un des jumeaux permet à son double d’accéder pour la première fois à l’unicité, condition nécessaire à l’expérience de l’altérité, à la découverte de l’autre et de soi.

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