Essais

La vague de L’e-book: le calme avant la tempête

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Leader mondial de la technologie de l’information, le réseau numérique sud-coréen et ses infrastructures sont les meilleurs au monde. Pourtant, le marché coréen de l’e-book met plus de temps que prévu à prendre son envol. Seulement 11 personnes sur cent ont lu un e-book l’an dernier, sans mentionner la part dérisoire (1.5%) du marché de l’édition dédiée au numérique. Les éditeurs et les écrivains ont montré beaucoup d’intérêt pour l’e-book mais seuls 14% des éditeurs coréens proposent à leurs lecteurs une version électronique des œuvres.

  • Le fiasco du départ

La Corée du Sud, nation puissante en matière de technologie de l’information, a été l’une des premières à fabriquer des livres numériques. Au début des années 1990, les développeurs coréens ont mis au point des e-books sur CD-ROM, et à la fin des années 1990, ils ont présenté comment les lire sur les ordinateurs. Mais ces e-books n’avaient pas besoin d’être développés d’avantage d’un point de vue informatique et on a tôt fait de les considérer comme des projets expérimentaux issus d’entreprises ambitieuses.

Mais quand les liseuses commencent à faire parler d’elles aux USA au début du millénaire, l’intérêt pour les e-book monte en flèche. Lorsqu’une petite entreprise de la SiliconValley développe une liseuse nommée Rocket E-book, en parallèle à la parution du format numérique de Un tour sur le bolid’de Stephen King, on entend parler des e-books jusqu’en Corée.

Des jeunes entreprises se hâtent de concevoir à leur tour des liseuses, et les éditeurs coréens organisent un colloque pour la création d’une entreprise d’e-books. Mais le produit final n’était pas si impressionnant et les inquiétudes quant à la distribution de produits illégaux en matière de droits copyright freinent les éditeurs dans leur développement du contenu numérique. L’industrie de l’édition coréenne s’essaie au marché de l’e-book sans atteindre de résultats significatifs, et l’e-book ne fait que décliner avec la division entre le marketing et la publicité.

Au début des années 2000, l’e-book continue à se développer au Japon longtemps après que l’engouement des foules a disparu, mais en Corée, personne ne semble voir le futur dans l’e-book. La faillite en 2008 de Booktopia, avant-gardiste de la publication numérique, n’a fait que renforcer le pessimisme déjà présent autour de l’e-book. Même le succès phénoménal de la liseuse Kindle aux USA n’a pas fait changer d’avis les éditeurs coréens.

Alors que le fleurissement du marché de l’e-book aux USA reste indiscutable, le gouvernement coréen propose une campagne de promotion de l’industrie de l’e-book en avril 2010. Des entreprises électroniques comme iRiver et Interpark ne tardent pas à sortir des liseuses d’e-books. Mais les efforts du gouvernement ne reçoivent pas tant d’enthousiasme, l’inquiétude des éditeurs témoins d’un premier échec se faisant sentir.

Néanmoins, avec le succès de l’iPad dans les boutiques coréennes en 2010, les éditeurs changent peu à peu leur regard sur le livre numérique. A l’inverse des liseuses conçues uniquement pour lire, l’iPad se fait rapidement très populaire parmi les consommateurs coréens amateurs de nouvelles technologies. L’AppStore et les iBooks deviennent les premiers maillons de la chaine par laquelle l’e-book pourrait trouver une seconde chance dans le marché coréen. Avec du recul, l’impact de l’iPad sur l’édition coréenne était négligeable, mais il a forcé les éditeurs à faire face à la réalité de l’e-book, à sa position inévitable dans la publication.

  • Les e-books à la hausse

Dès le début de l’année, les éditeurs coréens commencent enfin à voir le potentiel de l’e-book. La tendance a été influencée par plusieurs évènements. Tout d’abord, la baisse du prix des liseuses grand public, qui passent de 200 000-300 000 wons à 100 000 wons, parfois moins. Les ventes ont immédiatement grimpé en flèche. L’ambitieuse liseuse couleur de Kyobo Books a même affiché une baisse de 71% de son prix de vente.

En règle générale, l’augmentation des ventes de liseuses est directement liée au marché fleurissant du contenu des e-books. Le succès d’Amazon avec les e-books aurait été impossible sans une distribution à grande échelle de la liseuse Kindle, bien faite et abordable. Aux USA, lieu de décollage de l’e-book, 20% des lecteurs possèdent déjà une liseuse ou une tablette. Maintenant que la diffusion des liseuses numériques s’est étendue, les experts considèrent que le marché de l’e-book va suivre la même direction.

Deuxièmement, les ventes d’e-books ont remarquablement augmenté sur les sites de Kyobo Books, T-Store et Interpark. Les ventes ont pris de l’ampleur petit à petit avec le développement des smart phones, offrant plus de 7 millions de wons de chiffre d’affaire pour T-Store. Les ventes de Kyobo Books ont augmenté de 78%.

De plus, maintenant qu’il existe un lectorat conséquent sur les smart phones, les enquêtes montrent que le nombre de liseuses augmente aussi. D’après Kyobo Books, sur 16 livres lus par les employés, 2 étaient des e-books. Le Publishing Journal a déclaré que 11% des lecteurs lisaient sous format numérique.

Avec une industrie de l’e-book de plus en plus prometteuse, les éditeurs se sont à nouveau réunis pour développer du contenu ensemble ou en indépendant. De même, le plus grand portail coréen, Naver, a lancé un service d’e-book, et des entreprises de communication tentent à leur tour de se lancer dans le marché. Samsung Electronics, ancien partenaire de Kyobo Books malgré sa réluctance, a sauté sur l’occasion avec le lancement du Samsung Galaxy S3. L’e-book commence à prospérer en Corée.

  • Espoirs et questionnements

En dépit de tous ces changements prometteurs, le futur de l’e-book en Corée n’est pas rose. Le plus grand obstacle est le désaccord entre les clients et les fournisseurs par rapport au prix. D’après les sondages, les clients considèrent que l’e-book devrait couter la moitié ou le tiers du prix de la version papier, le tarif approximatif des e-books vendus sur Amazon.

D’autre part, les e-books coréens sont vendus entre 70 et 80% du prix des versions papier, et comme une loi sur un prix fixe est entrée en vigueur en juillet, ils seront vendus à 10% du prix de la version papier. Cette décision risque de faire reculer les ventes d’e-book pendant un temps, mais seulement, car de plus en plus de livres seront disponibles en format numérique d’abord, pour ensuite être publiés sous format papier. Le système de prix va également évoluer vers une méthode de prix double qui assignera des prix aux e-books indépendamment du prix de la version papier.

Le second problème est celui de l’absence de matériel. Alors que plus d’un million d’e-books sont disponibles sur le site d’Amazon et que deux millions sont du domaine public (et donc disponibles gratuitement), on compte environ 100 000 e-books coréens, la majorité d’entre eux étant d’anciennes publications. Seuls une centaine de ces ouvrages sont dans le domaine public. Il semble aussi qu’il y ait un déséquilibre entre la variété des genres d’ouvrages disponibles sous format numérique. Plus de la moitié des e-books coréens sont des fictions (SF, fantasy, guerre, romans), ce qui montre les limites du marché de l’e-book coréen.

Cependant, l’industrie de l’e-book enregistre toujours des progrès, faibles mais réguliers. D’après Kyobo Books, environ la moitié des livres du top 10 des meilleures ventes du début de l’année étaient également disponibles en e-books. Même si ces observations ont eu lieu pendant les périodes de fêtes de fin d’année, c’est un fait statistique qu’un grand pourcentage de livres des meilleures ventes est disponible en e-book. Le ministère de la culture subventionne les projets de publication d’e-book des livres remarquables et des contenus du domaine public. Cela va permettre de sécuriser le domaine de l’e-book et d’encourager la publication exclusive d’e-books.

De plus, le ministère de l’Education, des Sciences et de la Technologie commence une distribution générale de manuels scolaires sous format numérique en 2013 (les e-manuels devraient peu à peu remplacer les manuels papiers dans le système scolaire en 2015), afin de promouvoir la diffusion des livres numériques. Les manuels et livres scolaires pour les écoles primaires, les collèges et les lycées seront tous disponibles au format numérique, les ouvrage universitaires suivront. Les manhwas coréens à visée éducative et les fictions pour jeunes adultes, déjà reconnus internationalement, vont se développer encore plus avec l’animation numérique. Ces changements vont assurer une génération de lecteur coréen familiarisés avec l’e-book.

Quelle que soit la présentation de l’e-book dans l’industrie de l’édition, le numérique est absolument incapable de remplacer le livre papier. Il faut donc anticiper une opposition marquée entre les genres compatibles avec l’e-book et ceux compatibles avec le papier. La fiction, la littérature pour jeunes adultes, les méthodes de langue, les livres de cuisine ou de pratique, tout comme les manhwas, semblent avoir un futur prometteur dans l’e-book, alors que d’autres genres comme la poésie, les essais et la photographie risquent de perdre de leur valeur en passant au numérique. Puis, il y a les textes savants, peu compatibles avec l’e-book, comme dans les domaines des sciences, de l’ingénierie et  de la médecine. Pour ceux-ci, on préfèrera toujours le papier et l’encre. Outre l’aspect pratique, la sensation de possession, de confort et de toucher perçu lorsqu’on tient un livre dans les mains restera réservé aux livres imprimés.

Pour aider au développement de l’e-book, le développement des contenus doit aller au-delà de la simple numérisation du contenu imprimé et utiliser toutes les possibilités de la technologie pour innover. Amazon a commencé à développer des Kindle Singles, des e-books de 90 pages qui sont des lectures très accessibles ou des livres de poche, qui font pleinement usage de leur format. De même, le contenu multimédia qui ne peut pas être exécuté sur papier représente le futur de l’e-book. En combinant le besoin des lecteurs et les caractéristiques de ce nouveau média, les contenus e-books vont catapulter l’industrie de l’e-book dans le futur.

 

Traduit par Lucie Angheben. Avec l’aimable autorisation du KLTI.

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