Aesthetica

ARIRANG

arirang

Le temps d’ « Arirang » est venu. Ces dernières années, de nombreux évènements en lien avec la chanson emblématique ont vu le jour : festivals, expositions, en passant par des conférences universitaires. L’auteur de l’article a participé à une conférence tenue en juin 2010 par l’Institut de Littérature Coréenne et des Arts de l’Université Sungshil, intitulée « Le présent et le futur d’ « Arirang », des bourses en Corée », et a assisté à un spectacle musical de deux jours intitulé « Arirang, marque numéro un en Corée » et donné dans le cadre du 29ème Festival de Musique Traditionnelle en octobre 2010.

Les évènements liés à «Arirang » augmentent en fréquence et en qualité. En juin 2012, le Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme a organisé le Festival Arirang 2012, proposant divers évènements et spectacles, comme le séminaire universitaire portant sur  « Arirang dans la culture, Arirang dans le monde », ou des interprétations de la chanson mythique par des stars de la k-pop. Ce festival a attiré l’attention du public sur la chanson et a promu le symbole classique de la Corée de par le monde.

On peut aussi citer l’exposition dédiée ouverte en avril 2012 au Musée National du Folklore Coréen. Celle-ci proposait plus de 2000 pièces en rapport avec « Arirang », explorant l’importance de la chanson populaire dans la vie des Coréens. En mai 2012, le centre culturel coréen de Washington D.C. a mis en place des expositions d’art et des spectacles sur le theme d’”Arirang”, dans le cadre de son programme « Soul of Korea 2012 ».

D’où vient « Arirang » ? Beaucoup de Coréens affirment que la chanson provident du film éponyme de 1926. Na Yun-Kyo, le réalisateur, a repris la chanson populaire à sa manière pour l’utiliser dans le générique. Mais, « Arirang » trouve son origine bien plus loin dans l’histoire. Il existe de nombreuses variations régionales, comme la version de Jindo, de Miryang, du Gangwon, de Jeongseon, montrant que la chanson accompagne les Coréens depuis très longtemps.

La chanson populaire « Arirang » a subit plusieurs changements avec le temps. Dans ses mémoires intitulés Maecheonyarok, le loyaliste de Joseon Hwang Hyeon écrit que « l’empereur Gojong et son épouse la reine appréciaient les représentations nocturnes d’ « Arirang » ». Même si les documents ne décrivent pas les représentations en détail, ils montrent bien l’importance de la chanson pour les Coréens, quelle que soit l’époque. En 1896, l’anthropologue américaine Alice Fletcher enregistre lors d’une interview les interprétations d’ « Arirang » par Ahn Jeong-shik et Lee Hui-cheol, étudiants boursiers aux Etats-Unis. Même à la fin de la période de Joseon, « Arirang » était beaucoup chantée.

Son succès n’a pas fléchi pendant la colonisation japonaise, en particulier grâce aux arrangements de Na Yun-kyoo, qui reprend des traits distinctifs de la forme populaire du shinminyo. On dit que c’est la réussite du film qui a permis la grande diffusion de la chanson « Arirang ».

Aujourd’hui, « Arirang Taryeong » est tellement populaire que tout le monde en fredonne l’air, les mamans dans leurs cuisines, les étudiants et les petits enfants. Au point qu’un étudiant a un jour chanté « Arirang » sans s’en apercevoir lors d’une évaluation de musique à l’école, ce qui lui a valu une punition… Il faut reconnaitre que la chanson est beaucoup chantée à Séoul. Le film éponyme de Na Yun-Kyoo a eu beaucoup de succès et c’est normal qu’il ait eu un impact sur la vie quotidienne.

Le succès du film Arirang a rendu la chanson populaire mais l’a aussi transformée. A l’époque, on l’utilisait pour les pièces de théâtre et les spectacles de danse, on l’a même présentée aux Japonais. Comment expliquer cette popularité continue dans le temps ? D’où provient cette longévité incroyable ?

Prononcez le mot “Arirang” et la douceur du “A” et du “R” reste doucement sur votre langue. Chantez « Arirang, Arirang, Arariyo, Arirang gogaero neommeoganda » et la mélodie, à la fois simple et belle, touche le cœur des auditeurs et pousse aux sentiments. Le professeur Keith Howard de l’université de Sydney a participé au colloque international sur « Arirang dans le monde » organisé en 2009 ; il y explique ce qui, selon lui, fascine le public coréen :

« Aujourd’hui, « Arirang » est un symbole, icône de la Corée, partie essentielle de l’identité coréenne, mais on la connait dans le monde entier et elle touche la sensibilité et les émotions universelles de l’être humain. Toutes les versions partagent les mêmes sentiments : la perte de l’être aimé, la perte de la terre et des possessions, le désir de retourner chez soi et l’aspiration à la paix. C’est une chanson qui pince le cœur des Coréens mais aussi des hommes du monde entier. La mélodie peut être jouée par une grande variété d’instruments, elle permet de nombreuses variations et peut même participer d’autres genres musicaux comme le jazz ou la pop. »

Comme l’explique Howard, la simplicité d’ « Arirang » lui permet de parler de tout. La vocaliste de jazz norvégienne Inger Marie, célébrité mondiale, parle du pouvoir de guérison de la chanson : « c’est une chanson qui saisit tous les éléments que se partage l’humanité, comme le désir, le désespoir, la peine, la lutte, la consolation, l’amour et l’espoir, ce qui lui permet de guérir par son universalité. Avec une telle profondeur émotionnelle, « Arirang » peut guérir et toucher les cœurs de tous. » C’est donc la capacité qu’a la chanson de saisir la totalité des choses et de créer une harmonie qui fait sa longévité.

Alors que des interprétations émouvantes de la chanson peuvent mettre les larmes aux yeux des auditeurs, celle du groupe de Yoon Do-Hyun, utilisée pour supporter l’équipe nationale de Corée lors de la coupe du monde de 2002, s’est changée en icône de la passion collective et de l’enthousiasme. La simplicité de la mélodie d’ « Arirang » permet de véhiculer toutes les émotions humaines. La même force a permis à la chanson de se changer en chant de travailleurs, chant populaire et hymne de la résistance sous l’occupation japonaise. On peut dire qu’ « Arirang » a accompagné les Coréens sur tous les chemins.

Avant l’indépendance de la Corée, elle était majoritairement une chanson folklorique, une chanson populaire. Les versions  folkloriques reprenaient la tradition collective alors que d’autres versions populaires étaient produites par des artistes professionnels. Même si certaines versions folkloriques s’accompagnaient d’instruments occidentaux comme des harmonicas, on leur préférait les instruments traditionnels coréens comme le gayageum à cordes ou des instruments à vent. Grâce à ces interprétations populaires, la chanson a préservé sa tradition de représenter les sentiments de toutes les régions.

Contrairement aux versions folkloriques, les versions de musique populaire ont apporté beaucoup de transformations. « Arirang » a été utilisée par divers genres musicaux, comme le trot, le jazz ou la musique dance, et accompagnée par une grande variété d’instruments, tels que la guitare, la flute japonaise shakuhachi, ou les quatuors à cordes. Plusieurs approches ont donné plusieurs versions qui ont gardé le titre ou le refrain : « Arirang Anémone », « Nostalgie Arirang », « Arirang Nangrang » ou « Bar arirang ». Ces versions populaires de la chanson exprimaient les sentiments des Coréens de l’époque et apportaient de la consolation.

Après la libération, « Arirang » a connu un nouveau changement. Les musiciens de l’étranger ont montré un intérêt important pour la chanson qui ont donné des représentations comme celles d’Oscar Pettiford, « Ah-dee-Dong Blues » ; ou les versions éponymes de Pete Seeger, Nat King Cole et Giovanni Mirabassi. En 1999, George Winston sort une chanson intitulée « Arirang ». Cette tendance prend source avec la première version par le groupe de jazz Moulin Rouge en 1932.

Si « Arirang » avait perdu son intégrité et son authenticité à chacune de ses transformations et adaptations, elle ne serait pas aimée comme elle l’est aujourd’hui. On ne peut que s’étonner face au constant succès de la chanson qui garde toute son authenticité tout en créant de savantes harmonies avec tout le reste. C’est pourquoi les Coréens se plaisent à dire qu’elle est inscrite dans leurs gènes. Il est très rare qu’une chanson puisse retranscrire toutes les émotions premières comme la joie et la haine, la tristesse et le bonheur.

« Arirang » ne cesse de se transformer. Les musiciens du monde entier sont touchés par sa mélodie et s’en inspirent, comprenant la Corée et son peuple à travers la musique. Dernièrement, le groupe de Kim Chang-wan a produit une version rock d’ « Arirang » disponible gratuitement pour supporter la délégation coréenne des JO de Londres en 2012.

Le succès populaire de la chanson aurait été impossible si celle-ci avait gardé sa forme originale. « Arirang » n’est pas un fossile du passé : c’est un organisme vivant qui continue d’évoluer. Du folklore à la musique pop, du symbole de la tristesse à celui du fun et de l’enthousiasme, « Arirang » est en constante évolution. Elle sera à nos côtés pour toujours tant qu’elle continuera à se réinventer.

Traduction Lucie Angheben

Avec l’aimable autorisation du KLTI

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