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LE GUT, RITUEL CHAMANIQUE COREEN

gut

Lorsqu’on pense à la Corée d’aujourd’hui, la première image qui vient à l’esprit est celle d’un pays à la pointe de la technologie et de l’innovation, leader économique. Dans ce contexte, nous avons tôt fait de penser que les pratiques chamaniques sont d’un autre âge, des pratiques religieuses anciennes. Mais si l’on en croit les études statistiques récentes et l’observation réelle des rituels chamaniques, il ne fait aucun doute que celui-ci est plus présent que jamais et que la tradition n’est pas morte, bien au contraire. La tradition chamanique compte de plus en plus de pratiquants et de chamanes. Pour les Coréens, le chamanisme reste une réalité culturelle et religieuse. Celle-ci est particulièrement forte en temps de crises personnelles ou familiales.

Le chamanisme coréen a connu une histoire mouvementée. Quand les autres religions sont arrivées de l’étranger, elles ont rapidement dominé la société et le chamanisme a été repoussé dans les périphéries. Surtout pendant les périodes de Goryeo et de Joseon, bouddhisme et chamanisme sont devenues les idéologies premières de la société coréenne. Autrefois  religion dominante, le chamanisme est devenu un culte dédié aux classes les plus basses de la société, majoritairement des femmes.

Le chamanisme coréen se définit par deux éléments clés : les chamanes et leurs rituels. Ce sont eux qui ont permis aux pratiques de survivre aux aléas du temps, depuis la création de la Corée jusqu’à aujourd’hui, malgré les oppositions et persécutions.

Première caractéristique, l’expérience personnelle de la chamane avec les dieux et son rôle de média entre les deux mondes. C’est la chamane qui permet la cohésion de tous les autres éléments des pratiques chamaniques. En Corée, la grande majorité des chamanes sont des femmes. (d’où l’utilisation du féminin, ndt) Parmi tous les noms qui leur sont donnés, le plus commun est celui de mudang. Dans les quelques cas où le chaman est un homme, on parle alors de baksu.

Les mudangs sont traditionnellement divisées en deux catégories selon la façon dont elles ont acquis leur statut : d’un côté celles qui ont été possédées par Dieu, les gangsin mudang, et celles qui ont reçu leur pouvoir de façon héréditaire par leur mère ou leur grand-mère, les seseup mudang.

C’est leur rôle d’intermédiaire entre le monde des esprits et le monde des humains qui est au cœur de l’identité des chamanes. L’union entre les deux mondes se fait par une série de rituels, dont le plus important est appelé gut. Lors de ces cérémonies, la chamane entre dans une transe de délire, accompagnée de danse et de musique, et elle est possédée par les dieux et les esprits. Les chamanes ont également d’autres capacités comme celles de soigner, prédire l’avenir, préserver la culture coréenne traditionnelle et elles sont un genre de  prêtresses.

Le gut est l’autre pilier du chamanisme coréen. Il s’agit du rituel mené par les chamanes pour prendre contact avec l’autre monde et y faire des rencontres selon les besoins de leurs clients. Il existe différents rituels plus ou moins complexes, mais le gut est sans aucun doute le plus important de tous. Pour le réaliser, on présente de l’alcool et des offrandes de nourriture, des fleurs de papier, des bougies et autres décorations censées attirer l’attention des dieux. Les chamanes exécutent des danses typiques avec des instruments traditionnels coréens en accompagnement, des chansons, des prières et des prophéties. C’est un rituel très complexe qui peut durer plusieurs jours. La mudang entre en transe extatique en dansant et en écoutant la musique, pour inviter les dieux et les esprits. Ainsi, elle peut divertir les dieux, intervenir avant les esprits malins qui apportent de la malchance aux humains, envoyer les morts dans l’autre monde, demander aux esprit d’aider les malades ou encore apporter bonheur et prospérité au village ou à la famille qui lui a demandé de l’aide.

On compte quatre genres majeurs de gut : ceux pour appeler la chance pour une personne ou une communauté, jaesu gut ; ceux pour guérir les maladies, byeong gut ou hwanja gut ; ceux dédiés aux défunts, ogu gut ou jinogi gut ; et ceux destinés à montrer les pouvoirs de la chamane, jin gut, ou à son inititation, naerim gut.

Le gut a pour objectif principal de rétablir l’harmonie en créant une unité entre le ciel, la terre et les hommes. Lors des transes, la chamane connecte notre monde avec « l’autre », en mélangeant les expériences contraires de la tristesse et de la joie, de la souffrance et du bien-être, des larmes et du rire. L’une des mudangs les plus célèbres de Corée, Kim Kum-hwa, a été nommée Trésor Humain Vivant et Patrimoine Culturel Immatériel par le gouvernement. Elle a écrit un livre sur ses expériences chamaniques dans lequel elle affirme que « la mudang est capable d’unir ce monde séparé, de guérir les blessure et de recoudre ce qui est déchiré. »

Pour comprendre la signification profonde du chamanisme coréen, il est essentiel de comprendre le message et la structure des guts. Il n’existe aucune doctrine préétablie dans aucun texte; on peut seulement observer les éléments principaux lors des rituels pour les comprendre. Le gut se divise en cinq étapes :

  •           D’abord, il faut purifier le lieu où aura lieu le rituel, afin que celui-ci soit propre et sans aucun danger pour les participants. La chamane utilise de l’eau et de l’encens pour éloigner les esprits malsains et le malheur.
  •           Puis, la chamade invoque les dieux et les esprits, elle les appelle et les invite à venir participer.
  •          Ensuite, l’officiant principal de la cérémonie du gut fait des prières. La chamane danse et chante alors de façon frénétique afin d’entrer en transe, puisque ce n’est qu’une fois possédée par les dieux et les esprits qu’elle peut leur donner la parole. Les danses et la transe établissent la communication avec le monde des esprits. La chamane utilise alors la langue des esprits, gongsu.
  •           Les musiciens et la chamane se mettent à jouer et à danser pour divertir les dieux et les participants. La chamane agit comme un dieu et interagit avec les participants en jouant, montrant du mécontentement, une envie de réconciliation, posant des questions, riant et pleurant. Elle établit une relation directe entre les dieux et les hommes. Un grand banquet sera également donné en leur nom.
  •          Le rite se termine par l’adieu aux morts. Les participants doivent partir. La chamane brûle les décorations de papier et les tissus, et elle met de l’ordre dans les objets utilisés. Avant de clore le gut, on nourrit l’esprit mineur et l’esprit errant et abandonné. A la fin du rite, on laisse toujours de la nourriture pour les esprits errants, le japgwi.

Le gut inclut de nombreux éléments comme la danse, la chanson et la musique, qui sont l’héritage des arts populaires traditionnels. Les chamanes ont aidé à préserver de nombreuses expressions artistiques qui auraient été perdues dans les changements drastiques de la société coréenne. Les mudangs possèdent une très grande créativité artistique. Elles ont réussi à adapter les formes traditionnelles aux besoins de leurs clients et aux changements dans leur entourage. La majorité des rituels chamaniques ont été créés dans un cadre rural et organisés comme des évènements communautaires par les membres d’un village. Maintenant que la campagne coréenne subit un processus de transformation à grande échelle, il n’est plus possible de conserver les formes traditionnelles, à moins d’organiser les choses de façon très précise. Dans leurs cérémonies, les mudangs accordent beaucoup d’importance à l’aspect théâtral et divertissant, que celles-ci soient données dans un but culturel, artistique, spirituel ou religieux.

On a toujours considéré le gut comme un évènement familial, villageois. C’était même une fête pour les femmes de la famille et du village. Pendant des siècles, les guts ont permis aux femmes de s’exprimer plus librement et de se sentir maitres de leurs croyances et de leurs aspirations. Aujourd’hui, il est difficile de prédire quel sera l’avenir du chamanisme dans la Corée moderne, mais il est certain que la tradition n’est pas en danger. Au contraire, celle-ci est en bonne santé et apprend à s’adapter et à se construire une identité propre à la société coréenne moderne.

Traduction Lucie Angheben
Source koreanliteraturenow.com/LTI Korea

3 commentaires

  1. maffre dit :

    super article!! merci beaucoup.cela éclaire un peu plus ma pensée.

    je suis coréenne adoptée et me découvre une connexion avec le chamanisme depuis quelques années.

    ayant été abandonnée à Kangneung/ Gangneung, en fonction de la retranscription, je suis troublée d’apprendre q’il y existe un festival chamanique. je connais si peu de chose sur mon passé par les voies officielles de la Holt.

    j’ai toujours été attirée par les masques et j’en ai d’ailleurs réalisé un en glaise et les totems m’ont tjrs fascinés également.

    je me suis découvert une prédisposition à pouvoir soigner les personnes avec mes mains, en y mettant l’intention… et entrer en communication avec les esprits (vivants et des défunts) enfin un mélange tout à fait complémentaire du rationnel et de l’irrationnel comme dirait Jodowroski…
    je suis très fière de mes racines. à tel point que j’ai créé une association Bonne Roots, dédiée à l’accompagnement au bien-être (je suis infirmière de formation… tjrs ds le soin et finalement pas un hasard).. je donne des conférences sur l’intérêt d’une prise en charge thérapeutique sous l’angle de la médecine occidentale (pathologie) et orientale (énergie)… pour une vision holistique et respectueuse de la personne.
    ma passion. je vais commencer un travail de recherche sur le tambour chamanique. mais je ne dévoile pas trop… en mp si cela intéresse qn.
    c’est un peu une bouteille lancée à la mer, ce message.
    une amie m’a enregistrée jouant du tambour, que j’ai diffusé sur youtube « message of my drum to the Universe »…

    j’espère pour voir échanger avec qn qui serait intéressé… To-mannayo…