Portraits d'Auteurs

LEE Seung-u, un écrivain très aimé des Français

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Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de Littérature 2008, porte un véritable intérêt à la littérature coréenne. Lors de son long séjour en Corée en tant que professeur invité à l’Université Ehwa à Séoul, il a participé à plusieurs lectures en compagnie d’auteurs coréens. À la conférence de presse faisant suite à la cérémonie du Prix Nobel, il a déclaré que « la littérature coréenne méritait un Prix Nobel » et que « des auteurs comme Anatoly A. Kim, Hwang Sok-yong et Lee Seung-u sont des candidats potentiels. » Anatoly A. Kim est un auteur d’origine coréenne et résidant en Russie. Il est reconnu par les experts de la littérature russe. Hwang Sok-yong est sans conteste l’un des auteurs majeurs de la littérature réaliste, tout en étant célèbre pour son activisme politique qui a contribué à la démocratisation de son pays. Nombreux sont les Coréens qui le préssentent pour le prix Nobel, au vu de son grand nombre de publications, dont certaines, comme L’Invité, déjà traduites en anglais, français et allemand, lui offrant une reconnaissance internationale.

Pour Lee Seung-u, la situation est différente. Peu de lecteurs coréens le connaissent bien, excepté les critiques, les journalistes et les éditeurs. Suite à son début de carrière littéraire en 1981, il a pourtant remporté de nombreux prix littéraires prestigieux, comme le prix Daesan, le prix Dongsuh, le prix de Littérature contemporaine et le prix Hwang Sun-won. Malgré les faveurs des critiques, les romans de Lee Seung-U n’ont jamais franchi le cap des best-sellers en Corée. On les considère comme de la littérature érudite, à laquelle seule une élite restreinte mais fidèle s’intéresse.

Ce qui est remarquable par rapport à notre auteur, c’est qu’il est beaucoup plus célèbre en France qu’en Corée. Ses premiers romans publiés en français, L’Envers de la vie et La Vie rêvée des plantes, tous deux chez Zulma, ont reçu des éloges de la critique. L’Envers de la vie était en lice pour le Prix Fémina 2000 et La Vie rêvée des plantes est publié en éditions Folio, avec les recommandations des libraires. Dans le Figaro Littéraire, Agnès Séverin écrit que le roman de Lee Seung-u est doté d’« un imaginaire riche et capiteux qui rend à l’amour sa dimension mythique. »

L’Envers de la vie se déroule à travers le regard d’un narrateur à la première personne, un écrivain qui prépare la biographie du romancier Pak Gilbu. Le roman propose de lire un roman à l’intérieur d’un roman, tout en questionnant en profondeur la question du sens de l’écriture. Sous de multiples aspects, le roman s’inspire des expériences personnelles de l’auteur. À travers une histoire élégamment racontée, La Vie rêvée des plantes décrit la vie de ceux qui vivent dans l’échec amoureux, dans un monde qui suit la loi de la jungle. Le Clézio a émis la suggestion qu’un réalisateur coréen en fasse un film.

Diplômé de théologie à l’université, Lee Seung-u réagit ainsi à sa popularité française : « Je crois que ce que les gens aiment en France, c’est le point de vue chrétien sur les choses, l’intérêt porté à l’individu et à son monde intérieur, tout comme les phrases restent sobres en émotions. » Pour expliquer la relation entre la religion et la littérature, il affirme que : « si la religion est le squelette de l’esprit humain, alors la littérature est sa chair. »

J’ai rencontré Lee Seung-u dans un café à Hongdae, quartier de Séoul favori de la culture jeune. À l’époque, les journaux parlaient du livre Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? de Stephen Hawking, ouvrage dans lequel le physicien anglais nie l’existence divine et clame que l’univers est né du vide. J’ai demandé à Lee Seung-u, spécialiste de théologie, son idée sur la question. Sans surprise, il a insisté sur l’existence d’un être surnaturel : « Nous ne pouvons qu’accepter la réalité d’une présence et d’un pouvoir innommables. Les trous noirs et le Big Bang dont parle la science sont des produits de l’imagination. Ils ne sont pas des seuls faits scientifiques. Les hommes feraient bien de redevenir humbles. Ils devraient rester ouverts quant à l’infinité de possibilités de formation de l’univers. »

Lee Seung-u a rapidement été classé dans la catégorie des écrivains du religieux et de l’abstrait. Les critiques le considèrent donc sérieux et contemplatif. Dans l’histoire du roman coréen, le christianisme représente la modernité. Porteur de la civilisation occidentale, il a renversé la vision du monde, des classes et de la société coréenne. C’est pourquoi de nombreux écrivains du passé ont traité du conflit entre christianisme et chamanisme dans leurs œuvres. Mais Lee Seung-u reste en retrait de la grammaire des romans religieux traditionnels coréens, tout en se plongeant dans le christianisme, qu’il découvre dès l’enfance. Il explique qu’« il n’y a pas de conflit en moi entre christianisme et chamanisme. Le chamanisme coréen est une religion séculaire par laquelle le peuple s’applique à éloigner les mauvais esprits et recevoir de la chance. Rien à voir avec la métaphysique occidentale. Depuis ma jeunesse, j’ai accepté le christianisme tout naturellement. Je me sentais mal à l’aise dans les temples bouddhistes mais très proches des sentiments chrétiens. Je me suis donc familiarisé avec eux, et ils sont très présents dans la littérature occidentale. C’est par ce biais que j’ai découvert le christianisme. Peut-être que je manque d’une certaine part de coréanité, tout en étant un écrivain coréen. »

Parmi les œuvres de Lee Seung-u, ce sont majoritairement les romans qui ont été traduits en anglais et en français, bien qu’il ait écrit de nombreux recueils de nouvelles. Les nouvelles publiées dans des revues littéraires ont une place prépondérante dans le monde littéraire coréen. Lee Seung-U enseigne l’écriture créative à l’Université Chosun. Il y explique que « La nouvelle coréenne est tellement unique en son genre qu’elle n’est pas juste une nouvelle. Pour les Coréens, les nouvelles occidentales ressemblent plus à des anecdotes. En Corée, les nouvelles proposent plusieurs personnages et plusieurs épisodes, à la manière des romans occidentaux, ce qui donne un contenu final proche de celui du roman. Les écrivains coréens ont l’habitude de condenser le contenu d’un roman en en faisant une nouvelle. Lorsque nous devons présenter les nouvelles coréennes à l’étranger, il faudrait commencer par présenter trois histoires d’un même auteur sur un même sujet. »

On dit que les romans de Lee Seung-u ont changé avec le temps, passant d’une narration abstraite à des éléments descriptifs de la vie quotidienne. Les personnages se font aussi moins décharner. « Au début, je voulais ajouter une histoire à une idée, alors que maintenant, je me concentre plus sur l’histoire que sur la métaphysique. Plutôt que de transmettre un message, je préfère chercher à comprendre la mentalité d’un personnage. Je crois que c’est la raison pour laquelle on dit que mes romans ressemblent de plus en plus à des fables et en deviennent plus faciles à lire. Lorsque j’écris, je cherche à répondre à la question : Pourquoi ce personnage fait-il ceci ? » Ancien écrivain à plein-temps, Lee Seung-u a changé de vision sur le roman en enseignant à l’université. « Par le passé, il y avait énormément de romans que je ne pouvais pas lire, que je refusais de reconnaître. En lisant les travaux de mes étudiants, par contre, je suis devenu plus tolérant quant au genre de roman que chacun rêvait d’écrire, en cessant d’insister sur le genre de roman que j’aimais moi-même. » En d’autres termes, le lecteur difficile à satisfaire du passé lit maintenant tout et n’importe quoi. À faire ainsi, il a seulement peur de se diluer.

Parmi les écrivains coréens, Lee Seung-u est un exemple. Il prend méticuleusement soin de lui, n’apparaît jamais la cigarette à la bouche, et joue très bien au tennis. Il conseille à ses étudiants de toujours préférer lire un livre que d’aller boire, puisque la boisson n’est pas source d’inspiration. Le critique Jin Jeong-seok dit de la littérature sérieuse de Lee Seung-u que « ses romans amènent les lecteurs à déterrer d’anciens souvenirs enfouis au plus profond de leur mémoire. » En effet, les textes de Lee Seung-u invitent au voyage dans notre propre monde intérieur. Les romans sont faciles à lire, malgré leur portée métaphysique. L’auteur est un magicien qui change les lecteurs en arbres. Le temps de la lecture, ils se figent, et finissent par découvrir leurs propres racines, oubliées depuis fort longtemps, rejetées ou dissimulées dans leur vie privée.

Traduit par Lucie Angheben. Avec l’aimable autorisation du KLTI