Romans

Le Garde, le Poète et le Prisonnier

Le Garde, le Poète et le Prisonnier LEE Jung-myun Editions Michel Lafon
Le Garde, le Poète et le Prisonnier
LEE Jung-myung
Editions Michel Lafon

  Qui a tué le gardien, et pourquoi ? Le jeune homme a-t-il vraiment laissé indifférent les japonais ? Comment ce poète qui ne pouvait se séparer des mots a-t-il vécu la prison ?

 L’Histoire raconte qu’un jeune officier a présenté ses condoléances aux proches du poète Yun Dong-ju, et l’auteur a fait de lui son personnage principal pour porter un roman, mêlant fiction et Histoire. Cette habitude de l’auteur, pour qui les deux peuvent se mélanger, amène des visions nouvelles d’un évènement. La première partie du roman est composée d’allers-retours entre le passé et le présent des vies coupées par la guerre, où les livres sont vus comme des problèmes pour l’empire japonais. Le narrateur, le gardien Watanabe Yuichi est alors chargé de sélectionner ceux qui doivent être détruits. Pour lui, qui vient d’une famille de libraires, c’est une torture. En ce point, sa rencontre avec le poète dans la seconde partie du roman va l’amener à se découvrir, tel qu’il est, aussi mis à nu que les prisonniers qu’il garde. C’est alors par ce biais qu’il va retrouver le sens des mots, et dans la poésie, retrouver l’humain qui lui manque en prison. En effet, le tempérament de Yuichi, est le lien entre la première et la seconde partie du livre, qui met plus en avant le poète Yun Dong-ju. Yuichi est un humain ordinaire, piégé dans ce devoir de censure, qui diffère de son idéologie où la liberté de l’écriture et de la lecture lui est un réconfort. Le livre devient donc l’exemple d’une jeunesse révoltée qui va se saisir du hangeul prohibé comme d’une arme, et du japonais comme d’un subterfuge pour crier l’amour du poète envers les siens, pour son devoir d’écrivain, pour son pays, et pour la vie qu’il sent s’échapper de lui. Le narrateur est aussi jeune que le poète, mais très vite viennent les désillusions d’une jeunesse perdue trop tôt, ce qui va mêler les trames de leurs vies respectives. L’emploi du rouge, couleur du sang, caractérise le censeur. La portée symbolique est dans la blessure. La censure est la blessure de l’âme du poète et du lecteur qu’est Yuichi. Au cours des interrogatoires de la seconde partie du récit, de même que la vie les blesse, tour à tour, tous deux se blessent : mensonges, vérités cachées, réponses qui aboutissent à d’autres questions, duperies infantiles…Ces blessures amènent les deux hommes à se côtoyer comme des hommes. Leur relation n’est plus dictée par la hiérarchie carcérale.

          L’enquête devient donc un prétexte, une excuse pour accompagner le poète. Tout au long du texte, comme un fil conducteur, l’on voit la poésie servir de pont entre les hommes, quelques soient leurs origines. D’ailleurs, la poésie fait partie intégrante à la fois de l’histoire et de l’écriture qui la raconte. L’on peut lire des poèmes composés par le poète, insérés dans le texte, en parallèle d’évènements. Ils décrivent les sentiments de Yun Dong-ju face à ces hommes qui agissent avec ce qu’ils ont pour agir, du plus petit acte aux grandes actions. L’auteur souligne que même dans la guerre, les humains se révèlent au mieux de ce qu’ils sont ; et ici, à cause des convictions de chacun, la guerre est d’abord un affrontement de point de vue. Ce que l’on peut aisément capter dans le texte, grâce à des descriptions suffisamment claires sans être trop longues, et des répliques vives. C’est un roman qui s’intéresse de près à cette partie sombre de l’histoire entre le Japon et la Corée, lorsqu’il était obligatoire pour les coréens d’écrire et de parler japonais. Yun Dong-ju est en quelque sorte l’effigie de tous ces jeunes coréens pris entre deux feux jusqu’en 1945. Cette époque est mise en scène par un vocabulaire dur et froid qui atrophie les sensations dédiées aux blessures et aux douleurs, et au milieu duquel se distille des notes d’espoir et de bonté. Les personnages sont développés quelque soit leur origine, afin de révéler leur humanité. Ainsi, en cheminant dans l’histoire, l’on a plus trop de certitudes sur ce qui définit l’homme ou la justice. L’on suit les tourments des jeunes fauchés par la guerre, appelés au front, expatriés ou envoyés en prison. L’écriture poétique chante l’amour des mots, des phrases, des livres et de l’écriture elle-même, avec ses nombreuses références à des grands noms de la littérature étrangère, telle que Maria Rainer Rilke ou Dostoïevski. Ce qui unit le narrateur, le gardien, et le prisonnier est cette passion des mots. Dans ce milieu fourbe de la prison, où chacun se tait ou use de pièges pour s’en sortir au mieux, l’écriture devient un repentir, comme si elle était le seul miroir de chacun. Elle apporte l’espoir, mène à la mort mais reste la meilleure évasion.

            Outre l’intrigue policière, c’est un texte qui d’une écriture fluide, poétique et sensible, partage et cherche à convaincre son lectorat, du bienfondé des mots dans leurs nuances. Il met en avant la beauté du contact humain à travers l’importance des mots, de la lecture par une habile mise en abîme de la littérature. Le texte est parsemé de comparaisons : la vie en temps de guerre, en tant que guerre contre les évènements et la nature humaine ; la littérature et son poids dans la vie de chacun, son impact presque religieux sur le poète. Alors, la finesse de la poésie claque la porte à la violence de la guerre et de l’oppression, révélant ce qu’il y a de plus cher à l’homme : l’approche de lui-même et de ses semblables, afin de comprendre le sens de tout ce qui tente de lui échapper ou lui échappe déjà.

 


Lee Jung-myung est connu pour avoir écrit les romans Deep Rooted Tree, meilleur livre de l’année 2006 en Corée et Painter of The Wind. Ces deux romans à succès ont été suivis d’une adaptation télévisuelle qui leur a valu une renommée internationale. A l’occasion de son passage au salon du livre londonien, il est venu donner une conférence de presse à Paris, au Centre Culturel Coréen pour la sortie de son premier roman en France, aux éditions Michel Lafon.