Sciences Humaines & Sociales

Tweeter en coréen

koreantwitter

Tout le monde connait Twitter, le célèbre média social, ou microblogage, accessible depuis les plateformes internet ou le téléphone portable. En Corée, il va sans dire que la possibilité est offerte à tous de tweeter n’importe où n’importe quand. Un article paru récemment dans une revue scientifique¹ propose une analyse du langage de Twitter coréen. Pour cette  étude, un corpus a été élaboré qui consiste en  près de  700 000 tweets postés au mois d’octobre de l’année 2011, à l’occasion de la campagne pour l’élection du maire de Séoul. Ces textes ont été ensuite convertis en plusieurs millions de ôchôls (unité graphique du coréen bornée par un blanc typographique et composée d’un ou plusieurs mots. Par exemple : nom + particule, verbes + affixes, etc.) puis soumis à une analyse morpho-syntaxique et à un traitement statistique². Pour cette étape, un ensemble de 56 traits linguistiques a été utilisé (pronoms, temps verbaux, verbes honorifiques, connecteurs, etc.) qui permet d’obtenir une figure générale du langage Twitter­ — sa carte d’identité.

L’analyse fait apparaître que le trait qui a la fréquence la plus élevée est la phrase composée d’un seul ôchôl non nominal : une interjection, un mot interrogatif ( « pourquoi ») ou une interaction discursive ( « oui »). Lorsqu’un utilisateur veut envoyer un message contenant plus d’informations, il préfèrera en revanche l’emploi de phrases nominales. Celles-ci permettent de condenser un énoncé en enchaînant les mots tout en faisant l’économie des marques grammaticales. Ce type de phrases s’adapte assez bien aux contraintes rédactionnelles imposées par Twitter (limitation à 140 signes). Les marqueurs verbaux honorifiques (-yo ou –nida), comme dans n’importe quelle situation de discours, sont très bien représentés ; par contre, les nominaux honorifiques (-ssi , par exemple) sont un peu moins nombreux. Ce sont là quelques-uns des traits qui ont une fréquence élevée, c’est-à-dire ceux qui ont un taux d’occurrences assez haut. Regardons maintentenant les traits linguistiques plus rares, qui mettent en lumière d’autres caractéristiques essentielles de Twitter coréen. Les connecteurs nominaux (coordination) qui relient les substantifs sous forme de NwaN (N et N) sont la plupart du temps omis, de même que le sont les particules casuelles  i/ga (marques du sujet), eul/reul (marques du complément d’objet direct). On constate aussi l’éviction quasi systématique du prédicat verbal final qui porte les indications de temps/aspect. L’économie des formes grammaticales, comme il est rappelé, est une propriété représentative de l’oral (Blanche-Banenveniste, 1987). Cette simplification du texte, dont il est vrai que la langue coréenne s’accommode parfaitement — le coréen soustrait plus facilement que d’autres langues : le français, par exemple — est bien évidemment renforcée par la restriction du nombre de signes imposée par Twitter, mais découle aussi de la promesse d’origine du site « What are you doing? » qui le définit comme un service permettant de raconter ce qu’on fait au moment où on le fait. Cela peut expliquer la faible représentation des temps verbaux, en particulier du temps présent : Twitter étant directement branché sur le moment où l’on parle ( le moment d’énonciation), toute indication du temps de base peut paraître superflue.

On rattache souvent les tweets à des échanges oraux : éllipses, utilisation de symboles iconiques représentant une émotion (émoticônes), procédés phonétiques ­(par exemple, en français, les différentes graphies du phonème /e/ , 41 au total, sont généralement réduites à une seule : « é »). Là encore, la bonne transparence orthographique du hangeul ( l’article 1 des règles  générales de l’orthographe coréenne dispose que  «  le principe de l’orthographe coréenne est de transcrire phonétiquement le coréen standard, tout en se conformant aux règles de la grammaire ») ainsi que  l’ergonomie des différents supports de communication permettent une saisie extrêmement rapide du texte. Les différents claviers, d’un téléphone portable ou d’un ordinateur, tout comme le hangeul, procèdent par ajout de traits  aux consonnes et voyelles de base, n’exigeant de ce fait qu’un moindre nombre de touches pour représenter l’alphabet complet (voir pour plus de détails  «  l’efficacité du hangeul à l’ère du numérique », dans le hangeul). En ce début de 21e siècle, la simplicité de l’écriture coréenne, qui concerne autant l’apprentissage rapide de l’alphabet que la saisie d’un texte numérique, permet une adaptation sereine aux évolutions de la société de l’information,­ voire favorise l’apparition de nouvelles technologies.


¹ « Twitter coréen : un langage d’un genre nouveau » , dans Faits de langues, Hyunjung Son, Jae Yun Lee, Beomil Kang et Ha-Soo Kim, n°41, Peter Lang éditeurs.
² Une analyse morpho-syntaxique au moyen de l’analyseur automatique Utagger, avant que ne soit appliqué à ce corpus la classification des genres conçue par KANG Beomil (2012). Il convient aussi de signaler que nous nous sommes contentés ici  de résumer quelques-uns des traits  linguistiques les plus caractéristiques. L’étude va beaucoup plus loin, puisque elle se propose de caractériser le langage de Twitter de manière comparative (romans, manuels scolaires, journaux télévisés, etc.) et de répondre à la question suivante : le langage de Twitter relève t-il du style oral ou du style écrit ?