la fauteL’image d’une population tout entière vouée à leur maître suprême, enferrée dans un culte de la personnalité des plus nocifs est dans tous les esprits. La Faute de Michaël Sztanke et Alexis Chabert ne déroge pas à la règle : les auteurs donnent à voir un pays aux abois, miné de l’intérieur par un régime totalitaire qui, comble de l’ironie, n’hésite pas à pourchasser et à condamner ses plus fidèles partisans. Chol Il est l’un d’entre eux. Guide touristique travaillant au ministère des affaires étrangères, Chol Il commet un jour l’irréparable : se rendre aux funérailles de l’ancien dirigeant, feu Kim Jong-il, en omettant de porter le badge officiel à l’effigie de l’illustre défunt et de son non moins illustre successeur, Kim Jong-un. Voilà la faute. Pour se racheter, il lui faudra escorter et surveiller de près deux journalistes français en séjour en Corée du Nord, faire barrage à leur excès de curiosité et répondre, en reprenant à la lettre la propagande officielle, à leurs questions éventuelles. Mais la franchise et les efforts d’amendement de Chol Il n’y changeront rien : les espoirs de pardon se réduisent comme peau de chagrin, d’autant plus que les deux français placés sous sa responsabilité font montre d’un comportement de plus en plus intrusif. Peu importe sa bonne volonté et la droiture qu’il affiche auprès de ses compatriotes, il est et restera un fautif.

À partir d’un épiphénomène en apparence anodin, les auteurs dépeignent la déchéance programmée d’un homme sans histoire, devenu du jour au lendemain un ennemi de la nation. Une véritable descente aux enfers, mise en dessin dans un style sobre, voire minimaliste. Alexis Chabert ne s’encombre en effet d’aucun détail : ses personnages prennent place, ou plutôt se figent, dans des décors volontiers dépouillés, aux couleurs souvent fades. Simpliste à première vue, cette ascèse graphique est au contraire on ne peut plus indiquée : quoi de mieux pour illustrer l’isolement du peuple nord-coréen que de lui prêter vie dans une sorte de hors lieu isolé du monde extérieur, sans attache avec ce magnifique foutoir qu’on appelle la vie.

Notons enfin que l’album se termine sur un court dossier dans lequel Michaël Sztanke raconte, photos à l’appui, son séjour en Corée du Nord. Intitulé « La Corée du Nord vue de l’intérieur », ce témoignage contient un passage qui, à lui seul, confirme notre sentiment en fin de lecture : « on peut l’affirmer sans sourciller, la première impression est celle d’un pays dirigé comme une secte dont les gourous, qu’ils soient vivants ou morts, sont des demi-dieux. »

 


LA FAUTE
DE MICHAËL SZTANKE, ALEXIS CHABERT ET FABRICE TOUDRET,
Delcourt, 112 pages, 15.95 €

 

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