Romans

J’ENTENDS TA VOIX

 Dans Mina de Apple Kim (Decrescenzo, 2013), la jeunesse dorée de Séoul était découpée au scalpel : violence, cruauté envers les animaux, meurtres, donnaient des beaux-quartiers une vision aussi surprenante — dans un pays fortement empreint de confucianisme — que nihiliste de l’avenir des jeunes, du moins d’une partie de la jeunesse, faut-il préciser ? Dans J’entends ta voix, c’est du côté du lumpenproletariat qu’il faut regarder. Certes, ce roman de Kim Young-ha n’est pas une réponse « envers du décor » à Mina. Mais, il donne à voir par le jeu de la fiction ce qui ne saute pas immédiatement aux yeux lorsqu’on fréquente, même régulièrement, Séoul. Ce roman symphonique composé de quatre mouvements nous conduit dans un premier temps auprès de deux jeunes garçons qui vivent une étrange et fusionnelle amitié, interrompue — ce sera le deuxième mouvement — par l’errance de Jié, l’un des deux, personnage christique, passablement illuminé, vivant en clochard et se nourrissant de riz cru, exclusivement. Dans le troisième mouvement, il deviendra rapidement le leader d’une bande de motards qui sèment pagaille et terreur dans les quartiers de Séoul. Jusqu’à ce qu’un policier blouson de cuir et dégaine de motard parvienne à disloquer la bande de jeunes qui n’ont pour toute voix que le vrombissement de leur moto. Un troisième mouvement est conclu par la mort et la trahison. Le quatrième mouvement est celui du jeu. Le narrateur, en réalité l’auteur, joue avec son lecteur, puisque nous le découvrons à la fois auteur et narrateur, en train d’enquêter et d’écrire le livre que nous avons sous les yeux.

Dans J’entends ta voix, nous retrouvons le Kim Young-ha que nous apprécions, romancier, capable, notamment à mi-parcours de l’histoire, de vous tenir en haleine jusqu’à ne plus vouloir lâcher le livre avant la fin. Ce n’est pas un roman qui se lit de façon neutre : des passages difficiles — et pas forcément les plus violents —, ceux qui nous renvoient l’image d’une jeunesse en détresse dans un pays où seule compte la compétition économique, où les problèmes sociaux ont tendance à croître. Il est en ce sens un roman politique, au noble sens du terme, par la mise en exergue de ce que la Corée s’efforce de cacher. Kim Young-ha, toujours habile, ne verse pas dans le pamphlet. Il observe, dissèque et nous restitue une vision, qui, pour lourde qu’elle soit, ne frôle pas le misérabilisme. Les rêves abondent, les images s’enchaînent et le roman prend parfois des allures mystiques, au moins aussi mystiques que les visions du personnage principal. Avec lui, les déshérités ont leur voix, même si cette voix ne résonne pas sur terre mais dans un monde à venir.


J’ENTENDS TA VOIX
DE KIM YOUNG-HA
Traduit du Coréen par  KIM Young-sook et Arnauld LE BRUSQ,
Édition Philippe Picquier, 316 pages, 19.5 € .

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