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Le garçon qui courait

 

le garçon qui couraitUn petit campagnard, qui n’aime pas trop l’école, va découvrir à l’occasion d’une manifestation de rébellion contre l’occupant japonais sa propre faculté à courir vite et longtemps. Pour aider sa famille harcelée, l’enfant va utiliser ses capacités pour gagner un peu d’argent jusqu’à ce que son instituteur prenne son entraînement en mains. Dès lors, pour l’enfant, courir deviendra sa façon de combattre l’occupation jusqu’à la libération du pays.

Mais l’écrivain ne s’est pas contenté de témoigner de l’Histoire, pour laquelle il avait les clefs procurées par son métier et son art de journaliste. Il ne s’est pas contenté de retrouver la vie du marathonien Sohn Kee chung, et de nous en livrer les grandes lignes en insistant sur la performance sportive et la renommée de l’homme dans son pays.

Dans ce roman, l’écrivain a utilisé l’Histoire de la Corée et la vie de Sohn pour déployer ses ressources stylistiques et son imagination poétique : la biographie historique devient sous sa plume une œuvre littéraire de qualité, où la langue française est au service de l’âme coréenne, elle-même pliée sous le joug par le maître japonais. Le roman ne se lit jamais comme une leçon d’histoire, ni comme un article scientifique sur un personnage célèbre, mais bien comme une grande aventure poétique, où l’évènement historique est constamment relié à l’expression d’une culture opprimée en résistance, grâce à l’évocation de la légende de l’ourse qui résista à l’enfermement dans une caverne en se nourrissant d’armoise et d’ail, pour s’unir avec le fils du Seigneur du Ciel, et donner le jour à Tangun, fondateur de la Corée, grâce à d’autres références aux coutumes coréennes bafouées et insultées pendant ces longues années de tyrannie, mais conservées avec persévérance. Certaines occurrences lexicales, comme l’usage de l’adjectif « épatant », renforcent le réalisme historique en français, mais c’est aussi au travers du pouvoir de l’écriture que François-Guillaume Lorrain fait éprouver à son jeune héros, lorsqu’il se met à écrire à la place de son frère mort dans un camp de prisonniers une longue lettre à ses parents, que la langue coréenne interdite est replacée au cœur de la résistance. Les patronymes coréens doivent être remplacés par des noms à consonance japonaise, et les athlètes coréens Sohn Kee chung et Nam Sung Yong deviennent Kitei Son et Nan Shoryu  pour concourir à l’épreuve du Marathon des Jeux olympiques de 1936 à Berlin sous la bannière blanche au soleil rouge, mais Kee chung s’isole après les entraînements, pour fredonner les chansons traditionnelles en se « recroquevillant », « comme l’ours dans sa grotte ».

Chaque fois qu’il est contraint et humilié par le pouvoir et ses sbires, Sohn Kee chung se rappelle la leçon de son vieux maître et détourne ses obligations pour en faire des actes de résistance. Sitôt descendus du podium, les deux champions donneront une interview célèbre au Donga Ilbo dans laquelle Kee chung revendique d’avoir couru pour la libération de son pays. Il n’a pas pu devenir facteur, puisque les Japonais interdisaient aux Coréens d’exercer une profession qui leur aurait permis de porter la parole de la Résistance, mais il utilisera sa tâche de recruteur imposée par l’armée pour relier les réseaux et participer à la lutte contre l’occupant. Ce faisant, il témoigne aussi de sa fidélité envers son grand frère, qui avait transformé un discours de remerciement en appel à la révolte, à la suite de quoi il avait été arrêté et déporté.

Chacun des épisodes de cette vie est évoqué soit à travers des dialogues très vivants, soit par les réflexions et les émotions rapportées du héros, ce qui donne à l’ensemble un rythme qui soutient le récit proprement historique et éloigne la lassitude que pourrait éprouver le jeune lecteur ; ainsi le récit plein d’intensité de la course qui verra la victoire du petit Coréen sur le favori, l’Argentin Zabala, mais avant, le voyage vers Berlin est aussi  l’occasion de rappeler qu’à l’époque, on pouvait prendre le train en Corée et traverser la Russie et la Pologne, voire l’Europe entière, alors qu’aujourd’hui encore, le contexte géopolitique oblige à éviter le frère ennemi, la République populaire de Corée. Ou encore, qu’à ces mêmes Jeux olympiques, un autre coureur s’illustra également au nom d’un pays qui ne le reconnut guère, l’Américain Jesse Owens, petit-fils d’esclave et contraint dans son propre pays par la politique de ségrégation.

Le choix de l’écrivain d’accompagner son personnage jusqu’au bout de sa vie, en occultant quand même la guerre de Corée et la transformation du pays, pour évoquer les dernières années de Sohn et les derniers combats pour la reconnaissance de son nom et de sa nationalité par le Comité olympique international, intervenue seulement après sa mort, inscrit tout de même l’œuvre littéraire dans le parti pris éducatif d’un livre écrit pour les jeunes. Mais reconnaissons-le, les jeunes lecteurs aiment bien connaître la « vraie » fin de l’histoire…

Un roman passionnant, au rythme soutenu, à l’expression imagée et évocatrice, un véritable encouragement à la lecture, qui a sa place dans toutes les bibliothèques pour adolescents.


LE GARÇON QUI COURAIT
DE FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN.
Éditions Sarbacane, 208 pages, 15.5 €

 

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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