Critiques Littéraires

LE CHANT DE LA FIDELE CHUNHYANG

ChunHyang, malgré les menaces et la mort approchante, ne faillira jamais à ses principes de vertu et de fidélité. Modèle pour les coréens, ce mythe fait partie de leur patrimoine. S’intéresser à la culture coréenne sans entendre parler de ChunHyang est impossible.

Le chant de la fidèle ChunHyang  fait partie d’une des plus vieilles et plus célèbres légendes que le Pays du Matin Calme possède. Une histoire d’amour intemporelle entre la jeune ChunHyang, fille du peuple, et le noble MongRyong. Depuis sa création, son histoire s’est vue adaptée dans tous les genres littéraires et artistiques : roman, poésie, opéra, œuvre cinématographique, bande dessinée (manhwa) ou même série télévisée (drama). Transmise en premier lieu de bouche à oreille, elle est très vite assimilée à la naissance de l’opéra traditionnel coréen appelé Pansori, un art du récit chanté, accompagné au tambour et créé au XVIIIème siècle, qui figure dans le patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2003. L’histoire d’amour de ChunHyang fait partie des cinq titres les plus célèbres sous le nom de ChungHyang-ga. C’est aussi pour cela que l’on connaît la légende sous le nom du « Chant de la fidèle ChunHyang ». Tout coréen connaît ChunHyang, un modèle pour tous, symbole même des valeurs confucéennes, de la vertu, de la fidélité, du bien triomphant du mal. Ainsi, malgré le temps, ses différentes versions et adaptations, les thèmes et les morales du mythe restent toujours représentatifs d’un idéal coréen. Une fête lui est même consacrée, avec de nombreuses manifestations liées aux personnages.

Dans cette étude, nous vous présenterons une des plus belles histoires d’amour Coréenne qu’est le chant de la fidèle ChunHyang. Qui est cette fameuse ChunHyang ? Qu’a-t-elle donc pour attirer l’admiration de tout le peuple coréen ? La suite se verra consacrée aux valeurs morales transmises ainsi que les notions essentielles de l’histoire. Puis, enfin, nous observerons les différentes adaptations dans notre société contemporaine.

I-            La légende de ChunHyang

L’histoire de ChunHyang occupe une place importante dans l’imaginaire et le patrimoine coréens. Comme elle n’était à ses débuts que transmise  oralement, on peut découvrir des versions plus au moins semblables gardant les grandes lignes principales de l’histoire mais avec quelques différences dans l’intrigue, dans la tonalité ou le style. Le dénouement peut être soit triste soit heureux. Nous nous appuierons sur la version datant de 1870 de l’édition wanpan du roman nommé Histoire de la constance de ChunHyang, femme fidèle; traduit en Français par Choi Mikyung et Jean- Noël Juttet et intitulé Le chant de la fidèle ChunHyang.

L’histoire se passe sous le règne heureux du roi Sukjong (1675-1720) modèle de vertu, lors de la dynastie Yi dans l’ère Choseon. Parallèlement en France, nous sommes à la fin du règne de Louis XIV.

MongRyong, fils du gouverneur de NamWon (province du Jeolla du Nord), s’éprend de ChunHyang, fille de Wolmae une ancienne célèbre kisaeng[1], lorsqu’il aperçoit celle-ci riant aux éclats sur une balançoire. Malgré leurs différences de classe sociale, MongRyong charmé par la beauté et l’intelligence de le jeune fille, est bien décidé à l’épouser. ChunHyang, décidée à ne pas suivre les pas de sa mère en tant que Kisaeng, est tout de même promise à un avenir peu engageant, et malgré sa beauté et toutes les qualités que l’on peut demander à une jeune femme, elle restera toujours considérée comme fille de Kisaeng, de basse classe. MongRyong brave tous les interdits de la société de l’époque et le soir même demande à Wolmae sa fille en mariage. Celle-ci, peu convaincue au départ, finit par accepter, en priant pour que sa fille ait un devenir plus heureux qu’elle. ChunHyang et MongRyong sont donc mariés secrètement sous la loi de Dieu et celle de sa mère le soir même. Dans ce roman, ce passage de noces est un sujet très controversé puisque la connotation érotique est fortement appuyée. Le lendemain, le père de MongRyong est promu ministre des Finances. Le jeune homme doit donc partir avec sa famille, finir ses études à la capitale Hanyang (ancien nom de Séoul). Après des adieux très houleux, il promet à ChunHyang de revenir la prendre officiellement en épouse une fois qu’il aura un titre et sera indépendant de son père. Ici, s’achèvent les séparations déchirantes des deux jeunes mariés. Après le départ de MongRyong, le nouveau gouverneur Hakdo est promu au poste de gouverneur. Ce dernier est un fonctionnaire corrompu et n’hésite pas à user de la violence et à abuser de son pouvoir. Malgré les kisaeng qui peuplent son château, constatant la beauté de ChunHyang, il finit par s’éprendre de cette dernière et souhaite l’épouser. Cette dernière, fidèle à MongRyong et à elle-même, refuse à tout prix cette union qui est contre ses principes. Hakdo, n’apprécie guère que l’on lui tienne tête ; il torture alors publiquement ChunHyang et la jette en prison jusqu’à ce qu’elle accepte le mariage.

De l’autre côté, MongRyong fini par obtenir un poste élevé à la cour, il intègre ainsi l’armée spéciale de la royauté, il devient un AmHaengEuSa, un inspecteur espion de la cour. Ayant pour mission d’aller inspecter les régions et d’y régler certains conflits, il retourne dans sa ville natale où il apprend le triste sort de sa femme. Bouleversé par le courage de ChunHyang, il décide d’aller voir cette histoire de ses propres yeux. C’est alors sous les airs d’un mendiant qu’il demande la main de ChunHyang. Celle-ci, encore une fois, refuse la demande en disant qu’elle restera à jamais fidèle à son mari, ceci renforce encore plus l’admiration de MongRyong pour sa jeune femme. HakDo décide de tuer ChunHyang lors de son prochain anniversaire. Lors de cette fête, on vient lui annoncer la venue d’un inspecteur royal. Apparaît alors MongRyong qui révèle sa vraie identité. HakDo est châtié et exécuté pour ses actes, et ChunHyang est heureuse de retrouver son mari. MongRyong décide d’amener sa femme à la cour pour rapporter son acte de fidélité incroyable. Le roi lui offrira le titre de Fidèle ChunHyang, ainsi celle-ci pourra devenir la femme de MongRyong. Ensemble, le couple vécu heureux et eut 5 enfants. Dans une autre version de la légende, il est dit que MongRyong épousa une autre femme à la capitale, et qu’en l’apprenant ChunHyang se suicida. Bien peu de personnes, même coréennes, connaissent cette version. Tous, nous préférons et utilisons celle qui connaît une meilleure fin et illustre mieux les valeurs confucéennes.

  • Les personnages

Song Chunhyang

Héroïne de la légende Éponyme, elle représente la vertu et la fidélité dont toute femme devrait témoigner. Née sans naissance donc sans réel avenir, elle réussira à surmonter sa classe grâce à l’éducation exemplaire de sa mère et à  sa volonté, et gagnera le respect de tous.

Yi MongRyong

Fils d’un digne fonctionnaire de la cour, ce Yangban est promis à un bel avenir. Croisant la route de la belle ChunHyang, son cœur basculera et ses principes aussi. Il se mariera avec elle, mais sera vite dépassé par les événements. Après ses études il devient AmHaengEuSa, espion de la cour. De retour à NamWom, touché par la fidélité de sa femme, il surmontera les obstacles pour imposer ses décisions devant tous.

Wolmae

Ancienne Kisaeng adulée, elle se rangera pour devenir la seconde femme d’un noble. Malheureusement abandonnée par ce dernier, elle élèvera seule sa fille et fera tout pour la préparer à un bel avenir. Elle voit en MongRyong la possibilité d’un avenir meilleur pour Chunhyang.

BangJa

Fidèle serviteur de MongRyong, dans de nombreuses versions il servira d’intermédiaire entre ChunHyang et MongRyong,  dans d’autres il tombera amoureux à son tour de la servante HyangDan. Dans des adaptations alternatives il aura même le premier rôle.

HyangDan

Servante de ChunHyang, elle soutiendra énormément sa maîtresse. Dans de nombreuses versions, elle a un côté très naïf, qui aide à amplifier l’intelligence de sa maîtresse. Dans d’autres versions elle filera le parfait amour avec BangJa, ou dans des versions alternatives aura un rôle plus important.

HakDo

Gouverneur corrompu, il abuse de son pouvoir. Il n’apprécie guère qu’on lui refuse ce qu’il désire. Entendant parler des innombrables qualités de ChunHyang il voudra en faire sa maîtresse. Déboussolé par son refus, c’est par violence qu’il tentera de l’avoir. En vain. Il décide de l’exécuter.

II-         Les valeurs confucéennes et les thèmes abordés

Lors la dynastie de YI (1392-1910), l’influence du confucianisme devient  prédominante et  marque de façon durable et profonde tous les aspects de la vie sociale coréenne. Même si aujourd’hui les coréens se déclarent volontiers sans religion, ils demeurent cependant très marqués  par la pensée de Confucius. La vie sociale reste fondée sur la famille, le respect et la hiérarchie. La légende de ChunHyang véhicule à merveille ces valeurs, dans lequel cette philosophie offre un guide de vie, des règles de comportement ainsi qu’une  la morale à adopter au sein de la société. C’est peut-être pour cela que le thème de ChunHyang a réussi à traverser les siècles et continue de plaire et  fasciner le spectateur. ChunHyang est un symbole des valeurs confucéennes : La fidélité, la loyauté, le respect, la vertu, le bien triomphant le mal, et l’importance de la connaissance. Une femme doit fidélité à son époux, le fils doit respect à son mari, le peuple doit honneur et loyauté à son souverain, l’on doit être bien instruit pour devenir quelqu’un. Nous retrouvons dans le roman, beaucoup de connotations liées à ces principes ou même à Confucius lui-même:
«Voyez Confucius : c’est aux invocations que ses parents sont allés faire sur le mont Iku qu’il doit la vie.» (Extrait p.21)
Voici un exemple dont la signification symbolise toute l’intrigue de l’histoire:
«Un sujet loyal ne sert, dans sa vie, qu’un souverain. De même, une femme fidèle ne se donne, de toute sa vie, qu’à un époux» (p.40). Nous développerons les sujets principaux du mythe en différentes parties.

  • La fidélité / la vertu

ChunHyang a été élevée avec les principes de loyauté et fidélité. Dès le départ elle jure de rester à un seul homme qu’est par la suite MongRyong.
«Je suis comme le bambou
bercé par la brise printanière.
Je passe mes soirées à lire, brûlant de l’encens parfumé.» (Extrait p.58)
Le serment de l’héroïne sera comme un leitmotiv, même dans les pires situations. Il fait allusion à son nom signifiant Parfum et Printemps ; le bambou quant à lui symbolise la loyauté et la fidélité.
L’amour de ChunHyang pour MongRyong est sa seule arme. Jamais elle ne faillira à son rôle d’épouse. C’est aussi cette qualité là qui dicte la trame principale de l’histoire. On admire le courage, la détermination et la beauté de l’âme de la jeune femme, et on se demande jusqu’à quand elle pourra tenir tête au tyran. Elle préféra mourir que de céder devant les menaces du gouverneur ou même tout autre homme qui tenterait aussi de la posséder. Cela nous ramène à la notion que la femme doit obéissance à son mari, qu’une fois mariés, les deux conjoints s’engagent à se respecter et à être fidèle l’un envers l’autre.

  • La méchanceté / la cruauté

 Ces vices seront punis.
Sous un règne dit heureux, du roi Sukjong, il n’est pas moins vrai que si l’on comptait à la cour mille fonctionnaires dévoués corps et âme à leur roi, il y avait aussi des abus de pouvoirs et de confiance. Ce n’est pas la faute d’une époque, c’est la faiblesse de l’Homme. Ainsi, le personnage de HakDo représente les vices humains. HakDo, un fonctionnaire corrompu, exerce ses pouvoirs et son influence sur le peuple de NamWon, de façon abusive. Il profite de son titre pour forcer ChunHyang à l’épouser malgré sa réticence. Son exécution à la fin du conte prouve que le bien triomphe toujours du mal. La leçon qui nous est donnée tout au long du récit, veut que les méchants soient punis, que ceux qui n’accomplissent pas vertueusement leur devoir là où le pouvoir les a placés, soient châtiés.

L’homme doit être instruit.
«A la maison, un jeune homme doit respecter ses parents ; au dehors, il doit respecter ses aînés. Il doit parler peu, mais ne s’attacher qu’aux gens vertueux. Quand ses devoirs lui laissent le loisir, qu’il étudie les belles-lettres.» (Cf. Confucius dans «les entretiens de Confucius»).
L’une des grandes qualités que l’on admire chez nos héros c’est qu’en plus de leur beauté, ils assurent le primat  de l’intelligence et d’une bonne éducation. ChunHyang n’est pas seulement connue sous ses traits physiques mais aussi pour sa vertu et son intelligence. Sa mère lui a donné une instruction que l’on réserve souvent à la noblesse, pour être sur que sa fille ait un bel avenir. Il est demandé à une femme de savoir tenir une maison, mais aussi d’être cultivée. BangJa, serveur de MonRyong, insiste bien sur ce détail en la décrivant.

«Sa beauté, maître, est de notoriété publique dans toutes les provinces du sud. Tous les fonctionnaires, jusqu’aux gouverneurs, et tous les grands coureurs de jupon, ont voulu la voir. Mais elle est vertueuse, elle manie les mots aussi bien les mots que Yi Baek et Tu Mok; elle a un caractère de la plus grande douceur et elle est égale, en sérieux, aux deux épouses du roi Sun.» (Extrait p.35).

On retrouve à peu près les mêmes propos lorsque le père de MonRyong  dit combien il est fier de l’intérêt que son fils porte pour la littérature, symbole que ce dernière deviendra quelqu’un de cultivé, donc d’important.

«Alors qu’il n’avait que neuf ans, je lui avais demandé de faire un poème sur le vieux prunier de chez nous, à Hanyang. En un rien de temps, il en a composé un! Un poème qui n’avait rien à envier à ceux sur lesquels on sue de longues heures. Ce qu’il a vu une fois, il ne l’oublie jamais. Il deviendra quelqu’un. Il a une telle facilite pour composer! En un clin d’œil son poème est fait!» (Extrait p.52)

  • Les différences entre classes sociales


En Corée au XVIII, est toujours entretenue l’idée de l’inégalité à la naissance, selon laquelle certains ont plus de pouvoirs que d’autres, le pouvoir monarchique est divin et commandé par un seul homme . L’aristocratie (les yangban) ont un sang noble et les kisaeng font partie de la classe la plus basse de la société. L’union entre ces deux classes parait impossible à concevoir. C’est cette différence entre les deux héros qui attire et fait l’intrigue de l’histoire. Cela représente le rêve des classes les plus pauvres, serviteurs, paysans.
«Vu notre situation, je n’aurais jamais osé songer pour elle à un époux venant de la famille d’un ministre, ni même à un gentilhomme lettré, ni même à un bourgeois, je m’inquiète beaucoup pour son mariage…» (Extrait p.59).
Wolmae a élevé sa fille dans l’espoir qu’elle fasse un beau mariage et ait une meilleur vie. Mais vu son rang social, elle n’avait osé penser à un mariage avec un noble. On ressent le poids de la différence des classes sociales.
«Le bruit pourrait se répandre à la cour que le fils du vice-ministre a pris une kisaeng quand il était en province et qu’il la ramenée à Hanyang. Alors, jamais je ne pourrai devenir fonctionnaire…» (Extrait p.83).
Lors de ses adieux à ChunHyang, MonRyong, malgré son amour, pense avant tout à ce que dira la société à propos de son acte, qui remet en question une fois de plus le rang social des Kisaeng par rapport à la noblesse.
Mis à part ces morales confucéennes présentes dans la légende, nous remarquons aussi la présence de certains thèmes qui ne font ni partie du confucianisme, ni partie de l’éthique coréenne. Quelquefois, la légende de ChunHyang ne peut pas être analysée sans qu’on dise un mot sur ces notions. Ses autres thèmes qui alimentent l’intrigue rendent les spectateurs encore plus proches des personnages et attirent l’attention.

  • L’Amour

Parce qu’avant tout, ceci est une histoire d’amour. La pièce met en scène la passion amoureuse de deux jeunes gens qui s’aiment d’un cœur pur, et cela, malgré les interdits et les différents niveaux de richesse. Ils sont tous deux beaux et dans la fleur de l’âge, ils représentent la belle jeunesse coréenne, celle qui est placée sous le signe du mariage d’amour. Le public est curieux de savoir ce que vont devenir ces deux personnages malmenés par le destin. Protagonistes très bien choisis puisqu’ils idéalisent le couple parfait, jeune, beaux, intelligents. Certainement, l’attention serait moins grande s’il en avait été autrement, et ainsi, les valeurs glorifiant le confucianisme passeraient moins bien. On pourrait comparer l’histoire de ChunHyang et MongRyong avec Roméo et Juliette, où tous les deux sont seulement âgés de 16ans, tombent amoureux, se marient et doivent se séparer dans un laps de temps très court. L’amour est un sujet universel, il alimente l’histoire, génère drames et péripéties tout en gardant une très grande poésie lyrique.
Dans le roman, on peut retrouver de nombreuses allusions aux héros de l’histoire la Chine et de la Corée, ainsi que des références à d’autres histoires d’amour très connues. On pourra lire des références à l’histoire d’amour des deux étoiles Gyonwu et Jiknyo, ou bien à des anciens rois et à leurs concubines qui ont préféré la mort à l’union avec un autre roi.

  • L’érotisme et le sadisme


Ces deux notions sont extrêmement présentes à différents passages de la narration. Les sentiments atteignent leur paroxysme avec des descriptions d’une grande sensualité jubilatoire tout à fait étonnante vis-à-vis de la morale confucéenne. Un passage dans le premier chapitre, plus docile, montre MongRyong amoureux et perdant la tête dans un monologue ou il sous-entend des scènes érotiques avec la belle ChunHyang.
«…J’étreins ma bien-aimée et je me glisse entre ses jambes, et en dépit du vent glacial j’ai chaud. […] Les hommes vertueux sont attirés par la bouche des belles, je pose mes lèvres sur celles de ChunHyang, et je les dévore ardemment, en des baisers sonores. Oh! Que j’aimerais la voir!…» (Extrait p.49)
Un autre passage situé au moment de la nuit de noces de ChunHyang et de MongRyong, qui se passe chez l’ancienne kisæng, donne lieu à un moment de littérature galante. Le héro apprend à sa femme les plaisirs de la chair. A la question de la naïve épouse, comment est-ce qu’on joue au cheval? Le jeune homme répond: «C’est très facile. On est tout nu (…). Toi, tu marches à quatre pattes. Moi, je me colle à tes fesses, tout en te prenant par la taille. Je te donne des claques sur les fesses en criant ‘’hue dia! «, Et toi tu hennis, en sautant et reculant. (…) Tu verras, c’est très amusant.» (Extrait p.77)
Même si le texte est très ancien, le côté sensuel et charnel a toujours été présent contrairement à ce que l’on pourrait penser d’un ancien conte. Si l’érotisme de ce passage d’amour peut en choquer certains, le passage de la torture de ChunHyang par HakDo n’en pas moins « surprenant ». Ces deux notions sont très présentes dans les adaptations, qu’elles soient modernes ou plus vieilles.
Dans une des versions cinématographiques, on y voit la jeune héroïne attachée à une chaise frappée au niveau des genoux. Cette scène est qualifiée de pur sadisme chez les amateurs du cinéma coréen, mais paradoxalement, elle révèle encore plus la puissance de l’âme et la fidélité sans faille de ChunHyang.

  • La morale personnelle emporte sur la morale sociale


Cette notion est prouvée par le fait que ChunHyang ne se laisse pas anéantir par sa naissance de fille de Kisaeng. Sa mère était une courtisane, de ce fait elle devait inévitablement devenir kisaeng à son tour.
Mais elle ne s’est pas avouée vaincue. Avec son courage, elle s’est battue pour gagner l’amour de MongRyong, pour gagner son droit au bonheur, pour échapper à sa situation dévalorisante, pour gagner l’admiration des autres, des milliers et des milliers de coréens, et ce au prix de sa souffrance physique. Elle a choisi de rester fidèle à son mari, alors qu’il lui aurait suffit simplement d’accepter la demande d’HakDo pour mener une belle vie et vivre dans la richesse tout en gagnant le titre de femme du gouverneur. Ceci prouve une fois de plus la pureté de son âme, digne représentante des valeurs confucéennes.

III-       Une histoire adaptée et revisitée à  l’infini

A son apparition, cette histoire aurait été transposée en poème et en roman au cours de la même année. La plus vieille version connue serait le Manhwabon, datant de 1754. A l’origine un Pansori,  il aura pourtant fallu attendre le XIXe siècle pour que Shin Jae-hyo (1812-1884) célèbre musicologue, fixe sa forme en deux versions, ce qui laisse une trace écrite à ce théâtre aux allures auparavant quelque peu improvisées. Depuis, les traductions contemporaines essaient de conserver le style particulier du Pansori tout en essayant d’être le plus compréhensible et abordable pour le public.
En France, on peut le trouver sous différentes formes dont deux sont qualifiées de très  fidèles à la vraie légende.

  • Adaptations littéraires

En 1892, une première version littéraire a vu le jour. Celle-ci a été traduite et publiée par J.H.Rosny sous le nom de « Printemps parfumé » qui n’est qu’autre que la signification du nom de l’héroïne. Malheureusement cette version n’est désormais plus éditée. Néanmoins le roman a été de nouveaux traduit et édité puis ré-publié par l’édition Zulma en 2008, traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet. Il s’intitule « le chant de la fidèle ChunHyang». C’est avec cette version que le dossier a été construit. 
La version éditée chez ZULMA a été composée de sorte de garder le plus intact l’aspect du Pansori, en intégrant la traduction intégrale des chants et des poèmes chinois. Aussi linéaire que puisse être ce classique coréen anonyme, sa traduction inédite aura néanmoins le mérite de faire découvrir au profane un texte pétri de références poétiques chinoises qui, en dépit de son apparent catéchisme confucéen, révèle la fraîcheur de l’âme populaire coréenne et les lois universelles du cœur.

  • Adaptations cinématographiques


Dans un genre plus accessible au public, le film réalisé par Im Kwon Taek en 2000 , sous le nom de « Le chant de la fidèle ChunHyang » a été présenté comme premier film coréen au Festival de Cannes en 2000.  Dans ce film, Im Kwon-Taek réunit l’art du Pansori pour la narration, et l’expressivité de la mise en scène et des images. Ce film est une véritable révélation pour le public étranger, qui découvre à la fois l’art du Pansori, le paysage et la culture coréenne à travers un mythe incontournable du pays. Ce film est aussi la 14ème adaptation de la légende, mais aussi la plus connue. Dans cette version, le réalisateur n’hésite pas à mettre en avant des scènes érotiques ainsi que des scènes de torture.

Le film a reçu de nombreuses bonnes critiques. Le début commence de manière austère avec un décor minimal et un chanteur de Pansori qui livre son histoire, accompagné au tambour. On plonge alors dans le film, et découvrons l’histoire de Chunhyang au fil des narrations du myeongchang. 
Im Kwon-Taek n’est pas le premier réalisateur coréen à avoir voulu adapter la légende de ChunHyang. En 1935, Lee Myung Woo inaugure une liste de nombreuses adaptations pour le cinéma avec «Chunhyang-jeon», le premier film parlant coréen. Suivront les versions de Shin Sang-ok, en 1960, et Hong Seong-ki à la même époque.

  • Théâtre


Cette légende est adaptée aussi en pièce de théâtre et jouée par la Compagnie Nationale d’Opéra Gloria qui est une troupe d’artistes ayant pour but de promouvoir le patrimoine national. Une représentation a eu lieu en France à Paris le 13 – 16 mai 1997 à la Cité des Arts.
Deux autres représentations ont eu lieu à l’étranger dont le 14 – 15 septembre 1995 – La Légende de ChunHyang, Music Hall Hidomi (Tokyo) et le 30 – 31 juillet 1996 – La Légende de ChunHyang, Clayton Art Center (Atlanta).
Deux ans après le festival de Cannes, le public a l’occasion de retrouver cette légende de ChunHyang lors des Festivals d’Automne de Paris 2002 organisés à l’Opéra de Paris où la compagnie Gloria assure une fois de plus la représentation. Autre part, nous avons aussi une comédie musicale jouée par des adolescents et des enfants, interprétée en anglais et dirigée par le Théâtre de Séoul. Cette représentation a été achetée deux fois par le festival d’Edinburgh Fringe, ensuite par Underbelly en 2006 et par C Venues en 2007.

  • Séries télévisées


 En 2005, la chaîne KBS2 décide d’adapter la légende de ChunHyang dans une version plus moderne et remise au goût du jour. Ce drama reprend les grandes lignes de l’histoire ainsi que ses thèmes de la fidélité et de l’honneur. La série comporte 17 épisodes et réunit un casting avec des stars connues du petit écran comme Jae Hee ( Witch Amusement, One Mom and Three Dads ) et Han Chae Young ( Boys Over Flower, A Man called God )

Résumé:

Suite à un accident, ChunHyang fait la rencontre de MonRyong. Elle est bonne élève, mais pas non plus trop sérieuse. Elle a le tempérament fort et n’hésite pas à dire ce qu’elle pense. Quant à lui, il est toujours dernier de la classe et possède un talent pour la bagarre. Suite à une série d’événements qui les amèneront à se croiser très souvent, ils se retrouvent dans une mauvaise situation dont la seule issue possible semble être le mariage. Cela est sans compter sur les sentiments de MongRyong, amoureux de son amie d’enfance, Chae-rin, dont les sentiments ne semblent pas très clairs. L’histoire se déroule sur plusieurs années.

KBS2 voulant adapter le mythe au monde moderne change quelques aspects. Wolmae n’est plus une Kisaeng, mais  ce qui s’en rapprocherait le plus de nos jours : une chanteuse de cabaret. MongRyong, quant à lui, n’est pas fils de ministre ou de gouverneur mais fils de policier haut gradé. Les serviteurs Bangja et Hyandang sont devenus les meilleurs amis des héros et s’aiment mutuellement. Dans cette nouvelle version, il y a  un carré amoureux et il n’y a pas de véritables méchants. HakDo devient quelqu’un de respectable. MongRyong ne tombe pas amoureux immédiatement de ChunHyang, ils vont même  ne pas s’apprécier au début. Il y a aussi un nouveau personnage, Chae-rin.


Cette nouvelle version ne délaisse tout de même pas la version antique. On retrouve les mêmes enseignements et les mêmes  thèmes. De plus, à chaque fin d’épisode, nous pouvons voir une petite scène d’époque avec ChunHyang et MongRyong au temps de la dynastie de Choseon.

  • DES ADAPTATIONS ALTERNATIVES.

Il existe aussi de nombreux réalisateurs, auteurs, qui s’inspirent du mythe, mais en détournant celui-ci et s’intéressant à d’autres protagonistes autour de ChunHyang. On perd quelque peu les véritables notions que le mythe transmettait, mais il est intéressant de voir comment cette histoire peut s’en inspirer.

Série télévisées
 :

La légende de Hyang Dan (2007) avec Choi Si Won (membre de Super Junior) et Seo Kye Hye.
Nous retrouvons ici une interprétation alternative. On se pose ici la question de savoir comment l’histoire aurait évolué si MongRyong était tombée amoureux de HyangDan, la servante de ChunHyang. La différence de classe sociale est encore plus présente, de plus la maîtresse de la nouvelle héroïne est aussi sous le charme du héros. Cette série en deux épisodes est à prendre à la légère, avec beaucoup d’humour.

Films
 :

The servant ou Les chroniques de BangJa (2010), réalisé par Kim Dae-Woo.
Cette fois-ci le réalisateur ne joue pas avec la servante de ChunHyang mais avec le serviteur de MongRyong, BangJa. Dans cette histoire MongRyong tombe bel et bien amoureux de ChunHyang, une kisaeng, mais celui-ci est loin d’être le beau héros sûr de lui et plein de charme. Il envoie donc son serviteur BangJa en tant que messager, mais celui-ci aussi tombe sous le charme de la jeune demoiselle. Par la suite il doublera son maître et séduira ChunHyang, qui tombera alors sous son charme…
Cette adaptation très récente à connue un très grand succès, même si cela à chatouiller nombre de conservateurs. Le côté érotique est très mis en avant avec humour et poésie, même si le premier élément est plus prédominant. Il y a une guerre entre le maitre et son serviteur pour la jeune demoiselle. Il faut prendre ce film avec humour.

Manga :


Le légende a réussi a traversé les mer pour arriver chez son voisin, le Japon.
ChunHyang a inspiré les auteurs de manga, entre autres
Le nouvel Angyo onshin par Youn In-Wan et Yang Kyung-Il. Ce manga, même s’il est dessiné par un auteur Coréen, est classé parmi les Manga et non les Manhwa. L’histoire de ce Shonen se situe bel et bien dans un décor coréen, mais totalement fantaisiste. Il reprend comme thème la vie des serviteurs du roi, AmHaengEuSa, chargés de surveiller et vérifier le travail des gouverneurs. Il n’y a qu’un très faible rapport à ChunHyang, mais qui est tout de même présent. L’un des personnages principaux n’est autre que ChunHyang, une femme «garde de corps de grand fonctionnaire» au pouvoir incroyable, qui a juré fidélité à son fiancé MongRyong partit en apprentissage. D’une très grande beauté, le gouverneur de sa région veut faire d’elle son épouse, mais elle refuse et se voit torturer et emprisonnée. Mise à part le côté fantastique, le personnage est égal à son antique inspiration, sauf que dans cette histoire MongRyong meurt en route, donc ne reviendra jamais. L’histoire n’est pas centrée sur ChunHyang, mais le personnage reste au fond le même, cette histoire ne sert que de base pour la réelle histoire du manga.

Shin Shunkaden de CLAMP. Cette légende du Pays du Matin Calme a aussi inspiré le groupe CLAMP, faisant partie des plus célèbres mangaka japonais.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces quatre mangaka, dont la renommée n’est plus à faire, ont pu assister à la représentation de ChunHyang par la compagnie Gloria à Tokyo en 1995, puisque Shin ShunKuden est publiée en 1996, juste un an après. «Shin Shukaden» signifie la nouvelle (shin) légende de ChunHyang. Shunka est la lecture japonaise des Hanja de ChunHyang, den signifie la légende.
Cependant, la trame principale de l’histoire n’est plus la passion amoureuse des deux jeunes gens. Au contraire, CLAMP met plus l’accent sur les aventures de MongRyong et de ChunHyang dans la province de NamWon.
L’amour, qui était en premier plan dans la vraie légende coréenne, est presque pâle et effacée dans cette « version japonaise ». Les valeurs confucéennes de fidélité et de courage sont plutôt représentées par la mère de ChunHyang, Wolmae, qui était une grande chamane d’une beauté incomparable et qui a préféré se donner la mort devant les menaces et les avances du nouveau gouverneur. MongRyong est bien au service du roi en tant qu’espion mais n’a aucun rapport avec ChunHyang, bien qu’il s’associe avec elle par la suite. Il est intéressant de voir dans cette version, la volonté d’unifier l’univers japonisant et fantastique des Clamp à l’univers traditionnel coréen.

A travers l’histoire de ChunHyang, nous avons pu voir la prégnance des valeurs confucéennes dans la société coréenne. Ce conte, qui en illustre parfaitement les grands principes, est devenu un mythe national.

Lexique

 Pansori:
Le terme pansori vient de l’association de pan  «un endroit ou beaucoup de personnes se réunissent» et de Sori, qui signifie le son. Un pansori alterne entre aniris, des narrations descriptives, et des changs, les parties chantées. C’est un opéra traditionnel coréen contant principalement des histoires d’amour. Le Pansori est apparu vers le début du 18e siècle. Au 19e siècle, il était essentiellement chanté pour la noblesse. Il se compose d’un chanteur, le Myeongchang, capable d’exprimer par sa seule interprétation un sentiment particulier, accompagné d’un joueur de tambour coréen traditionnel. Le Pansori existe encore de nos jours et fait même partie du patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis 2003. Les 5 madang (pièces) les plus célèbres sont : Simcheong-ga, Heungbu-ga, Joekbyeok-ga, Sugung-ga et bien entendu Changhyang-ga.

Namwon : se situe dans la province du Jeolla Nord .
L’auteur anonyme du Chunhyang-jeon a imaginé que les deux amoureux s’étaient rencontrés pour la première fois dans le pavillon Gwanghanru, qui existe encore de nos jours ainsi que tous les éléments paysagiste (monts, temples, etc). La légende a eu un tel impact qu’un temple éponyme est dédié à l’amour et à la fidélité de ChunHyang. Et c’est là aussi qu’a lieu chaque année le jour de la fête des balançoires (5 mai) symbolisant la rencontre entre ChunHyang et MongRyong. Un festival de la ville pendant lequel les jeunes filles de la région rivalisent de beauté.

Yangban:
 les hommes de l’aristocratie, plus particulièrement les hommes éduqués selon les principes confucéens. Le mot yangban (littéralement : les deux classes) réfère aux deux enseignements professés aux yangban: l’enseignement littéraire (munban) et l’enseignement martial (muban).

Kisaeng: Aussi connues sous le nom de Ginyeo. Elevées, éduquées pour manier tous les arts, ces femmes pourraient se comparer aux Geisha. Talentueuses, belles à en mourir, accomplies mais aussi intelligentes et cultivées, ces femmes ont eu une très grande influence dans l’histoire coréenne de Choseon. Maniant le chant mais aussi la poésie, elles composaient au même titre que les YangBan. Elles pesaient sur la vie politique en accompagnant les YangBan dans les banquets. Malheureusement, en dépit de leur importance et de leur reconnaissance, elles appartiennent à une classe sociale bien basse.

Annexes


Voici quelques critiques publiées lors du festival de Cannes pour le Film de Im Kwon taek.

«En Corée, tout le monde connaît par coeur l’histoire de Chunhyang. Cela fait deux cents ans qu’on la ressasse, l’adapte, l’interprète, l’illustre, la redécouvre. Cette histoire déclinée à l’infini – on en a répertorié quelque cent vingt versions différentes ! – est un authentique morceau du patrimoine national. Un défi aussi à l’adaptation cinématographique. C’est du moins ce qu’a longtemps pensé le plus grand cinéaste coréen vivant, Im Kwon taek, qui a débuté en 1962, et aura donc attendu trente-huit ans pour oser s’y frotter. Pour se livrer, sur une intrigue qui a l’air toute simple (pour nous), à un exercice de style éminemment complexe (pour lui).
On le voit, réduite à sa trame, cette love story contrariée paraît cousue de fil blanc. Mais l’essentiel est ailleurs : cette légende appartient à une tradition quasi sacrée en Corée, le pansori. Il faut imaginer un interprète solitaire qui, accompagné d’un unique tambour, égrène, sur la scène d’un théâtre, pendant des heures, les mille le et une péripéties de l’aventure. Le chanteur psalmodie plus qu’il ne chante. C’est un conteur qui module, en une formidable litanie, les pleins et les déliés d’une intrigue inépuisable.
C’est peu de dire que les premières minutes du Chant de la fidèle Chunhyang désarçonnent. Que peut-il advenir de ce bizarre objet filmique qui entremêle les échappées verbales scandées sans répit et une imagerie aux teintes mordorées, excessivement lissée, comme nettoyée de toute aspérité ? Patience, une drôle d’alchimie est à l’œuvre.
Im Kwon Taek, qui signe là son 97ème film – même si, à ce jour, un seul a été distribué en France, La Chanteuse de pansori, une merveille de délicatesse -, savait qu’il tentait un périlleux grand écart. Son obsession : comment « fondre le chant dans l’image afin de rendre le pansori accessible » ? Il a réalisé jusqu’à sept ou huit versions différentes d’une même séquence. « Il n’était pas question, explique-t-il encore, d’introduire dans le film des scènes qui risquaient de nuire à l’intégrité du pansori. Alors, au bout de deux mois, il a jeté tout ce qui avait déjà été mis en boîte. Et il est reparti de zéro, organisant le plus élaboré des balancements entre le chant sur scène et l’action en décors réels, entre la scansion ultracodée du pansori et les rebonds dramatiques d’un cinéma romanesque. Tantôt le chant paraphrase, comme une voix off, ce que l’on voit à l’écran. Tantôt il se superpose aux images, avec une autonomie qui crée un léger et troublant décalage. Parfois, enfin, en un saisissant enchaînement, le chant se substitue à l’action, et le drame se concentre sur l’interprétation scénique. Quand Chunhyang est soumise à la torture, elle reçoit dix coups de bâton. Le premier, filmé en plan très large, on le devine. Les suivants sont encore plus insoutenables: on les imagine, à travers les mots essoufflés du chanteur de pansori, sur son masque douloureux, dans sa voix déchirée.
Ces alternances virtuoses confèrent une intensité croissante au récit. Des scènes clés, celles qui ont fait rêver des générations de Coréens – l’apparition de l’héroïne sur une balançoire, la déclaration d’amour, la nuit de noces, la séparation, le retour de Mongryong -, deviennent, pour nous, des moments de grâce énigmatique. On mesure alors à quel point le cinéaste maîtrise la construction de son film, propulsant le spectateur au cœur de l’action, puis le tenant à distance pour mieux l’entraîner ensuite dans le tourbillon des péripéties.
Du coup, ces plans composés avec un soin pointilliste, ces travellings d’une grande fluidité échappent à la joliesse décorative : ils entrent en résonance avec ce chant entêtant qui ne fournit pas seulement un fil narratif, mais touche par la fraîcheur d’une poésie naïve, et surprend parce qu’il peut devenir à tout instant incantation, cri ou ironie amusée. On est dans la veine d’un art vraiment populaire, autrefois pratiqué sur la place des villages, où l’interprète devait donner à imaginer. Faire ressentir de la frayeur, du plaisir, faire rire, émouvoir. lm Kwon Taek a trouvé le sismographe hyper-sensible capable de faire vibrer son film à l’unisson d’une riche inspiration visuelle.
Oui, un mélo tout enluminé d’émotions primaires peut distiller un charme tenace et inventif, apaisé et audacieux. Modeste, lm Kwon Taek voudrait nous faire croire que Le chant de la fidèle Chunhyang « n’est jamais qu’une histoire d’amour qui finit bien ». Il ne faut jamais écouter les artistes, surtout quand ils sont modestes.
Jean-Claude Loiseau

«L’intérêt du film réside donc moins dans son action proprement dite, qui relève d’une trame romanesque universelle, que dans son intense beauté formelle, et plus encore dans sa juxtaposition avec le narrateur qui la révèle et instaure avec elle un jeu très subtil de redondance et de complémentarité. Celui-ci est incarné dans le film par un récitant de pansori, filmé de nos jours lors d’un concert public. Enraciné dans les traditions rituelles et religieuses coréennes, le pansori est un opéra populaire qui met en scène un acteur, à la fois récitant, chanteur et mime, accompagné d’un joueur de tambour, au service de divers types de récits qui font partie du patrimoine artistique coréen. Chunhyang est l’un d’eux. Le registre vocal de cet opéra, tiré du bas de l’abdomen, s’exprime dans un timbre particulièrement rauque, avec des modulations très variées, et une certaine dissonance qui n’est pas sans évoquer le chant flamenco.
Le contraste, sans doute plus particulièrement pour un spectateur occidental, est donc saisissant entre le style rude et dépouillé du pansori et l’extrême raffinement (somptuosité des cadrages, sensualité de la caméra, féerie des couleurs, Poésie du montage … ) de sa reconstitution cinématographique Cette tension, qui est à la beauté du film ce que l’esprit est à la chair constitue un signe caractéristique de sa modernité, qui joue de 1a dépossession réciproque exercée par ces deux modes de représentation. Mais on peut aussi voir dan leur fusion, aussi déconcertant soit-elle, une volonté de revitaliser le cinéma à la source d’une tradition nationale séculaire, plus encore, de le définir comme sa légitime continuité. Comme le cinéma, le pansori est un art initialement forain, collectif et populaire, qui mêle volontiers le discursif au lyrique, et le trivial au sublime.
De même que le récitant de pansori recourt à des facultés chamaniques pour représenter tour à ton les divers personnages de l’histoire, c’est un peu l’âme du pansori qu’Im Kwon-taek insuffle dans le corps de son cinéma. il ne s’agit pas d’un pur exercice de style. Car le film parle ce faisant du temps présent, la fidélité des deux héros à leur serment évoquant la très longue lutte artistique et politique d’lm Kwon-taek pour l’existence d’un cinéma national. La Corée est aujourd’hui l’un des rares pays dans le monde où la production nationale est protégée par un système de quotas contre le rouleau compresseur hollywoodien. Im Kwon-taek s’est battu, et se bat encore aujourd’hui pour sa défense, quitte à se faire raser le crâne en place publique. Cet engagement a porté ses fruits, puisque le cinéma coréen connaît depuis quelques années un essor et une diffusion internationale sans précédent. Sauver son âme, telle est bien l’histoire du Chant de la fidèle Chunhyang.»
J.M. Frodon – Le Monde décembre 2000

[…]Quand Shin Shukaden est sorti en Corée, la réaction la plus répandue a été : «des étrangers ont remis un classique au goût du Jour». C’est également ainsi que je l’ai appréhendé. L’histoire traitait des problèmes de société de l’époque, telles que l’inégalité des classes et la place de la femme. Dans ce contexte, les deux héros vivent une histoire d’amour simple. CLAMP y a intégré quelques éléments de comédie particuliers à notre époque.
Des détails vestimentaires, en particulier sur les habits féminins, ainsi que la notation des incantations magiques en coréen montrent que les CLAMP ont bien étudie le sujet. Ce qui m’a le plus surpris, ca a été la canne de la vieille Shinban dans l’histoire de «Suwol». Le corbeau qui trône au sommet de ce bâton est appelé «sotte» en Corée. Et c’est un attribut récurrent des SHinban de l’époque! […]
Intéressons-nous a présent aux modifications dont elles ont gratifié les personnages.
La Chu Nyan, telle qu’elle apparaît dans le «Shin Shukaden» diffère beaucoup de celle que nous, Coréens, connaissons. Mais si son caractère et son comportement ne sont plus exactement les mêmes, elle en reste toutefois extrêmement sympathique. Et cette constatation s’applique naturellement à tous les personnages.
Quand on compare l’original, on s’aperçoit premièrement que son nom complet n’est pas Chu Nyan mais Song ChunHyang. Malgré sa nature féminine, Chu Nyan possède une force qui la fait résister à n’importe quel adversaire. Elle est prête à tout pour conserver sa chasteté, qu’elle a promise par serment à Muron, et serait prête à donner sa vie pour cela.
 Muron est Yi MonRyong dans la version coréenne. Il a pour sa part conservé la gentillesse et la bonne humeur qui le caractérisent dans l’original. Il est très épris de Chu Nyan et met son immense pouvoir au service de la Justice.
En Corée, la mère de Chu Nyan ne se nomme pas Myon Fa mais Wolmae. Elle a donné une excellente éducation à sa fille, et regarde avec attendrissement l’amour grandir dans le coeur de Chu Nyan et Muron. C’est retranscrit très subtilement dans Shin Shukaden où, à certain passages, elle semble éprouver pour Muron un amour filial.
Dans l’histoire se passant à Ryonfui, le jeune fille que sauve Chu Nyan au début, se nomme Hyan Dan ; elle est dans l’oeuvre classique la servante de Chu  Nyan. A cause de sa grande naïveté, cette demoiselle se met souvent dans l’embarras et sa maîtresse doit alors lui porter secours. Il faut préciser que les personnages de Hyang Dan et Wolmae sont des éléments plutôt comiques dans l’original.
S’inspirant des personnages originaux pour créer les leurs, CLAMP ont rendu un hommage à l’oeuvre classique coréenne.
Mais tout l’intérêt de ce manga ne repose pas uniquement sur le charme des personnages. Les décors sont également très bien travaillés. Le village de «Suwol» existe vraiment sur une île coréenne. Dans ce village, le soleil se reflète si fort sur la mer qu’il est appelé «la ville des fleurs d’eau». Le «Shin Shukaden» regorge de détails susceptibles de nous surprendre nous coréens. […] La scène que j’ai préférée a été sans conteste celle où l’on apprend que Muron est «l’amenosa». C’est aussi une référence à un homme très important dans la Corée antique. L’histoire dit qu’il parcourait les routes déguisé en simple voyageur, et défendait la veuve et l’orphelin contre les hommes sortis du droit chemin. […] Commentaire de Youn In-Won, auteur de «le Nouvel Angyo Onshin» sur le Manga Shin Shukaden des CLAMP