Nouvelles

IMPRESSIONS PAPIER HANJI

Recueil de nouvelles

Atelier des Cahiers, 2011
Atelier des Cahiers, 2011

L’Atelier de Cahiers a pris, semble t-il l’habitude, en à peine trois livraisons, de nous donner à voir des ouvrages bien différents les uns des autres. Après les Pérégrinations coréennes, d’Eric Bidet et Poésie et paysage, coordonné par Yves Millet, voici Impressions Papier Hanji, un recueil de dix nouvelles franco-coréennes, réunissant des auteurs connus et d’autres auteurs, à découvrir ou déjà lus, dans les Cahiers de Corée, notamment.

Voici donc, un joli livre, soigné, au papier ivoire légèrement grainé, qui témoigne de la volonté de l’éditeur de produire des ouvrages à l’esthétique élégante et discrète. Livre courageux aussi puisqu’il nous propose des nouvelles, genre décrié en France malgré que les auteurs les plus célèbres s’y soient adonné (Balzac, Flaubert, Maupassant, Stendhal…) et qui en Corée est le genre par lequel commencent tous les auteurs, pas seulement comme exercice de style. Il est un genre à part entière, avec ses codes, ses éditeurs, ses journaux, ses revues…

Dans la présentation du recueil, François Laut évoque le propos d’Italo Calvino et le bousculement provoqué par la première impression que donne un pays, lorsqu’on le découvre. De la difficulté à saisir ce qui vient à nous, à le relier à d’autres impressions déjà vécues, à le comparer, la comparaison, cette branche à laquelle on s’accroche pour éviter l’inévitable, à la dérive de ce qui se perçoit, à l’impossible arraisonnement à un système vécu, connu, chéri au point d’en avoir fait une référence. Cette impression de la découverte, le livre la renouvelle. Chaque texte qui nus vient de Corée nous y ramène. Comme ces nouvelles franco-coréennes qui nous donnent à voir une Corée flottant entre connu et inconnu.  Particulièrement, la nouvelle d’Eun Hee-kyung,  La voleuse de fraises. Cette auteure déjà célèbre en Corée, à qui nous avons consacré le dossier du N°3 de Keulmadang (un roman et un recueil de nouvelles ont été traduits en France). La voleuse de fraises trouverait certainement  sa place dans le recueil Les boîtes de ma femme, paru chez Zulma, tant elle semble condenser la vision de l’auteure sur les relations humaines, le rapport au masculin et la place des individus dans une famille vécue comme une prison (un boucan, dit-elle). Le voyageur qui voudrait découvrir la Corée avec cette nouvelle d’Eun Hee-kyung serait sans doute bousculé, tant ses premières impressions pourraient être remises en question. L’entre-deux dans lequel se situe le statut de la femme en Corée y est terriblement apparent et magnifiquement présent. Oui, quelle première impression aurait-il ce voyageur quand il découvrirait la manière dont Kim Ae-ran, jeune auteure inconnue en France (un recueil de nouvelles est en cours de traduction) qui ne cesse de tourner autour des questions de la famille, de la place ou plutôt de la non-place d’un père réduit à des rôles pathétiques, une mère qui se débat dans  ses contradictions, entre soumission et pouvoir hégémonique et des enfants contraints le plus souvent à remplacer des parents déficients. Nouvelle illustration dans Le couteau de ma mère, où cette mère continue d’être sujet de l’amour de sa fille, tandis que le père à peine admiré pour son talent déployé à séduire la mère, autrefois, reste en fâcheuse posture aux yeux de sa fille. Dans ce texte où se déploie tout l’humour de Kim ae-ran, le couteau devient curieusement pomme de discorde, le symbole par lequel le père espère se tirer d’une situation épouvantable, avec son art légendaire du défilement devant des responsabilités devenues encombrantes.

Oui ce voyageur pourrait alors lire ses prédécesseurs. Mettre ses pas dans les traces de ceux qui ont déjà éprouvé le choc de la découverte, le plaisir, et puis souvent, l’envoûtement au point d’en perdre tout sens critique. Il lira alors la partie française de ces nouvelles, avec ce texte légèrement hybride Jours d’après de François Laut (dont on avait apprécié en 2008 la biographie de Nicolas Bouvier) qui nous ballote entre reportage et fiction. Les impressions qu’il nous donne de la Corée sont d’une profonde justesse au point que je suis certain d’avoir vu la punaise à l’agonie, que François Laut a vue, ce même jour, dans le même compartiment de ce même métro. Autre confrontation intéressante, les nouvelles d’Antoine Coppola La véritable histoire de Li Jin et de son horrible sacrifice ou celle de Eric Szczurek La joueuse de Baduk avec Madame, de Kim Da-eun, une jolie ballade sémantique, entre linguistique et érotisme, sur le mot Madame, terme en vigueur dans les room-salons coréens, ces pièces particulières d’un restaurant où l’on boit en compagnie de jolies filles sélectionnées d’avance. Dans la nouvelle Podjamatcha, de Choi Myeong-jeong, on découvre le poids de la tradition familiale imposée par le père à son fils, par jeu d’échecs interposé, quand les conditions d’entrainement auxquelles le soumet son père (et la culture sociale intériorisée) augmentent en intensité et en dureté, au fur et à mesure que le jeu perd de son influence dans le pays. Images chocs où l’enfant désire  jouer aux jeux vidéo tandis que le caniveau transporte les eaux usées et témoigne encore des conditions parfois moyenâgeuses du pays. Jeu vidéo contre tout à l’égout. Et combien, le texte de Michel Louyaut, Le poète sans nom, emprisonné dans une geôle devant laquelle l’auteur passe régulièrement, nous a rappelé le souvenir de cette ancienne prison biélorusse devant laquelle nous passions tout aussi régulièrement, l’oreille tendue aux cris qui n’étaient plus.

Ce livre débute par où nous achevons, avec un court texte d’Alain Robbe-Grillet, débarquant à Busan et tombant sur son double coréen, ce même double que nous pensons croiser chaque jour dans la tentaculaire Séoul, où la démesure dispute au fantastique, à l’instar de la nouvelle De vermis seoulis, de Stéphane Mot. Un livre à lire pour continuer la promenade en Corée, entreprise par l’éditeur et par ses auteurs.

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