Essais Sciences Humaines & Sociales

Corée du sud : l’industrie de l’apparence

 Les Coréens sont les premiers consommateurs de cosmétiques au monde. Le pays compte l’une des plus grandes industries de chirurgie esthétique. Tout commence avec un fort sentiment nationaliste, la fierté d’être coréen. Une « race pure ». Mais pour porter cette fierté, il faut avoir une belle image. Pour soi, mais aussi, pour les autres. En 2002 déjà, un sondage nous apprenait que 13 % de la population coréenne avait poussé la porte d’un cabinet de chirurgie. 

Vous, les femmes

En 2007, un sondage publié par l’université de Kyung Hee dévoile que 8 Coréennes sur 10 ressentent le besoin de faire de la chirurgie esthétique. Et 1 femme sur 2 est déjà passée à l’acte. Dans un autre sondage, sur 810 femmes âgées de plus de 18 ans, 70 % ont assuré que leur apparence était synonyme de stress.
Deux ans plus tard, en 2009, 76 % des femmes coréennes dans leur vingtaine ou leur trentaine ont subi une opération de chirurgie plastique. Les raisons de ce choix sont : 13 % pour trouver un emploi, 62 % influencer par leurs amis ou les stars, 11 % pour paraître plus jeune. Et pour celles qui n’y sont pas passées, 80 % envisagent l’opération. Le plus récent sondage début 2010 affirme que ¼ des femmes de moins de quarante ans a déjà franchi le cap. Et 90 % des femmes envisagent une première opération ou de passer de nouveau sous le bistouri. Les femmes ont-elles des critères de beauté spécifiques ? Bien sûr. L’américanisation de la société n’est pas étrangère à l’évolution des canons de beauté coréens — grands yeux, belle poitrine, longues jambes, comme on le voit dans les magazines. Pourtant, la culture coréenne a réussi à faire sienne ses critères en les conjuguant à des traits plus orientaux, telle la blancheur de la peau. Ainsi les Coréennes se font agrandir les yeux en forme d’amende et les premières pages des magazines affichent de plus en plus des icônes coréennes de la mode. Ces acteurs ou actrices sont représentatifs d’une nouvelle beauté coréenne qui correspond plus à leur désir et à leur identité.

Trouver un bon parti et se marier

La femme coréenne s’inspire des nouveaux canons de beauté qui sont l’une des clefs d’un mariage réussi. La réalité du recours à la chirurgie plastique moins par choix personnel que par injonction de la société illustre l’enjeu de l’apparence en Corée du Sud, en particulier pour les femmes. Mais alors, une question se pose : si les femmes « s’embellissent », pourquoi pas les hommes ?

Quand le macho prend soin de lui

En 2007, 86 % des hommes interrogés dans un sondage pensent qu’ils ont besoin d’une « bonne apparence ».
En 2008, 70 % des hommes interrogés envisagent des améliorations.
En 2009, les hommes représentent 15 % de l’ensemble des patients de la chirurgie plastique.

Il est vrai que beaucoup d’hommes répondent « oui » à la chirurgie. Mais de quelle sorte de chirurgie s’agit-il ? Dans une société capitaliste où la concurrence est reine, la beauté est aussi un enjeu de compétition. La renommée de l’université, les diplômes, cela compte. Alors pourquoi pas la beauté ? Les hommes coréens sont, au même titre que les femmes, de grands utilisateurs de cosmétiques, mais ils prennent soin d’eux surtout pour se maintenir au top sur le marché du travail.
Aussi, il convient de tenir la comparaison avec les femmes, qui de plus affichent une beauté augmentée en faisant appel à la chirurgie. À l’exemple des acteurs et des personnalités, de plus en plus d’hommes pensent à la chirurgie faciale (nez, mâchoire, yeux), mais sont surtout intéressés par les opérations du corps, pour rester (ou devenir) athlétiques.

Discrimination à l’embauche

Plusieurs sondages de 2009 dévoilent que :
Environ 31 % des demandeurs d’emploi ont déclaré qu’ils étaient prêts à subir une chirurgie plastique.
27,4 % des demandeurs d’emploi diplômés des universités de Corée pensent réussir moins bien les entretiens à cause de leur physique. Et 28,5 % des demandeurs d’emploi ont déjà été opérés ou l’envisagent pour se faire valoir sur le marché du travail.
Autres chiffres de 2009 : 66 % des recruteurs admettent que l’apparence du candidat et importante.  Dans les CV envoyés aux entreprises, 80 % de ces dernières demandent une photo, le poids et la taille du candidat.

Le fait de penser que l’apparence est très importante et le fait qu’actuellement il est accessible à une certaine classe sociale de remédier aux défauts esthétiques donnent à croire que les  personnes avec un physique « basique » ne prennent peut-être pas soin d’elles. Surtout pour les métiers de la communication, où il est vrai que le premier contact est important. Cette pression de plus en plus forte et surtout le chômage qui augmente dans le pays (il vient de dépasser les 10 %) font réfléchir beaucoup de jeunes demandeurs d’emploi au profit qu’ils pourraient tirer d’un simple coup de scalpel pour intégrer les grosses entreprises.

Les jeunes clientes

En 2006, 77 % des étudiantes suivent un régime. 25 % des mères coréennes qui ont une fille âgée de 15 à 16 ans suggèrent voire encouragent la chirurgie plastique à leur fille.

À l’adolescence, pas facile de reconnaître ce corps qui change, surtout lorsque les rues sont pleines de publicités affichant de belles femmes. Devant le complexe développé par leur enfant, les parents vont bien sûr apporter leur aide. Mais comment ? En offrant à leur fille, pour son anniversaire, et surtout pour sa réussite aux examens, une opération des paupières par exemple. C’est la suite logique des choses : on a un bon diplôme, mais dans les entretiens d’embauches, l’apparence joue beaucoup. Pour que ces années d’études et de sacrifices  ne soient pas vaines, pourquoi  ne pas mettre toutes les chances de son côté en faisant appel à la chirurgie plastique ?  Souvent, les jeunes filles profitent des vacances pour subir une opération, et après avoir eu le temps de cicatriser, reprennent normalement leurs études.

Un marché ouvert et qui rapporte

Tourisme médical : 60 000 « touristes médicaux » sont venus en Corée du Sud en 2009 (alors qu’en 2008 on en dénombrait 27 480.), 13,4 % exclusivement pour la chirurgie plastique.
Au moins 120 000 bouteilles de botox ont été importées ou fabriquées en Corée ; de quoi faire disparaître les rides de 400 000-500 000 personnes. Et assez de gel cohésif pour l’augmentation mammaire de 14 000 personnes. Et les prix sont attrayants. En Corée, les promotions ne sont pas réservées aux grands ensembles commerciaux. La chirurgie en bénéficie. Les chirurgiens peuvent proposer des forfaits comme : les yeux + le nez + la bouche avec une réduction. Ou alors un prix communautaire : Chirurgie des yeux de deux sœurs pour le prix d’une. Bien que l’augmentation de la demande fasse grimper les prix, les prix coréens sont en général 1000$ en deçà des prix pratiqués aux USA.

 Un effet de société

L’attraction du beau chez les jeunes est un phénomène beaucoup plus important qu’en France. Si on s’intéresse au monde des médias en Corée du Sud et aux dernières modes, on ne peut que constater que l’apparence est un véritable marqueur social. En Corée, le premier critère pour être reconnu, c’est d’être beau. En tout cas, dans tout ce qui touche aux professions médiatiques, bien que les autres secteurs n’en soient pas totalement exempts.

Ulzzang : une cyber-porte vers la célébrité

Qu’est-ce qu’un ulzzang ? Tout est dans le mot. En hangeul 얼짱(Eoljjang) est la contraction des mots « visage » et « meilleur », la traduction est donc assez simple : le plus beau visage.
Car oui, la seule particularité d’un ulzzang, c’est son beau visage.
Ce phénomène est né et s’est développé en Corée du Sud au début des années 2000, avec l’essor d’Internet, et en particulier chez les jeunes. Il existe des plateformes officielles (comme HADURI ou DAUM) où des adolescents et adolescentes entre 15 et 20 ans postent leurs photos. Des votes s’effectuent entre les internautes pour élire le plus beau ulzzang de la semaine ou du mois. Les ulzzang les plus populaires de ces sites sont alors repérés par les équipes de professionnels qui gèrent les sites et ils signent alors des contrats pour des séances photo ou encore du mannequinat. La beauté-stéréotype d’un ulzzang est la suivante : de grands yeux, une peau très claire, voire translucide, des cheveux longs pour les filles et un visage ovale et fin. Le style est également très important, un ulzzang se doit de suivre voire dicter la mode.

Bien sûr, cette beauté n’est pas sans artifices. Les yeux sont « agrandis » par des lentilles spéciales appelées circle lenset retouchés par des logiciels photo. On fait disparaître les défauts. On agrandit les yeux, on blanchit la peau et on prend une position avantageuse. Mais le plus important, et la seule condition pour être un ulzzang à titre officiel, c’est d’être 100 % coréen/ne. Il existe beaucoup de cyber starstaïwanaises ou chinoises, mais elles ne peuvent pas s’inscrire dans les concours officiels organisés pas les professionnels. La vraie beauté est donc, dans ce cas, coréenne.
Actuellement, on voit une évolution et une ouverture des styles des ulzzang : les filles peuvent avoir les cheveux courts, on peut avoir un tatouage ou avoir un style « punk ». Les ulzzang les plus populaires deviennent des mannequins, arrivent à percer dans le monde du showbiz en intégrant des agences d’Entertainment, et/ou en jouant dans des drama. Certains sont devenus de grandes stars comme Lee Joon-gi (Le roi et le Clown May 18) et Song Hye-kyo (Hwang Jin Yi).

Agence d’Entertainment, ou la fabrication de produits de consommation

Un chiffre : 90 % des jeunes chanteurs ou des stagiaires des agences d’Entertainment semblent avoir eu recours à la chirurgie esthétique, selon 10 chirurgiens plastiques de Corée.

Il existe en Corée du Sud de grandes agences auxquelles chaque star de la pop est rattachée. Les plus connues et puissantes sont la SM Entertainment, JYP Entertainment et la YG Family. Ils font passer des auditions de jeunes adolescents, qui doivent alors s’essayer au chant et à la danse. Mais qui sont surtout choisis pour leur charisme. Alors commence des années de préparation, où ces jeunes garçons et filles s’entraînent aux arts du spectacle pour ensuite former des groupes communément appelés « boys band »ou « girls band » qui feront tous les plateaux télé et les émissions musicales.
Ce qui est intéressant, c’est l’importance de l’image dans ce milieu. Ces jeunes idoles sont des icônes de mode pour les jeunes générations. Elles représentent un idéal de style et de beauté. On les voit partout : dans les publicités, les émissions de variétés ou dans des reality shows. Pour chaque groupe son style, sa personnalité, car il faut plaire au plus grand nombre. Ce sont des genres de « produits de consommation » car ils représentent une image. Une image de tendance faite pour faire rêver les jeunes. Ils portent des vêtements marque, ils sont beaux et représentent un idéal de réussite. L’agence vend aux gens  l’image qu’elle leur a fabriquée. Beaucoup ont dû passer par un relookingplus ou moins forcé. Il y a de nombreux cas supposés de chirurgie esthétique, surtout pour agrandir les yeux et faire une double paupière, refaire le nez ou les dents. Ce qui donne un ensemble homogène à cette masse de jeunes stars : ils remplissent tous les mêmes critères de beauté « coréenne » : peau claire, taille grande et fine silhouette.
Cette nouvelle génération d’idoles se place en maîtresse des tendances à suivre : quel portable, quelle marque, quelle coupe, quel style. Ces agences sont très américanisées, autant par le genre musical qu’elles proposent aux consommateurs que les canons de beauté qu’elles véhiculent.

People : Le bistouri à porter de main

La beauté est de rigueur. Car oui, la recherche de la beauté n’est pas l’apanage des jeunes stars des agences, mais de la population dans son entier (comme le montrent les sondages cités plus haut). 
En réalité, c’est une boucle infernale qui se forme avec la mode de la chirurgie : il faut se refaire le visage pour réussir, et ceux qui nous regardent et nous admirent font de même. Chacun est victime et coupable de cette mode en quelque sorte. Les opérations se font souvent pendant que la notoriété monte, pour ouvrir plus de portes. Les lèvres, le nez, la mâchoire, les yeux bien entendu.
Ce genre de comportement est surtout relevé chez la nouvelle génération d’acteurs et actrices, qui subissent la pression des médias et de leurs producteurs pour respecter un prototype de beauté.
Ils restent tout de même un grand nombre d’acteurs qui ne se sont pas retouchés, pourtant, s’ils ne sont pas passés à l’acte, certains y ont déjà réfléchi.

Petit et grand écran

Drama :

Before and after plastic surgery clinic. Ce drama de 2008, est clairement inspiré de la série américaine Nip/Tuck. Sans être aussi « choc » sur le sujet que son homologue américain, ce drama se veut divertissant et informatif, puisqu’à chaque fin d’épisode, on explique aux téléspectateurs comment on fait telle ou telle intervention.

Films :

Le film qu’il faut citer quand on parle « chirurgie esthétique » c’est la comédie 200 pounds of beauty, sortie au cinéma en 2006.
Une femme peu avenante chante derrière le rideau pour une idole adulée des jeunes, cette dernière se contentant de faire du play-back. Après avoir était humiliée et déçue par son manager, qu’elle aime en secret, elle décide de disparaître pendant 1 an, le temps de se refaire complètement, de la tête au pied. 1 an plus tard, elle est de retour sous un autre nom, bien décider à conquérir le public, et surtout, le cœur de son manager.
Loin d’être une satire sur la chirurgie esthétique ou un conte moralisateur, ce film montre au contraire que la chirurgie peut-être seulement une étape dans la recherche de soi et la quête de bonheur. La chirurgie est acceptée si la personne reste la même et qu’elle assume ses choix.
Ironiquement, l’actrice qui incarne la « fausse » beauté naturelle du film, Kim Ah-joong, est peut-être l’une des actrices coréennes les plus refaites, comme le prouvent les photos de sa scolarité que l’on trouve sur Internet. Elle est même la preuve vivante qu’une personne au physique « commun » peut devenir Cendrillon. Sauf que l’on peine à voir un soupçon de mâchoire quand on la regarde…

On peut également citer le film Time de Kim Ki Duk, dont la femme, désespérée que son mari ne la désire plus comme avant, va se refaire complètement le visage pour tenter de le reconquérir sous une autre identité.

Sans rentrer dans le thème de la chirurgie esthétique, certains films traitent le sujet de la beauté sur un ton assez pessimiste. 
Comme Beautiful, où la beauté de la femme se révèle à la fois fragile et fantastique, effrayante. On trouve un parti-pris scénaristique à contre-courant dans la tentative de la jeune femme d’échapper à la beauté en s’« enlaidissant » par la pratique anorexique ou boulimique,  troubles qui touchent normalement des personnes qui cherchent, au contraire, une certaine beauté.

Émissions TV :

Le phénomène ulzzang est si présent en Corée que depuis 2009 existe une émission de télévision Ulzzang Generation. Cette émission hebdomadaire consiste à élire parmi les plus populaires ulzzang sur Internet les futures ulzzang stars. Garçons et filles dévoilent leurs secrets et participent à des jeux pendant l’émission.

Challenge Cinderella Special Edition – Seduction of Venus.  Projet d’un duo de chanteuses les « go go girls », qui ont décidé de se refaire intégralement le visage après que, leur popularité grandissant, elles ont reçu nombre de messages dénigrant leur physique. Après que l’affaire s’est étalée dans les journaux, les deux femmes ont reçu des propositions de différents services chirurgicaux des hôpitaux.

Bien entendu, il n’y a pas de femmes au physique d’actrice de drama à chaque coin de rue de Séoul. Pas plus que d’apollon coréen. Seulement, la généralisation des opérations chirurgicales fait que les Coréennes  accordent généralement leur apparence aux normes admises et encouragées par la société  et participent l’homogénéisation des standards physiques. Autre conséquence de ce désir de perfection:  il n’est pas rare de constater une ressemblance frappante entre deux chanteuses ou deux actrices montantes. Consulteraient-elles le même docteur ?

Agathe Chabert

Sources

LEE, Min Ji. (2009). Korean Faceshttp://english.chosun.com/site/data/html_dir/2009/02/27/2009022761014.html

(Sep. 08, 2009). Plastic Surgery All the Rage Among College Studentshttp://english.chosun.com/site/data/html_dir/2009/09/08/2009090800228.html

(Oct. 26, 2009). 90% of Korean Women Would Have Plastic Surgery, Poll Shows.http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2009/10/26/2009102600798.html

(Nov. 21, 2009). Plastic Surgery Boom Reaches Alarming Proportions. http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2009/11/21/2009112100182.html

(Nov. 30, 2009). More Koreans Pin Job Hopes on Plastic Surgery. http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2009/11/30/2009113000646.html

(Apr. 23, 2010). Wannabe Stars ‘Under Pressure to Get Cosmetic Surgery’.  http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2010/04/23/2010042300367.html

(Apr. 29, 2010). 60,000 Medical Tourists Visit Korea Last Year.http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2010/04/29/2010042901309.html

The Grand Narrative. http://thegrandnarrative.com/