Enfance en livres Jeunes

Rencontre avec CHAE In-sun

Chae In sun : écrire pour donner la parole aux enfants.

Pour commencer notre entretien Chae In sun nous  présente un album en anglais:  Daughters are so wonderful! . « Un album écrit pour aider les filles », dit-elle, car en Corée, les mamans préfèrent les garçons, qui sont traditionnellement leur bâton de vieillesse.

C’est une traduction de présentation, un album-pilote, pour faire connaître le titre dans les Salons de livres pour enfants. Ça n’est pas fréquent comme façon de faire, mais quand l’éditeur pense que l’album peut avoir du succès, il fait réaliser une « maquette » pour promouvoir le livre à l’étranger.

C’est un livre où chaque page commence par la formule « Daughters are so wonderful », sauf la page consacrée à l’adolescence:

«One day, she follows her mother no more.  She spends her time alone. … »

Que raconte ce livre?

A chaque page, la petite fille grandit, c’est une étape que la maman décrit, avec tout son amour, jusqu’à ce qu’à son tour, la fille devienne mère. Il y est question de l’éducation des filles par leur mère, de tout ce qui se transmet de mère à fille. La page sur l’adolescence a été particulièrement difficile à écrire: les filles sont géniales, sauf… à l’adolescence! Où toutes les mères s’en plaignent. Je me suis littéralement tapé la tête contre les murs pour l’écrire !

Votre propre expérience vous a-t-elle inspirée?

Les bons moments, oui, mais pour cette page spéciale, sur cette période spéciale, j’avais besoin de points de comparaison, et j’ai donc sollicité l’avis de personnes diverses. Mais, toutes les mamans sont tombées d’accord. C’est une période épouvantable!

A cette époque de leur vie, les filles se préparent à se séparer de leur mère. Et c’est terrible pour tout le monde. Il fallait donc introduire différemment cette étape, pour être fidèle à la réalité. Reprendre la formule  Daughters are wonderful!  aurait été un mensonge! Mais ça n’est jamais qu’une étape, et le récit reprend à la page suivante avec cette même formule.

Ecrivez-vous en suivant un plan pré-établi, ou avez-vous une idée générale et créez-vous les étapes  au fur et mesure?

J’écris spontanément toute l’histoire, et je ne connais pas la fin. Ensuite, je reviens sur le texte et j’apporte les corrections qui me semblent nécessaires.

Deux albums sont traduits en français:  Et surtout ne sors pas, n’ouvre pas! , et  Le Chant du ruisseau . Dans le premier, on retrouve cette façon de répéter une formule pour ouvrir chaque nouvelle page. Le titre  coréen est différent :  Le bébé lapin, le bébé loup, le bébé tigre, Tami…

Oui, le principe de répétition se retrouve dans cet album, mais c’est un hasard.

Ça dépend de l’histoire, ça n’est pas programmé. Pour  Daughters are so wonderful , il existe un album français sur ce modèle, mais le « personnage » central, c’est un arbre!  Mes filles auraient préféré un autre personnage. J’ai retrouvé l’idée, et créé l’histoire des filles géniales.

Le titre français  Et surtout, ne sors pas, n’ouvre pas! me plaît, parce qu’il est attractif pour les lecteurs. J’aime vraiment bien ce titre. C’est un peu le résumé du livre, et les gens se posent la question du contenu. Par contre,  le titre coréen reste ouvert sur des points de suspension qui permettent au lecteur de s’imaginer à son tour comme un personnage supplémentaire. C’est une ouverture, le signe que cette histoire peut être celle de tout le monde.

En français, le titre évoque le conte « La chèvre et les sept chevreaux ».

Mais dans le conte, les enfants sont soumis, il faut qu’ils écoutent et qu’ils obéissent. Finalement, c’est leur maman qui va les sauver, malgré leur étourderie. Dans l’album  Et surtout ne sors pas… ,   les enfants sont plus intrépides, plus autonomes, plus responsables, ils prennent des initiatives. Cette histoire, c’est la révolte des enfants contre le principe d’obéissance sans condition!

Dans cet album, les enfants décident. D’ailleurs les petits lecteurs l’aiment bien, il leur donne la satisfaction de savoir qu’eux aussi peuvent faire cela. Et c’est le sens du titre, qui permet à chacun l’appropriation du discours de la révolte!

Les illustrations sont de Han Byungho, un célèbre illustrateur. Un grand monsieur, imposant, qui me fait un peu peur comme le dragon dessiné en fin d’album. Ce dragon n’est pas un personnage du livre, mais l’illustrateur lui-même, qui a voulu ainsi à la fois se présenter et montrer qu’il avait saisi lui aussi le message de l’histoire! C’est une intervention un peu arbitraire, mais comme ce personnage ne change rien à l’histoire, le mystère reste quant à la raison de sa présence. L’illustrateur est coutumier du fait, il aime mettre sa marque, sa touche personnelle.

Diriez-vous que l’illustration n’est pas complémentaire mais que l’illustrateur raconte l’histoire à sa manière?

Oui, mais c’est un peu dangereux. Ces rajouts par exemple,  peuvent changer le sens du texte, du message. Les gens qui dessinent ne tiennent pas forcément compte de l’histoire, mais privilégient parfois leur propre interprétation. Quand illustrateur  et auteur n’ont pas les mêmes idées pour les choix à faire, il y a conflit.

Est-ce que les illustrateurs  et les auteurs se rencontrent pour discuter d’un projet?

Ça n’est pas obligatoire, et c’est même assez rare. Parfois, lorsque auteur et illustrateur sont amis, ou qu’ils deviennent amis, ils peuvent discuter, mais pour ma part,  je n’aime pas l’idée que cela puisse influencer mon idée de départ, ma propre création. Il s’agit de mon histoire, et les illustrations ne doivent pas la déformer.

Le travail d’écriture est toujours premier. Ensuite on pense à l’illustrateur. J’écris et je réécris sans arrêt jusqu’à ce que je sois satisfaite. C’est l’éditeur qui sollicite un illustrateur, que je peux moi-même proposer. Si l’éditeur est d’accord, alors le texte est communiqué à l’illustrateur. Mais ça n’est pas une règle absolue. Tout dépend des éditeurs, des  projets.

Certains éditeurs ne sollicitent pas du tout l’écrivain, mais plutôt l’illustrateur, à qui ils proposent un texte. Ils ne les font pas se rencontrer pour éviter les problèmes. L’écrivain n’est pas toujours le centre du projet, y compris pour le choix du titre.

Par contre, comme l’expérience des éditeurs pour la jeunesse est encore récente en Corée, et qu’ils sont assez peu nombreux, les auteurs reconnus ont le statut de « conseiller » en quelque sorte. Je suis donc aussi la conseillère de certains, et comme je connais des illustrateurs, je peux exercer mon pouvoir de décision.

Avez-vous toujours écrit pour les enfants? Diriez-vous que c’est votre métier?

Oui, écrire, c’est mon métier. J’ai été éditrice, après mes études, pendant 10 ans, et je connais bien ce milieu. Je connais le travail de chacun et l’intérêt ou l’innovation que représentent le travail de chacun.

Connaissez-vous l’éditeur de Jaimimage, Lee Ho baek? Il explique dans une interview pour La Revue des livres pour enfants¹ comment s’est renouvelée en Corée l’édition pour les petits. Avec à l’époque, dans les années 90, beaucoup de petites maisons, et un travail sur la réinvention en illustration, la formation des illustrateurs, spécialisés dans le livre pour enfants.

Le Chant du ruisseau a été publié chez Jaimimage. J’ai travaillé avec lui aussi. Cet éditeur a eu une grande importance pour le renouvellement de l’édition jeunesse c’est vrai, mais il a surtout de par sa propre formation, travaillé sur l’image, l’illustration, et donné moins d’importance au texte.

Si Daughters are so wonderful vous semble dites-vous, trop coréen pour l’édition française, à cause des illustrations en particulier, qu’en est-il alors du  Chant du ruisseau , justement?

Le paysage, l’environnement urbain sont très coréens,  mais les personnages sont modernes, donc l’histoire parle à tout le monde. C’est l’histoire d’une petite fille qui va retrouver son oncle après quelques années de séparation. Et sur une bicyclette, ils vont partir à la redécouverte l’un de l’autre, en recherchant les traces du passé dans la nature transformée par l’urbanisation. Ils vont rouler loin, longtemps, mais au bout du chemin…

L’histoire de cet album est universelle, elle peut advenir dans tous les pays qui subissent le modernisme, quand le village devient ville, on perd ruisseaux, forêts et animaux. Mais ce livre est aussi l’histoire d’une relation,  d’un échange entre l’adulte et l’enfant, une relation du coeur.

En fait, c’est la bicyclette qui fait le lien. La petite fille hésite, elle n’a pas vu son oncle depuis longtemps, et elle ne sait pas trop faire du vélo, mais en surmontant cette double hésitation, ils vont retrouver leur passé commun et la nature. C’est en effet un livre sur la relation qui les unit et qu’ils réinventent. L’enfant voudra d’ailleurs en garder le secret, même lorsqu’elle retournera près du ruisseau, avec son père cette fois.

Dans Le chant du ruisseau ,  il y a deux pages qui forment une introduction au texte. Il existe ainsi plusieurs titres traduits du coréen, qui utilisent ce procédé, albums ou romans. C’est une façon d’introduire l’histoire qui rappelle le conte, et la « mise en condition » de l’auditoire. Est-ce un procédé qui dérive de la tradition orale, un procédé littéraire, ou un hasard?

Dans le cas du  Chant du ruisseau, ce texte fonctionne comme un prologue, c’est vrai.  Mais ça n’est pas récurrent dans mon travail.

La langue française utilisée dans la traduction de cet album appartient à un registre classique. Diriez-vous que la traduction du coréen en français est un travail difficile?

A mon avis, les correspondances sont plus évidentes entre coréen et français, qu’entre coréen et anglais par exemple. La  version  anglaise de mes textes me semble moins naturelle, je suis moins à l’aise avec le texte traduit. En français, la traduction du  Chant du ruisseau (de Patrick Maurus et Yang Jung hee) me convient tout-à-fait, elle me semble parfaitement fidèle au texte initial. Mais peut-être ce sentiment est-il dû à la grande proximité affective que j’entretiens avec la langue française, que j’ai étudiée longtemps.

Avez-vous d’autres projets de traductions en français, ou d’écriture , de romans par exemple?

J’ai bien un projet de roman. Un roman sentimental, pour les jeunes. Mais j’ai besoin de prendre un peu plus de distance par rapport à mes propres enfants. Je souhaite parler de ma propre jeunesse, et de la leur. Pour cela j’ai besoin qu’elles aussi vieillissent!!

Même si elles sont aujourd’hui presque sorties de l’adolescence, et que je reprends peu à peu mon indépendance par rapport à leur jugement sur mon travail. De mon côté, j’évoluerai sûrement vers une écriture plus mature, qui me permettra peut-être un jour d’écrire aussi pour les adultes.

Pourquoi justement avoir choisi d’écrire pour les enfants?

En tant qu’adulte, je souhaite aider les enfants à grandir, et ils en ont besoin dans ce monde contemporain si difficile. Au départ, j’avais le sentiment qu’ils avaient vraiment besoin de considération, de respect de la part des adultes. Ils avaient besoin que quelqu’un écrive « pour » eux, à leur place.

C’est comme ça que j’ai également rédigé un dictionnaire encyclopédique à l’usage des enfants. Je travaillais en tant qu’éditrice à l’édition de l’Encyclopedia Britannica en Corée, mes filles étaient alors très jeunes, et elles me posaient des tas de questions sur …tout! J’ai donc imaginé un dictionnaire qui présenterait ce « tout » à un public d’enfants. Cela a été une petite révolution dans le monde de l’édition. Jusqu’alors, l’édition coréenne pour la jeunesse se préoccupait essentiellement de l’éducation des enfants, dans le sens de la transmission des valeurs, des principes, des codes. Pour ma part, je partais des questions des enfants et je cherchais des réponses qui leur conviennent, qui aient du sens pour eux. C’est ainsi que je suis devenue peu à peu la voix des enfants dans l’édition des années 90.

Vos paroles évoquent pour moi le mouvement de l’édition jeunesse en France dans les années 70: la parole donnée aux enfants.

Je n’avais pas de formation classique d’écrivain, je ne sortais pas du moule, ni du sérail, et même si je travaillais déjà dans l’édition, je n’étais pas connue.

En plus, je n’étais pas « gentille », pas complaisante. Ma façon de mettre en avant la parole des enfants, comme dans l’album « Surtout ne sors pas, n’ouvre pas », était très novatrice, presque révolutionnaire! Pourtant, je ne faisais que m’inspirer des enfants qui vivaient autour de moi, de leurs questions, de leurs réflexions. Mais c’était complètement inédit en Corée à cette époque. On a beaucoup dit, dans le monde des critiques, que j’étais influencée par l’Occident, par mes études de Français. Je ne sais pas, mais en tout cas, c’était mon idée, d’écrire comme ça, et je l’ai défendue.

Diriez-vous que vous êtes à l’initiative d’une nouvelle forme d’écriture en littérature jeunesse coréenne?

C’est vrai que la traditionnelle opposition entre textes réalistes et textes de « fantasy » est aujourd’hui dépassée, et que la vision de l’enfant a changé parmi les auteurs. En fait, je pense que chez les enfants, ces deux mondes se mélangent , en une sorte de « magic realism », comme dans la chanson « La vie en rose » et j’écris pour exprimer ce sentiment. Les critiques se disputent pour décider de la catégorie dans laquelle ils classent mon travail: réalisme? Fantasy? Ils ne sont pas gênés à une époque pour me critiquer , critiquer mon travail, mais je vous l’ai dit, je suis sans complaisance, et je n’ai pas renoncé à mon idée. Ainsi, après avoir été « le centre du problème », je suis devenue celle qui a ouvert la voie à une nouvelle génération d’auteurs, et aujourd’hui, je suis plus tranquille, les critiques ont trouvé d’autres cibles.

Par dessus tout, le soutien est venu des mamans, mes plus grandes fans, celles qui ont compris pourquoi je voulais écrire différemment et sur d’autres sujets, pourquoi je voulais donner la parole aux enfants.

Merci Chae In sun

Entretien réalisé par Han Jihee et Véronique Cavallasca


¹« Pourquoi un tel essor du livre illustré dans le paysage éditorial coréen ? », de Lee Ho-baek, p. 85, La Revue des livres pour enfants, La littérature de jeunesse en Corée du Sud, n° 253, juin 2010.

[box border= »full »]Pour en savoir plus:

http://www.changbi.com/author/content.asp?pAID=0444

http://www.jaimimage.com/en/author.php?tag=1&page=2&page=3

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Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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