Café 0405, YI Hyeon - Chan-ok, Flammarion, 2012
Café 0405, de YI Hyeon
Chan-ok, Flammarion, 2012

L’action se passe dans un collège, et la narratrice est une jeune fille tranquille, qui attend de grandir, et semble satisfaire à tous les critères de la gentille fille bien élevée qui ne se fait pas remarquer. Dans la classe de Bora, une élève a imaginé ouvrir un blog à destination des seuls élèves de cette classe, Café 0405. Les jeunes se livrent là à un dévoilement de leur personnalité, de leurs goûts, de leurs inquiétudes et de leur soucis, à des confidences en réalité, que la couverture du pseudonyme semble leur autoriser sans risque. Ouvrir son journal intime sans s’exposer directement, jouer avec le feu en toute sécurité, c’est bien là semble-t-il, une des fonctions essentielles de ce réseau.
Or quand la tante de Bora doit effectuer son stage de qualification dans ce collège, la jeune fille en conçoit beaucoup d’inquiétude. Le lecteur peut imaginer que la relation familiale la gêne, puisque en France non plus, les relations familiales entre professeurs et élèves ne sont pas toujours faciles à vivre. Mais en réalité, Bora a surtout peur que soit révélée publiquement la condition de mère célibataire de cette jeune tante dynamique et indépendante. Lorsque sur le blog des élèves de la classe, des photos piratées sont publiées, l’avenir social de la jeune femme est vraiment menacé.
Le roman découvre là un aspect différent de la société coréenne pour les jeunes lecteurs français : chaque pays a ses codes. En Corée, il semble que le code des « bonnes moeurs » impose encore sa loi, et stigmatise ceux qui s’en écartent, volontairement ou pas. En France, la tolérance vis-à-vis de ces jeunes mères est encore assez récente, mais il est possible que dans ce pays où les familles éclatées, recomposées, sont aujourd’hui si nombreuses, cet ostracisme envers une catégorie parentale soit plus difficile à imaginer pour des adolescents.
Car si chacun est responsable de ce qu’il publie sur lui-même, lorsqu’un des élèves publie ces photos volées, la question de la morale se déplace : comment considérer le piratage de données, leur détournement à des fins malveillantes, qui aboutit finalement à stigmatiser davantage la victime du piratage, au lieu de condamner son auteur ?
Le roman prend alors un nouveau chemin : les élèves, soumis à une autorité professorale apparemment sans limites, sont sommés de dénoncer des camarades, accusés de fréquenter un bar où la musique, le comportement des jeunes, transgressent eux aussi le code. L’un d’entre eux va filmer avec son téléphone le professeur qui frappe sans retenue un élève, et publie le film sur le blog Café 0405. Le système qui condamne une jeune mère célibataire, nourrit en même temps les serpents de l’autoritarisme et de la violence, pour réduire les jeunes volontés …
La diffusion de ces images correspond à un autre usage de la communication numérique, celui de la dénonciation publique des atteintes aux droits de l’homme par exemple. L’élève qui prend cette décision se démarque du groupe, peut-être parce qu’il a longtemps vécu à l’étranger ou qu’il veut
devenir journaliste. Il assume cette évolution de l’utilisation d’un outil, jusqu’alors simple dérivé du journal intime.
Bora, qui raconte cette histoire, va mûrir en prenant conscience qu’elle ne peut pas rester indifférente aux injustices autour d’elle, et lorsqu’à son tour elle est attaquée, menacée, soumise au chantage, elle va se rebeller elle aussi, et résister. Là encore, c’est l’individu qui s’affirme, contre le groupe, voire contre la société.
L’auteur utilise l’image d’une Corée à la pointe de la modernité, pour dénoncer l’anachronisme d’un code moral à la fois dépassé et pourtant très anxiogène. La société coréenne est encore prisonnière d’une forme de puritanisme, qu’elle n’hésite pas à imposer violemment, en contradiction avec l’image décomplexée du capitalisme triomphant véhiculée dans le monde. Les adolescents représentent dans ce roman le symbole et le fer de lance de l’évolution de la société coréenne.
Un roman de forme classique, ce qui en facilite la lecture, dont l’argument séduira tous les lecteurs concernés par la place et le rôle des adolescents dans la société contemporaine et dont la liberté de ton, sous cet apparent classicisme du texte, est importante à signaler.

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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