Arts en stock Cinéma/Drama

Le développement de l’imaginaire littéraire et cinématographique

Des années 70 au milieu des années 90

70-90
Mandara (1981)

La culture coréenne était à cette époque dans une ère de transition. Sous la dictature militaire instaurée dans les années 70 et qui a pris fin au début des années 90, la liberté artistique était limitée. Mais l’arrivée de la génération dite « hangeul« , l’appétit culturel croissant du public et l’arrivée de la démocratie ont conduit au foisonnement de la culture populaire dans les années 90. Dans ce contexte historique, les champs littéraires et cinématographiques se sont naturellement rapprochés. Dès lors, certains auteurs ne sont se sont plus cantonnés à l’écriture de scénarios, mais ont aussi œuvré en tant que producteurs. D’autres encore ont tissé des liens privilégiés avec des metteurs en scènes.

 De la fin des années 60 aux années 70, Kim Sung-ok était un écrivain sans égal. Considéré comme l’un des meilleurs auteurs modernes des années 60, son écriture a marqué toute une époque. Avant de faire ses débuts en littérature, il a travaillé en tant que dessinateur pour un journal. Puis, en parallèle à l’écriture littéraire, il s’est tourné vers la création de scénarios et la réalisation. Dans son autobiographie, The lord I met, il avoue qu’après avoir tourné Potato (1968), il fut déchiré entre le désir de poursuivre une carrière en tant que metteur en scène et celui de se consacrer tout entier à l’écriture. Certes, le film n’est pas considéré comme un chef-d’œuvre, mais il a ouvert la voie aux réalisateurs des années 70, époque où le cinéma s’est épanoui. Il a ainsi mis en évidence la multiplicité des talents de son auteur.

Kim Sung-ok fait ses débuts avec la bande dessinée Old man pagoda, une satire politique de l’époque. La Corée vivait alors l’apogée de la révolte étudiante du 19 avril 1960, qui constituera une étape décisive dans l’organisation des médias coréens. Il écrit son premier scénario pour Mist, adaptation de sa nouvelle la plus célèbre, « Voyage à Mujin ».  Réalisé par Kim Soo-yong, le film devient une œuvre importante dans l’histoire du cinéma coréen. Il travaille ensuite sur les scénarios de Hometown of the stars réalisé par Lee Jang-ho et Yeong-ja heydays de Kim Ho-sun. Le premier est basé sur le roman à succès de Choi In-ho, écrivain qui mêla avec habileté littérature classique et culture populaire. Le second est une adaptation de la célèbre nouvelle de Jo Seon-ja.

L’adaptation de romans à l’écran  était en vogue à cette époque. La plupart des meilleures ventes en librairie furent d’abord publiées sous forme de feuilleton dans des journaux. Le public suivait alors ces épisodes avec le même engouement que les séries diffusées à la télévision. Ces feuilletons devenaient ensuite des romans et rencontraient généralement un vif succès dès leurs publications. La négociation des droits sur ces feuilletons à la fin de leur diffusion dans les journaux était alors une pratique courante des producteurs de cinéma.

 

 Trois grands romans ont bouleversé la culture populaire coréenne des années 70 : Yeong’s heydays de Seon-jak, Hometown of the stars de Choi In-ho, et enfin Winter woman de Jo Hae-il. Les jeunes héroïnes qui apparaissent dans chacune de ces histoires, Youngya, Kyungha et Leehwa, allaient devenir les icônes de cette décennie. Les deux premières sont (tour à tour) hôtesses ou prostituées. Le fait que les héroïnes de deux des romans les plus vendus des années 70 soient des prostituées en dit long sur cette décennie. Ces personnages illustrent les destins de femmes issus de milieux pauvres, parties pour la ville en quête d’un meilleur avenir. Ils sont aussi révélateurs d’une époque qui utilisa plus en plus l’image de la femme à des fins commerciales. Les morts tragiques de ces héroïnes sont tout autant significatives.

Parmi les écrivains les plus lus dans les années 70, l’œuvre de Cho In-ho se distingue particulièrement. Cet auteur travaillait alors en équipe avec l’un des plus talentueux metteurs en scène coréen, Ha Gil-jong. De nombreux articles racontent que le réalisateur considérait Cho In-ho comme son propre frère, et le laissait participer au tournage. Le film le plus célèbre issu de ce partenariat est The march of fool. L’histoire, d’abord publiée dans une revue universitaire, devint par la suite un roman, et enfin, un film. Il a pour thème la culture étudiante des années 70, et reste avec le roman l’un des emblèmes de ce mouvement. Le film dresse à la fois le portrait de la jeunesse coréenne de cette époque, et celui de l’écrivain et du metteur en scène.

Dans les années 80, Cho In-ho s’associa avec un autre réalisateur : Bae Chang-ho. Après la mort subite de Ha Gil-jong  en 1979, l’écrivain était à la recherche d’un nouveau partenaire pour porter ses œuvres à l’écran. En la personne de Bae Chang-ho, il trouva un maître du genre, qui allait donner un nouveau souffle à ses romans.

Leur collaboration débuta en 1983 avec The flower at the equador, suivi en 1984 du road movie Whale hunt, genre plutôt inhabituel pour les coréens à l’époque. Avec Deep blue night, réalisé l’année suivante, les efforts du tandem furent une nouvelle fois couronnés de succès. Le film traite du mirage du rêve américain, et analyse sans concessions les illusions et les affres de l’américanisme qui affecta le pays dans les années 80. Cho In-ho et Bae Chang-ho réalisèrent par la suite plusieurs films, parmi lesquels Hello god. Leur dernière réalisation fut Stairways of heaven en 1991. Il marque la fin d’une fructueuse collaboration, considérée encore aujourd’hui comme l’une des plus remarquables dans l’histoire du cinéma coréen. Les romans de Choi In-ho devinrent célèbres aussi entre les mains d’autres réalisateurs. Le meilleur exemple est le film de Kwak Jikyoon’s, Winter wanderer, sorti en 1986. L’immense succès de ce film montre bien à quel point l’écrivain était populaire à cette époque.

 Il y eut bien évidemment d’autres grands auteurs en dehors de Choi In-ho pendant ces années. Dans les années 80, sous l’égide de Yi Mun-yol, quantité d’auteurs firent leur apparition. Comparé au romantisme de Choi In-ho, ceux-ci apportent une vision critique de la société. Les travaux de Yi Mun-yol et d’autres écrivains ont attiré l’attention de nombreux réalisateurs. De nos jours, Im Kwon-taek fait partie des plus talentueux. A ses débuts dans les années 80, il réalisa une série de films remarqués, très différents de ses tentatives de la décennie précédente. Ses films Tear of the idol (1981), d’après le livre du même nom de Jeon Sang-guk, et Mandara (1981), une fidèle adaptation du roman philosophique bouddhiste de Kim Seong-dong, mettent en image les œuvres littéraires les plus marquantes du début des années 1980. La petite balle lancée par le nain de Cho Se-hui, l’une des meilleures ventes de romans en Corée toutes époques confondues, sort de l’ombre et est portée sur grand écran par Lee Won-se.

 La deuxième moitié des années 80 voit accroître le nombre de  collaborations entre auteurs et réalisateurs, ce qui a considérablement diversifié la culture cinématographique coréenne. A wanderer never stops, réalisé par Lee Jang-ho à partir du roman de Lee Je-ha, en est un bon exemple. Le film, qui met en relation la souffrance d’un pays divisé et le chamanisme coréen, est sans doute l’une des meilleures réalisations parmi les films d’auteurs de l’époque. Le même metteur en scène avait déjà obtenu un gros succès dans les années 70 avec Hometown of the stars, d’après le roman de Choi In ho.

Au fur et à mesure des années, ses films devinrent plus personnels et introspectifs. Et en relevant le défi d’adapter un roman de Lee Je-ha, il s’aventura aussi dans la voie du cinéma expérimental.

Yi Mun-yol était l’un des auteurs les plus lus dans les années 80. Nombreux sont ses romans qui ont été transposés au cinéma, le premier étant Son of a man en 1981. Après avoir réalisé After that which falls has wings en 1990, et Our twisted hero en 1992, son influence devint encore plus grande. Our twisted hero, qui a pour cadre une école primaire, traite sous forme d’une fable les dérives du pouvoir et de l’autorité. Le livre comme le film expriment la quintessence de la vision du monde de l’auteur. Les romans de Yi Mun-yol reprennent généralement la structure du rite de passage souvent utilisée dans la littérature classique allemande, et la beauté et l’élégance de sa prose ont contribué à sa grande notoriété. Après les années 80, des écrivains comme Ma Kwang-soo, Hail-ji, et Jang Jung-il introduisirent la sexualité dans la littérature et attirèrent l’attention du public.

 Le réalisateur Jang Sunwoo s’est concentré sur l’adaptation au cinéma des écrits de ces auteurs. Son adaptation du roman de Hailji « The road to racetrack », paru en 1991, lança la fameuse formule « En quoi croyez-vous ? » et rencontra un vif succès. Et en 1994, l’adaptation de From me to you écrit par Jang Jung-il, introduisit de façon audacieuse le problème de la sexualité dans le cinéma coréen. Parmi les autres adaptations des romans de Jang Hung-il figurent le film du réalisateur Kim Ho-sun, When Adam opens his eyes (1993).

Les œuvres de l’auteur Ahn Jung Hyo White badge et The silver stallion will never come ont également été portées à l’écran. Ces histoires exploraient de nouveaux champs, inédits dans la littérature coréenne : l’horreur et le traumatisme de la guerre.

 Au début des années 90, le vent de la démocratisation souffla sur la société coréenne. A cette époque, aucun réalisateur ni écrivain ne dominait particulièrement la scène artistique, on assista à l’apparition de quantité d’œuvres où se confondaient les frontières du sacré et du profane. L’évocation explicite de la sexualité s’est imposée non seulement en littérature mais aussi au cinéma, ce qui eut pour effet d’ouvrir de nouvelles perspectives d’investigation sur des questions taboues. Alors que les œuvres d’Ahn Jung Hyo s’intéressaient, entre autres, aux problèmes de compréhension de l’époque de la guerre et aux réminiscences amères du passé, les histoires de Hail-ji et de Jang Jung-il, sous l’objectif de Jang Sun-woo, ont admirablement capturé l’esprit des années 90. Leur propos était davantage d’exprimer les sentiments de l’individu urbain, plutôt que les stigmates de l’histoire. Bien sûr, ces stigmates sont toujours perceptibles dans des interrogations telles que « En quoi croyez-vous ? ». Mais dans le roman de Jang Jung-il, When Adam opens his eyes, c’est un homme (et non une femme) qui vend son corps dans l’unique but de pouvoir s’acheter tout ce qu’il veut. Ce roman initiatique reflète l’esprit des années 90.

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