Enfance en livres

Jang et les livres interdits


de Yi Yong-seo

Le roman, situé au XIXe siècle, raconte l’histoire d’un enfant du peuple, Jang, dont le père, copiste, est mort torturé pour avoir copié des textes catholiques, destinés à circuler sous le manteau. Recueilli par Chae, un libraire converti, Jang Mun devient à son tour un « artisan de l’écriture ». Grand lecteur de romans, il trouve une oreille amicale auprès de Hong le fonctionnaire bibliophile, éclairé et curieux des idées occidentales, avec lequel il commente la difficulté des textes doctrinaux en chinois classique, au « programme » de l’éducation confucianiste. Il entrevoit d’autres inégalités lorsqu’il rencontre Naksim, « Déception », la petite fille vendue par un père qui n’attendait qu’un fils, à des courtisanes cloîtrées dans leur pavillon et frustrées de n’être « que » des femmes…
Les romans copiés et diffusés clandestinement qui conquièrent un public féminin aisé, qui lit le coréen, alors que les gens du peuple n’en ont eux-mêmes pas encore la possibilité. Les missionnaires travestis, les textes interdits dissimulés sous de fausses couvertures… le roman évoque ainsi de nombreuses problématiques inhérentes à la société coréenne de l’époque. Dans le cadre d’une proposition de lecture, il sera judicieusement associé à d’autres textes comme Les lettres du secret et Fleur de Jade , autres romans évoquent les coutumes et les évolutions de la société coréenne. Mais alors que le roman fourmille de détails, on ne sait rien de la survie de Jang, petit bonhomme de huit ans, à la mort de son père, longtemps avant la réapparition de Chae, le libraire qui le prend en charge… On comprend mal aussi le rôle du brigand repenti sauvé par les courtisanes catholiques, mais qui les trahit et les dénonce à la première occasion. Le jeune héros est sympathique et convaincant, les illustrations fines et détaillées de l’exceptionnel Kim Dong-seong, avec une mise en couleurs chaleureuse sont particulièrement séduisantes, mais l’époque littéraire est justement à la précision : les univers peuvent être totalement inconnus, comme dans les dystopies à la mode, la cohérence entre tous ces détails « réalistes » séduit le jeune lecteur contemporain, et le fidélise. Jusqu’à le rendre accro aux sagas interminables. Le récit historique, pour lequel il faut faire des choix, est un genre très difficile en littérature jeunesse.
Dans ce roman-ci, l’intrigue permet d’évoquer les contraintes d’un univers historique très différent.
Au XIXe siècle, en Europe, la révolution industrielle est déjà en marche, avec la démocratisation du savoir, l’idée de l’école pour tous… En France, la religion catholique est institutionnalisée, mais c’est la laïcité qui s’imposera au début du XXe siècle. L’émancipation des peuples passe alors par l’abandon de la soumission à une religion qui fige les comportements sociaux. En Corée, par contre, à la même époque, le catholicisme s’appuie sur ses principes chrétiens d’égalité entre les hommes, en complète contradiction avec le système ancestral de hiérarchie pyramidale coréen, lui-même issu de la doctrine confucéenne importée de Chine.
Le pouvoir, dans le « royaume ermite », combat l’arrivée d’idées dangereuses pour la pérennité du système, sous surveillance policière (il est mentionné un couvre-feu à Hanyang-Séoul), où la liberté de penser n’existe pas, la diffusion livresque est contrôlée, donc la religion catholique peine à se frayer un chemin qui restera marqué par le martyre des missionnaires et des premiers convertis, et dont le roman se fait l’écho.
Ici, le contexte historique sert de cadre au message de l’auteur : il faut parfois risquer sa vie pour défendre ses idées, et surtout le savoir et l’éducation ne doivent pas être le domaine réservé d’une élite qui en userait pour asservir le peuple.

Un roman qui participe à l’éveil des consciences et pour ce qui concerne la traduction, en évoquant une époque tout à fait révolue, cherche à susciter la curiosité des jeunes lecteurs pour un pays et une culture encore bien peu connus d’eux: pour tout cela, Jang et les livres interdits est un vrai pari. À promouvoir.

 


JANG ET LES LIVRES INTERDITS
DE YI YEONG-SEO. Illustrations : KIM DONG- SEONG
Traduit du coréen par Françoise Nagel et Lim Yeong-hee,
Bayard jeunesse, 172 pages, 13.90 €.

 

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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