Portraits d'Auteurs

Interview Kim Kyung-uk

L’écrivain Kim Kyung-uk

Dès l’entame de votre roman Comme dans un conte, vous prenez le lecteur à rebours. Celui-ci doit replonger dans l’imaginaire de l’enfance avant de revenir lentement dans le monde réel…

Chaque fois qu’il ouvre un de mes livres, le lecteur doit s’armer de patience [rires]. Tous les contes de fées se clôturent systématiquement par un beau mariage et la promesse d’une vie heureuse — consacrée par la formule « et ils eurent beaucoup d’enfants ». Mais pour savoir ce qu’est l’amour véritable, il faut attendre après le mariage. C’est-à-dire, ce que les contes de fées ne nous montrent pas. Il faut aller au-delà du moment merveilleux de la rencontre et éprouver à l’usage, dans la trame de la vie quotidienne, la sincérité et la solidité des sentiments du couple. En général, chaque fois que la question de la vie de couple est abordée, il s’agit de montrer ses difficultés, le divorce, la place de l’individu dans la famille, etc. Il est vrai que c’est assez révélateur de ce qui se passe dans la société coréenne, où l’on ne cesse de constater l’augmentation du nombre de divorces et le délitement du modèle familial. Le parti-pris esthétique de teinter cette histoire d’amour de merveilleux permet d’avancer de surprises en petits drames sans jamais plonger dans le tragique.

 

Est-ce qu’utiliser certains des codes du conte de fées est aussi une manière de montrer que le besoin de croire ­— dans votre cas, le besoin de croire en l’amour — est constitutif de notre existence ?

Il est vrai que mes personnages, étant donné les difficultés de la vie de couple et les surprises que la vie leur réserve, ont besoin de croire en l’amour ! Ils se marient, divorcent, se marient à nouveau… Leur plus grand défi est de trouver la bonne personne, celle qui va incarner ce sentiment. Lui faire confiance pour affronter ensemble les épreuves de la vie, pour enfin se réaliser pleinement.

 

Dans la revue Europe¹, vous avez publié une nouvelle intitulée « Dangereuse lecture ». Elle aussi empreinte de culture populaire…

Il s’agit d’un bibliothérapeute qui s’éprend de l’une de ses patientes. Comme son métier l’exige, ce “médecin de l’âme” a une grande connaissance livresque et lit en ses patients comme dans un livre ouvert… Du moins, c’est ce qu’il croit. Après que sa patiente a surmonté ses complexes et met un terme à ses consultations, il se met a suivre sa trace en lisant son blog de manière compulsive [pour être plus précis, un réseau social baptisé Cyworld, très populaire en Corée il y quelques années]. Alors pourquoi « dangereuse lecture » ? Tout simplement parce que cet homme s’est emparé du mot littérature, mais pas du sens. Il accumule les lectures, cela sans ressentir la moindre émotion, et finit par tomber amoureux de la personne à laquelle il apporte conseil. En quelque sorte, il se fait analyser par sa patiente : le piège de la lecture se referme sur lui. La lecture a cela de dangereux qu’elle vous incite à vous remettre en question, c’est un dialogue avec vous-même où il vous est impossible de mentir. Rien n’est anodin dans cet acte. Dans « Dangereuse lecture », le but était de montrer l’empreinte de nos désirs dans différents médias (livre, Internet).

 

Dans la société coréenne contemporaine, le roman critique volontiers l’ampleur du phénomène de la « culture de masse » issu de l’avènement de l’Internet. La littérature des années 2010 met en exergue la place de l’individu dans la société du numérique…

Oui, ce sont les interrogations sociales du siècle. D’un côté, les individus revendiquent un mode d’expression singulier, mais de l’autre côté, ils sont coulés dans le moule de la culture de masse.
Je puise mon inspiration en écoutant, regardant ou lisant ce qui plaît aux gens. Moi-même je suis peut-être pris au piège de ce phénomène culturel qui tend à standardiser les goûts. C’est assez ironique quand on y pense.

 

Pensez-vous que les écrivains et les lecteurs aient à jamais tourné le dos à une littérature dirigée vers la communauté ?

En y regardant de près, je ne trouve pas qu’il y ait tant de différences avec la littérature des années passées. Les interrogations ont évolué sensiblement avec le développement technologique et économique, mais fondamentalement les individus courent après le même but : ils cherchent cet autre qui les reconnaîtra.

 

Interview réalisée par Julien Paolucci. Traduction : Seo Woori

 


¹Revue Europe, mai 2010 n° 973, p. 266-272.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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