Romans

Interview Jung Myeong-seop

Séoul zone interdite¹ est votre premier livre traduit en français. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots? Quelles sont notamment vos influences littéraires?

Mon œuvre traverse différents genres littéraires : des romans de zombies, des romans policiers et historiques, la littérature jeunesse et les contes pour enfants. Avant de vivre de mes écrits, j’ai travaillé en entreprise et même, pendant un temps, comme barista. En dehors de mon activité d’écrivain, je donne des cours et participe à une émission de radio et à un podcast. Mes centres d’intérêt comme mes textes sont très variés. Petit, j’aimais déjà la lecture, les romans policiers en particulier. Arsène Lupin et Sherlock Holmes sont mes idoles de jeunesse.

Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue?

Au début des années 2000, une discussion a été lancée sur le transfert de la capitale. Beaucoup de Coréens étaient contre cette idée, car il était hors de question pour eux d’abandonner Séoul, capitale de la Corée depuis plusieurs siècles. J’ai imaginé ce qu’il adviendrait du pays si Séoul disparaissait. Il fallait l’intervention d’une catastrophe de grande ampleur pour en arriver à cette extrémité. C’est comme ça que m’est venue l’idée de la guerre nucléaire et de l’apparition des zombies. C’était le seul moyen pour enlever définitivement Séoul à ses habitants. Le développement de l’intrigue a découlé naturellement de ce paysage familier.

Le prologue s’ouvre sur une attaque nucléaire nord-coréenne. Faut-il y voir la crainte d’une catastrophe à venir?

J’ai terminé la rédaction de mon roman à l’hiver 2011, époque à laquelle on apprenait le décès du dictateur Kim Jong-il. J’ai dû rectifier à la hâte quelques passages pour coller à la nouvelle situation. Cela m’a ramené au décès Kim Il-sung [NDLR : fondateur et premier président de la Corée du Nord]. À l’époque, j’effectuais mon service militaire et cet événement avait aggravé les tensions entre les deux Corées. La situation était instable. Il est vrai que je m’intéresse beaucoup au sujet des zombies et à la guerre, mais seulement comme jeu de l’esprit, en tant que matériau de base d’une fiction offerte au lecteur. Nos compatriotes qui ont vécu la guerre de Corée (1950-1953) ne connaissent que trop bien l’horreur de la guerre. (À ce propos, je tiens à remercier la France d’être venue à notre secours pendant la guerre en envoyant des Casques bleus.) Depuis l’élection de Trump, les relations avec la Corée du Nord suivent un mouvement de tensions/relâches. Je ne dis pas qu’il faut voir dans mon roman quelque chose comme de l’anticipation ; pour autant, depuis qu’en 1994 les États-Unis ont émis la possibilité de procéder à un bombardement pour stopper le programme nucléaire nord-coréen, tout reste envisageable. Et surtout le pire.

L’emploi du motif zombie, à grand renfort d’effets visuels, implique généralement une réflexion sur les conditions de survie dans un monde dévasté. À l’inverse, dans votre roman, les créatures sont confinées dans un périmètre restreint — Séoul en l’occurrence — et l’épidémie est endiguée. Qu’incarne la figure du zombie ?

Dans nos sociétés contemporaines, le zombie peut représenter plusieurs métaphores. Le plus souvent, il symbolise l’individu noyé dans la masse, sans personnalité. Un zombie seul semble dépourvu de volonté propre, définitivement inapte, mais dès que le nombre de créatures grandit et qu’elles se constituent en hordes, la machine zombie broie tout sur son passage. J’ai eu recours à cette figure qui me semblait un moyen efficace pour faire disparaître Séoul. Tant que les zombies occupent la capitale, les habitants n’ont aucune chance de récupérer leur ville. Le zombie est l’instrument pour déposséder les Coréens du lien affectif qu’ils entretiennent avec la grande ville du pays.

Le roman se compose de dix chapitres qui s’organisent chacun autour d’une nouvelle mission. Un peu à la manière du « héros » d’un jeu vidéo qui progresse d’un niveau à un autre avec de nouveaux objectifs à atteindre. Pouvez-vous apporter quelques précisions sur l’architecture du récit?

Je pense qu’un roman qui fait intervenir des zombies a nécessairement une dimension visuelle. Notre héros effectue des missions qui consistent à récupérer des objets et au cours desquelles il affronte des zombies… Ce sujet est bien loin des préoccupations d’un écrivain de littérature classique. Mon travail est influencé par les romans policiers, les jeux vidéo, les films ainsi que les séries télévisées. Ces différentes sources ont forgé le style de mes récits : une construction narrative conçue comme un ensemble de niveaux et des personnages qui, partant d’une situation initiale, doivent traverser une série d’épreuves pour remplir leur mission. La narration de Séoul zone interdite s’articule selon ce principe.

La violence des images ajoutée à la séquence des événements donne l’impression que le roman est près de basculer dans le livre d’actions, en proposant au lecteur de se « défouler » par la fiction. Qu’en pensez-vous?

Un roman est différent d’un film. Il a des exigences de cohérence narrative classique auxquelles se soustraient les œuvres visuelles telles que les films ou les séries télévisées. Il faut en particulier que le suspense soit entretenu suffisamment longtemps pour que le lecteur ait envie de tourner les pages. Pour ménager sa curiosité, un bon moyen est de l’amener à envisager ce qui peut se passer après la catastrophe, en faisant de lui le témoin privilégié des événements. Les zombies, les scènes de combat ou de poursuite participent de l’immersion du lecteur dans l’histoire. Je veux faire ressentir des émotions fortes à mes lecteurs comme j’aime en éprouver moi-même lors de mes lectures.

On assiste à la dissolution de l’humanité. La violence s’exerce partout et entre les individus. Finalement, est-ce que les hommes ne seraient pas plus dangereux que les zombies?

Parmi les êtres vivants, les hommes sont les plus dangereux. En cas de catastrophe à grande échelle dissolvant la civilisation, je suis curieux de savoir si l’homme ne vivrait pas un retour à l’état de nature qui exacerberait son animalité. Un monde où régnerait la loi du plus fort. Quelle serait notre part d’humanité ? Dans ce monde nouveau, à coups sûrs les hommes seraient plus à craindre que les zombies.

Il faut attendre les derniers chapitres pour transformer cette logique d’actions et de violences, lui donner un sens. L’intrigue se corse dramatiquement puis rencontre son dénouement. On assiste à une sorte d’accélération…

J’aime beaucoup la structure des romans policiers, où l’on assemble les pièces du puzzle dans la dernière partie de l’histoire pour découvrir l’auteur du crime. Mes intrigues sont bâties selon la même règle de construction. Lire un livre de plusieurs centaines de pages représente un grand investissement et un sacrifice dans la société contemporaine toujours pressée. Je préfère que l’action se dénoue à la fin, celle-ci intervient comme un « paiement » qui récompense l’attente du lecteur. On me pose souvent la question : comment interpréter la fin du roman ? Est-elle négative ou positive ? À chaque fois, je donne la même réponse : c’est à vous, lecteur, de juger.

L’action se concentre autour de quelques lieux emblématiques de la capitale (le Musée National de Corée, l’île de Seonyu, etc.). Cette découverte de la ville de Séoul par la fiction constitue-t-elle un pan important de l’œuvre? Quelle place tient le travail de documentation dans l’élaboration du récit?

Excepté le toit du musée national, je me suis rendu à tous les endroits évoqués dans le récit. C’est en lisant World War Z que je me suis dit que pour le cas où je voudrais écrire le même type de roman, il me serait utile d’avoir de la documentation sur différents lieux de ma ville. Avec une histoire ancrée dans le paysage urbain de Séoul, l’effet de réel est amplifié. C’est à Séoul qu’un quart de la population sud-coréenne vit, les lieux qui sont décrits dans le roman sont très connus et visités. De nombreux lecteurs m’ont parlé du choc qu’ils ont reçu à la lecture. Cela m’a conforté dans mon choix. Comme il m’arrive d’écrire des fictions historiques, la documentation est une étape essentielle pour baser l’histoire sur des faits réels. À partir de ce canevas, je peux laisser aller mon inspiration.

Vous plongez le lecteur dans un monde où les luttes sont constantes, que ce soit la lutte antizombies, la prise du pouvoir par la corruption ou les armes… Mais au fond, l’enjeu principal du roman n’est-il pas la quête de bonheur du jeune héros?

Les politiciens ne sont pas des personnes de confiance. Heureusement, la Corée du Sud a pu élire un nouveau président tout récemment [NDLR : l’auteur fait référence à l’élection de Moon Jae-in, en 2017, suite à la destitution de Park Geun-hye.]. La politique est un dispositif essentiel qui organise la vie en société, mais elle est surtout synonyme de pouvoir. En temps de crise, une guerre nucléaire par exemple, je suis sûr que les individus avides de pouvoir n’hésiteraient pas à commettre tous les crimes pour arriver à leurs fins. Le combat que mène notre héros Hyunjun pour contrarier le plan diabolique auquel il est mêlé malgré lui ressemble au combat que peut mener un simple citoyen comme vous et moi contre la corruption politique. Hyunjun est un héros blessé. Le chemin qui lui permet de guérir de ses blessures pour enfin atteindre le bonheur est un des thèmes les plus importants du roman.

L’espoir est mince mais il est là, on le découvre par petite touche à la fin du récit. À quel lecteur s’adresse Séoul zone interdite?

Le passé ne doit pas être oublié, il doit être conservé en mémoire même s’il s’agit d’un passé obscur et traumatisant. J’ai écrit ce roman pour ceux qui aiment les zombies. Moi aussi je les aime beaucoup. J’ai lu de nombreux livres, vu de nombreux films et séries télévisées dans ce genre. Je me rappelle un film français intitulé La Horde, où les zombies apparaissent dans un contexte de combats urbains entre membres de gangs et policiers. Je pense que, quelle que soit leur nationalité, les amateurs de littérature zombie s’y retrouveront avec mon roman. L’éloignement culturel entre la Corée et la France ne doit pas être un problème. J’entends souvent : Mais qui peut aimer des histoires aussi atroces ? Je réponds que les fans de zombie sont partout dans le monde. Ce livre est pour vous, les passionnés d’univers Z.

Interview réalisée par Julien Paolucci.
Traduction : Hwang Jihae.

Photo : © Jung Myeong-seop.


[1] Séoul zone interdite, Jung Myeong-seop, Decrescenzo éditeurs, 217 p., 18 €.