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La GRASS de Hong Sang-soo

Une variation sur le thème de l'amour, la création artistique, dans un film noir et blanc tourné dans un café.

J’avoue une profonde admiration pour les artistes, écrivains, cinéastes, qui bâtissent leur oeuvre en creusant le même sillon. Dans son dernier film, et malgré que le compte soit difficile à suivre chez ce réalisateur, dès le premier plan, toute l’oeuvre ou presque de Hong Sang-soo est posée. Deux amis, l’une femme et l’autre homme,  attablés dans un café épuisent leur présent dans le souvenir d’une amie commune disparue. La vie et la mort, à quelques secondes de distance, traversent le huis-clos et font chavirer la rencontre amicale. Le calme précède la tempête. Les cris sourdent, les reproches fusent, la rancune est tenace, et le spectateur inquiet se demande combien de temps va durer cette scène, une scène habituelle dans le cinéma de l’auteur, pour nous rappeler que d’un rien à un autre rien, il n’y a rien.

Dans un café filmé en un doux noir et blanc, Areum écrit. Elle écoute les conversations des clients attablés, sans que l’on sache ce qu’elle confie à son ordinateur. Les conversations entendues sont-elles la matière de sa création ? Nul ne le sait. Mystère de la création. Mais jamais, elle ne reste insensible à ce qui se dit. La seule fois où elle sortira de son poste d’observation, hystérique elle hurlera à la face de jeunes mariés, en costumes traditionnels et désarmants de naïveté, ses illusions perdues. Quand elle n’écrit pas, elle ne vit pas. Mais les autres clients du café, vivent-ils, eux ? C’est moins sûr. Désillusion, échecs sentimentaux, professionnels, solitude, tentative de suicide, ils vivent sans savoir pourquoi et discutent entre eux sans jamais se rencontrer. Silences et non-dits ou pas assez-dits expriment mieux que des paroles, la difficulté majeure à être avec l’Autre. Comme cette scène pathétique ou un scénariste sans domicile tente vainement de dormir dans l’appartement d’une femme qui refuse, poliment, désespérément, mais fermement. Il y a cette scène où une jeune femme monte et descend quelques marches d’escalier. D’abord lentement puis de plus en plus vite. La scène doit durer une minute une minute et demi, et tandis que l’exaspération guette, tandis que nous nous demandons à quel moment  le dispositif filmique va s’écraser la figure contre le mur, voilà que la jeune femme se met à monter et à descendre, toujours plus vite,  toujours plus alerte, dans l’allégresse presque, on comprend, ou croyons comprendre. La répétition est souvent capable de jouissance, le surplace une autre façon d’exister. Le film dans le film. Comme la musique omniprésente, qui accompagne en surplomb la discussion, souvent vide, des clients attablés, Wagner Schubert, entre autres, des contrepoints d’autant plus intenses que les plans sont souvent fixes, d’un noir et blanc soyeux déjà présent dans son précédent film Le jour d’après. La mise en scène, minimaliste,  est une véritable tentative d’épuration stylistique, avec ses ellipses conférant parfois à un personnage, tel le patron de café que l’on ne voit jamais, mais dont on sait qu’il est « gentil », fantôme parmi les fantomatiques  clients, chacun témoignant de son incomplétude, autant désireux qu’incapable de venir en aide à l’autre. Sans doute, un signe des temps ?

Hong Sang-soo tourne beaucoup, pas moins de 3 films dans ces deux dernières années et chaque opus délivré est un bonheur, de mise en scène, d’épuration stylistique, des émotions qui ne se partagent pas et de souvenirs qui s’entrechoquent sans jamais potentialiser. Comme les plans herbeux qui ouvrent et ferment le film, rien n’a bougé, rien n’a changé, le temps s’est juste écoulé.

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