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La chronique de Lee Seung-u 2

Le dernier cours d'un professeur

En 2018, Lee Seung-u donna quelques articles au journal Dong-a Ilbo, sur son séjour à Aix-en-Provence.

Ces derniers jours, je viens souvent à la bibliothèque tout récemment rénovée de la faculté de lettres d’Aix-Marseille qui dispose d’une grande salle de lecture aménagée comme un café avec de superbes baies vitrées. Dans un coin de cette bibliothèque, des évènements de petite taille ont souvent lieu. Quelques jours auparavant, j’ai suivi de loin le rencontre entre l’auteure allemande Karen Köhler et les étudiants. Et il y a à peu près un mois, j’ai encore pu assister de loin à la ré-inauguration du Centre de Gāo Xíngjiàn. Noël Dutrait, le professeur du département de chinois d’Aix-Marseille Université a traduit les œuvres de  Gāo Xíngjiàn et Mo Yan qui d’ailleurs ont reçu le prix Nobel de la littérature pour leurs œuvres écrites en chinois. Ce centre est né afin de commémorer cette occasion. 

Il y a quelque temps, je me suis rendu dans une salle où le professeur Jang Kildo donnait son dernier cours. « Jang Gildo » est le prénom coréen de « Jean-Claude De Crescenzo », le professeur du département de coréen. C’est un français qui fait de la calligraphie, pratique la manupuncture coréenne, chante les chansons coréennes et aime la cuisine coréenne ainsi que la littérature coréenne. Depuis 10 ans, il diffuse la littérature coréenne par le biais de Keulmadang, le webzine qui présente la littérature coréenne qu’il a créé lui-même. Il promeut également la littérature coréenne avec la maison d’édition « Decrescenzo éditeurs » qui porte son nom de famille. Cette maison d’édition a présenté de nombreux auteurs coréens en France. C’est également lui qui a créé le département d’études coréennes à Aix-Marseille Université. Au départ, il y avait seulement quelques étudiants dans le département, mais aujourd’hui, en comptant les étudiants qui suivent les cours en option, le nombre d’étudiants qui apprennent la langue et la civilisation coréennes atteint 500. Je pensais que cet engouement pour le coréen était dû à la hallyu [vague coréenne], la K-pop notamment, mais son dernier cours suivi d’un pot de départ surprise m’a fait comprendre que la Hallyu n’était pas la seule raison. 

Les étudiants venus avec des cadeaux, des lettres et des mots de remerciements sincères ont rempli la salle – il y avait même des étudiants qui ne sont pas inscrits officiellement à son cours.  En particulier, il était impressionnant de voir les étudiants lui offrir un cahier dans lequel ils ont écrit tour à tour un mot. Il me semblait qu’ils avaient avec leur professeur une relation franche. Celui-ci n’était pas autoritaire et les étudiants ne se sentaient pas mal à l’aise devant lui. Le professeur ressemblait à un père, et les étudiants à ses fils et filles. Ils étaient proches du professeur tout en lui montrant du respect. J’ai été enchanté de voir des jeunes étudiants français qui s’inclinaient avec deux mains jointes sur le ventre, mais en même temps cela me semblait étrange.  Pourquoi cette scène qui est censée être normale me semblait-elle étrange ? C’est certainement parce que j’ai vu, à un endroit inattendu, une chose qui  était auparavant normale mais qu’aujourd’hui on ne peut plus voir. C’est aussi sûrement parce qu’il me semblait que la mentalité coréenne était mieux préservée chez les étudiants étrangers qui apprennent sur la Corée que chez les étudiants coréens – au moins en apparence. On constate souvent que les communautés coréennes à l’étranger bâties avec les Coréens immigrés conservent mieux la tradition. Constate-on ce phénomène également avec les étrangers qui apprennent la langue et la civilisation coréennes ? Devrait-on alors sortir de la Corée afin de constater que notre tradition est préservée ?

Je me suis rendu compte qu’aujourd’hui, des cérémonies pour remercier les professeurs ont disparu dans des universités coréennes et cela m’a tout d’un coup rendu triste. D’autres bonnes coutumes ont été également disparues. La loi et le système qui nous interdisent d’offrir un simple café à des professeurs, mais qui autorisent en même temps de le faire pour des chauffeurs de bus scolaire sont étranges et pervers. Aujourd’hui, on ne trouve plus d’étudiants qui considèrent les professeurs comme leurs propres parents et qui les respectent, il est aussi rare de trouver les maîtres  qui veillent sur leurs étudiants comme s’ils étaient leurs propres enfants. Ce n’est plus le problème restreint seulement à la relation entre les professeurs et les étudiants. Dans toutes les relations humaines, en excluant et interdisant de plus en plus le côté humain, on encourage à se concentrer davantage sur le côté officiel ou la valeur d’échange. Le fait que la relation entre le professeur et l’étudiant s’est altérée en se transformant en distribution-réception du service qui reflète l’économie d’échange, laisse paraître une réalité déplaisante.      

Je songe à la vitesse de la transformation que la société coréenne a subie. La société emportée par la vague de transformation fonctionne sans nous laisser le moindre temps de réflexion. Le savoir-vivre de cette société nous interdit de nous retourner : plus nous retournons, moins nous sommes rapides, par conséquent, nous sommes moins compétitifs. La société transforme ce savoir-vivre en leçon et nous l’injecte.

Bien évidemment, tout ce dont nous avons hérité et tout ce qui est de tradition ne sont pas toujours de bonnes choses. De notre héritage, il y a beaucoup de choses que nous devions abandonner. Cependant il est aussi vrai qu’emportés par la vitesse de la transformation qui ne vise que la première ligne, nous avons jeté des choses que nous ne devions pas jeter. La parole « (…) on met le vin nouveau dans des outres neuves (…) » signifie que des outres (formalité) doivent convenir au vin (contenu). On ne devrait pas l’employer pour dire que le nouveau est mieux que l’ancien.  Il y a du bon et du mauvais dans le nouveau tout comme dans l’ancien. Il y a des choses qui exigent de nous un travail nécessaire et important, mais elles ne devraient pas nous donner l’excuse de ne pas accomplir d’autres tâches tout aussi nécessaires et importantes.

LEE Seung-u

Traduction Lim Jeong-eun
Avec l’aimable autorisation du Dong-a Ilbo


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