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Séoul zone interdite

Zombie. Le mot seul fait frémir, et amuse. Le zombie investit notre imaginaire, cristallise nos angoisses et l’instabilité de notre époque.

The Walking dead, World War Z, 28 jours plus tard… La télévision et le cinéma se sont largement approprié cette créature familière. Le genre Z a le vent en poupe, avec ses règles de structuration et de style, ses ficelles un peu usées par la surexploitation mais dans lesquelles il puise encore la condition de son succès. Une bonne histoire de zombie se doit de commencer ainsi :

La scène s’ouvre sur une zone pavillonnaire, la banlieue calme d’une grande ville, peut-être même un grand magasin. Un quotidien sans heurt scandé par le vrombissement des tondeuses à gazon et les bips des caisses enregistreuses. Soudain, un cri d’effroi interrompt la musique ambiante. Des gens affluent vers l’origine des hurlements et découvrent avec stupéfaction deux corps pêle-mêle et ensanglantés ; l’un est plus abîmé que l’autre et, en tout état de cause, bien plus agressif. On tente de maîtriser le forcené apparemment insensible à la douleur sous l’effet de drogues, on lui bloque le poignet dans le dos mais il se débat drôlement, et attrape entre les dents la main qui lui enserre le cou. La riposte monte d’un cran mais les impulsions électriques de tiser ne produisent aucun effet sur ce corps intoxiqué. Trop loin dans la violence pour arrêter, on fera feu avec le tout-venant (râteau de jardinage, manche à balai pointu ou batte de baseball). On vise d’abord les jambes, puis la tête. La scène se termine, enfin. Un cadavre gît sur le sol, un trop béant sur le sommet du crâne. Rictus indescriptible du mort, mine livide des participants au massacre. Ils ne comprennent pas ce qui vient de se passer. Le lecteur ou le spectateur, eux, ont ce qu’ils étaient venus chercher. Le film va pouvoir commencer.

Séoul zone interdite[1]un roman post-apocalyptique ?

À grand renfort de couleur locale, l’auteur coréen Jung Myeong-seop transpose thématique et personnages qui d’ordinaire s’épanouissent  dans le décor des villes américaines. Les fictions de genre coréennes exploitant la figure du zombie et accessibles en traduction au lecteur étranger sont peu nombreuses. Il y a bien eu, au cinéma, Un train pour Busan,dans lequel l’épidémie zombie se déclare, comme l’indique le titre, dans un train en direction de la grande ville portuaire du sud du pays. C’est à peu près tout.

Le plus souvent, l’apparition du zombie suppose l’échec des protagonistes à éviter la destruction de l’humanité : c’est ainsi que la qualification de post-apocalyptique est généralement adossée au genre Z. Mais le terme est-il adéquat  à décrire  l’expérience romanesque de Séoul zone interdite? Le roman contient l’inventaire des destructions physiques, nombreuses mais circonscrites à la ville de Séoul ; le reste des infrastructures du pays est intact, comme sa population, et aucune contagion zombie ne s’est répandue à la province non plus qu’aux pays voisins. Bref, la vie en Corée continue, amputée de Séoul tombée pour les frais de la narration[2]. De ce point de vue, il appert que l’intrigue est plus proche du scénario de films catastrophe (destruction nucléaire + mutation génétique) que de la perspective horrifique suscitée par la propagation de hordes de goules à la surface du globe. Néanmoins, bien sûr, on n’oublie pas les zombies. Le prologue donne ce qu’il faut savoir sur leur apparition et le cadre général du roman : Quelques années après la mort du leader Kim Jong-il (1942-2011) et l’accession au pouvoir de son fils Kim Jong-un (né en 1984), des émeutes de la faim éclatent en Corée du Nord. Le gouvernement demande le renfort de l’armée chinoise[3] pour pacifier le pays. Une faction de l’armée nord-coréenne s’insurge contre la présence de troupes étrangère sur son sol et la tension monte dans la péninsule. Les pourparlers à quatre (Corée du Sud, Chine, États-Unis, Russie) n’aboutissent pas. 4 avril 2022. — Un missile à charge nucléaire lancé depuis le territoire nord-coréen s’écrase sur Séoul, causant des millions de morts. Les corps inanimés des victimes reprennent vie peu après l’explosion, assoiffés de sang… La partie de Séoul qui compte encore des survivants est évacuée par les militaires et la ville est fermée. On y dresse un cordon sanitaire qui deviendra au fil des ans un imposant rempart recouvert d’une cuirasse de barbelés électrifiés et de dispositifs anti-intrusion de toute sorte. Des groupes d’individus bravent le danger pour s’aventurer au-delà de ce rideau de fer au fond de ce no man’s land. On les appelle « les Chasseurs de trésor », des mercenaires dont la mission est de récupérer des objets à valeur sentimentale ou matérielle que les rescapés ont laissé derrière eux. Nous allons suivre leurs aventures aux côtés de l’un d’entre eux, dont on apprendra le nom que plus tard : Hyunjun. C’est en compagnie de cet homme jeune que nous allons arpenter différents lieux de la capitale — ou ce qu’il est convenu d’appeler, depuis le jour du drame : « la Zone interdite ». La fin du prologue a son importance, elle acte le fait que l’aspect « aventure» du roman va prendre le pas sur la dimension politique. En effet, dans la suite du récit le nom de Kim Jong-il n’apparaît plus et celui de Kim Jong-un n’est cité qu’une seule fois. Leur implication dans les événements qui vont être rapportés au lecteur est réduite à une moindre dimension quand ces quatre lignes de début du roman gardent néanmoins leur importance : elles nous rappellent que c’est la réalité du lecteur, sa perception du monde et en particulier de la situation coréenne qui fournit son cadre de référence au récit. En d’autres termes, nous projetons dans la fiction ce que nous savons du monde réel. Lorsque la question politique nord-coréenne passe au second plan au profit du spectaculaire des combats urbains, l’effet de réel est « relayé » par les scènes d’actions où l’immersion du lecteur est en grande partie assurée par l’identité à la réalité que feint le décor. La reproduction fidèle de la capitale coréenne, de ses quartiers, oblitère la distance entre l’espace fictionnel et son repère de référence qui est le monde dans lequel nous vivons :les ruines de la « Zone interdite » sont les bâtiments que les Coréens fréquentent dans le monde réel.

Les différentes pointes du personnage dans ce nouveau no man’s land dessiné par l’explosion atomique s’accompagnent d’une dégradation plus ou moins rapide de son état physique et psychique. Il réchappe plusieurs fois à une mort certaine au cours de ses missions : on le trouve blessé, avançant avec la vision floue du paysage qui se dérobe ; ou encore, inconscient allongé sur le sol, exposé au danger zombie ou à la merci de mercenaires hostiles. Ces pertes de connaissance s’apparentent à un état de sommeil dans lequel le personnage revoit en rêve la disparition de sa mère dans les décombres de Séoul (p.176). Une autre fois, il avance sans pouvoir se situer, en témoigne sa traversée d’un camp d’habitation noyé sous une chape de brume montant du fleuve Han (p.109 et suivantes). L’incompréhension des lieux qu’il traverse peut être résumée par cette phrase prononcée par un de ses équipiers alors qu’ils traversent la capitale en voiture : « Ce n’est pas Séoul.» (p.16.) Les descriptions piquées de réalisme lorsque le narrateur maintient les choses dans l’éloignement du regard du personnage principal (comme on opérerait un zoom arrière pour avoir un meilleur aperçu d’ensemble) alternent avec la vision brouillée du héros (vue subjective) qui signale l’incapacité de ce dernier à s’orienter dans la ville. Le narrateur réclame une relation de familiarité entre le monde représenté et celui du lecteur, celle-ci oscillant entre deux pôles : lorsque le texte introduit des lieux précis  — localisés dans la géographie réelle (musée, rue ou boulevard) —, il convoque un lecteur implicite connaisseur des lieux ; de l’autre coté, lors de la traversée du paysage à l’« aveugle », comme dans un rêve, le narrateur se réfère dorénavant à un « visiteur dépouillé », une personne esseulée au milieu des ruines et qui peine à reconnaître le paysage ravagé. Comme c’est le cas de notre héros, dépossédé de sa maison (et de sa ville), qui au jour de la mort de sa mère s’est promis de retourner sur le lieu de son enfance pour se donner la mort.

Et les zombies dans tout ça ?

On les avait presque oubliés. Nous renvoyons à ce que nous avons dit plus haut : le seul mot suffit à faire marcher l’imaginaire à plein régime. À y regarder de près, rien ne vient véritablement fixer un sens à cette apparition des morts-vivants. Pour les besoins de l’intrigue, au détour d’une phrase, une explication est sommairement avancée : ce sont les radiations des bombes. À croire que les bombes nord-coréennes ont quelque chose en plus. Mais quoi ?

On achoppe sur le sens métaphorique, mais on peut se livrer au jeu des hypothèses d’après le postulat de départ énoncé dans le prologue : nous sommes en Corée.Si l’évocation historique[4] paraît satisfaisante, alors les zombies rappelleraient les blessures toujours ouvertes d’un peuple « accidenté », un choc trop grand qui a marqué la psyché collective et dont le traumatisé de guerre est l’incarnation qui vient la première à l’esprit. Un drame collectif où se lit bien sûr une kyrielle de tragédies privées comme celles de ce « Chasseur de trésors » qui arpente le terrain exsangue de sa ville.

Pour autant, on envisage mal une œuvre reposant entièrement sur la présence de zombies. L’histoire, pour garder sur la longueur un minimum de ressort et de suspense — voire de rigueur —, doit substituer à la présence de ces créatures muées par de simples innervations du cerveau des êtres doués de conscience. Un exemple est donné avec la série télévisée The Walking Dead, dans laquelle les zombies tiennent une place importante dans les premiers épisodes : il s’agit, pour les survivants, de trouver le meilleur abri possible pour se préserver des morsures. Néanmoins, progressivement, tandis que les individus se constituent en communautés pour organiser la survie, des distensions et des conflits naissent qui débouchent sur de véritables guerres de territoires, au point que les zombies deviennent pratiquement inexistants dans les dernières saisons de la série. Le même principe est à l’œuvre dans le roman: les zombies sont rapidement mis de côté pour laisser s’entretuer les survivants partis en guerre contre eux-mêmes. De ce point de vue, le zombie est un pis-aller qui rend visible la formidable propriété de la violence à se répandre, chez l’homme. Moins une histoire de zombies qu’un roman conçu sur fond d’attaques de zombies, donc.

De la littérature, mais pas que

« Chasseur de trésor ». Un tel surnom et la nature même des événements rapportés — la recherche, découverte d’objets — invitent à l’entrée dans le roman. Les connaisseurs de jeu vidéo y verront peut-être matière à comparaison. Le roman est structuré en 10 chapitres dont la majorité articule un objectif simple (récupérer un item),  des pièges à éviter (les zombies) et des éléments offensifs (luttes de territoire entre mercenaires). Cette combinaison (objectif + pièges+ éléments offensifs) ne constitue-t-elle pas le triangle de base de ce qu’on appelle dans le monde du jeu, un « niveau » (stage en anglais). Ajouter à cela le caractère foncièrement visuel de la figure zombie (le texte abonde en descriptions de chairs maltraitées et nuances de rouge), le répertoire non moins précis de l’arsenal militaire mis à disposition des mercenaires, le spectaculaire des scènes de combats et la ville transformée en terrain de chasse — ou de jeu — dont on dresse la typologie des abris divers (maison, parking, église). Vous êtes en présence d’une œuvre de science-fiction qui ne minimise pas son côté ludique et offre au lecteur une dimension esthétique en donnant à voir un spectacle.

La zone interdite ?

Séoul est située à 50 kilomètres de la frontière nord-coréenne qui s’étire sur toute la largeur du territoire en une bande 248 kilomètres de long sur 4 kilomètres de large. Une des zones les plus surveillées au monde, infranchissable mais dont on peut douter de l’état opérationnel après une explosion atomique qui intervient dans son voisinage proche. D’ailleurs, le texte nous précise que depuis l’ouverture des hostilités, des milliers d’émigrés nord-coréens ont fui au Sud, ce qui laisse penser que la frontière est devenue largement perméable. En revanche, une nouvelle zone impénétrable, « interdite », a pris forme dans le paysage de la capitale cernée par un rempart qui préserve le reste du pays de la menace zombie. Certains y verront peut-être un retour à une configuration antérieure, lorsque la cicatrice qui balafre la Corée (Nord+Sud) ne serpentait pas le long du 38e parallèle mais engloutissait Séoul. C’était à l’époque de la Guerre de Corée[5], en 1950.

La cité de 2022 est elle aussi un paysage de guerre. Plus exactement, la capitale est à la fois une ville ruinée par le bombardement et une ville abandonnée par sa population. Cette désolation du paysage urbain doit faire miroiter l’absence des personnes disparues au témoin de cet impressionnant spectacle — un peu à la manière de l’effet produit par une enfilade de tombes sur un visiteur de cimetière. On peut rendre compte de la Zone interdite en énonçant ses principales caractéristiques[6]. Cette zone constitue :

  • un contre-emplacement. — La ville détruite, entièrement abandonnée et constituant une enclave bastionnée constitue un lieu hors de tous les lieux du territoire, bien que localisable ;
  • une mise en relation avec le reste du territoire. — L’espace sous haute surveillance n’est pas totalement hermétique : il comprend un système d’ouverture et de fermeture (les remparts) qui à la fois l’isole et la rend pénétrable, et auquel on ne peut accéder qu’avec une certaine permission et une fois qu’on a accompli un certain nombre de gestes[7] ;
  • une disruption temporelle.— La Zone interdite est liée à un découpage du temps formant une sorte de rupture absolue avec le temps traditionnel. À l’exemple du cimetière où le temps de l’individu s’écoule dans l’éternité, Séoul ville-morte est coupée du rythme de vie du reste du monde.

Séoul comme un paysage à voir

Nous entrons dans le roman par les lieux. Ils en sont la voie royale. Nombre de lecteurs gardent en esprit, pour les avoir lus et étudiés depuis le collège ou le lycée, le Paris médiéval peint par Victor Hugo pour Notre-Dame de Paris ou l’expérience esthétique qu’inspire la grande ville à Baudelaire dans le Spleen de Paris. En d’autres temps (les années 2020) et d’autres lieux (Séoul), le romancier Jung Myeong-seop propose lui aussi une expérience de la ville — certes plongée dans un univers sombre très éloigné de la coloration romantique des deux œuvres précédemment évoquées. Car le romancier aime sa ville. Les zombies affamés ou les mercenaires vindicatifs sont un autre moyen d’arpenter ses rues et de découvrir ses monuments. Parmi les lieux à explorer, certains peuvent se révéler le meilleur refuge du monde en cas d’attaque zombie, ils n’en sont pas moins agréables pour qui veut trouver un peu d’air frais et de quiétude dans le tumulte de la grande ville : ce sont les îles de Séoul. Elles sont nombreuses dans le lit du fleuve Han qui parcourt la ville. Certaines, pas plus grandes qu’un tertre, sont le territoire des seuls oiseaux ; d’autres, plus étendues, constituent un réservoir écologique et sont totalement fermées au public[8]. On compte aussi des îles artificielles[9], véritables vitrines technologiques proposant nombre d’activités de loisirs. Ce îles sont les témoins des évolutions d’une ville qui a subi de grandes transformations ces dernières décennies. Nous allons en donner à voir une.

L’île Seonyu

L’île  Seonyu occupe une place de choix dans le roman. Les chasseurs de trésors, accédant à l’île par la passerelle piétonnière[10], le pont Yanghwa ou depuis le fleuve, en font l’exploration (p.138) avant d’y livrer un furieux combat (chap.9) qui appelle un dénouement proche. Il nous a semblé utile — et amusant — de donner quelques précisions sur la topographie (attestée) des lieux, dont l’écrivain a voulu produire la peinture la plus fidèle qui soit.

Aujourd’hui lieu de plaisance et de tourisme vert, l’île Seonyu accueillait de 1978 à 1999 une station d’épuration d’eau. Dans le cadre du plan de rénovation de la ville[11], en prévision notamment de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2002[12], le site est réhabilité en parc écologique. L’île s’étend sur une surface de 100 000 mètres carrés dont nous donnons un aperçu de la configuration générale :

De chaque côté de la carte, les voies d’accès à l’île : à gauche la passerelle piétonnière de Seonyu, à droite le pont Yanghwa. Image : office du tourisme sud-coréen

Le parc écologique intègre les anciennes installations du site d’épuration, donnant à voir un paysage dont on comprend qu’il puisse inspirer une intrigue de science-fiction. Les silos circulaires[13] à l’origine utilisé comme concentrateurs d’eau, leur verticalité imposante dans cet environnement végétal et la couleur froide du béton séduisent l’amateur de ruines post-modernes. Les bassins de traitements chimiques  accueillent dorénavant plusieurs espèces végétales aquatiques qui assurent un procédé organique de purification de l’eau. Le visiteur a accès à l’ensemble des bassins par un dédale de chemins en bois en aplomb des installations et qui s’ouvrent sur plusieurs terrasses basses pour l’observation de la flore. Les fondations du réservoir central sont exposées au grand jour depuis que la dalle de béton qu’elles soutenaient a été enlevée ; ce lieu décrit dans le roman (p.140) porte le nom de « Jardin des colonnes vertes».

Jardin des colonnes vertes. Les fondations du réservoir sont désormais recouvertes de vigne vierge. Une colonne a été laissée nue, témoin de la reconversion des lieux. Image : Keulmadang
Deux silos concentrateurs. Sur fond de verdure, les édifices rappellent le passé industriel de l’île. Image : Keulmadang

Lors de l’exploration du site post-industriel, Hyunjun et son équipier tombent nez à nez avec un groupe de rescapés. La « communauté » habite un lieu sous terrain que le récit décrit avec des piliers et recouvert d’un mur végétal (p.141). Ce lieu aménagé sous le sol en plein terrain sauvage peut surprendre, voire heurter la vraisemblance. Bien que le narrateur nous précise que l’île était à l’origine « une station de traitement d’eau (p.141) », sans la connaissance particulière de ce type de lieu, on imagine mal les installations qu’il suppose. Cet endroit insolite est en fait inspiré des structures des bassins de décantation, recouverts pour les besoins de l’histoire de branchages afin d’être rendus indétectables depuis la surface. L’abri prend des allures de cabane primaire, à ceci près qu’il ne s’agit pas d’une protection par élévation mais par enfouissement. La raison en est simple : le refuge est moins conçu pour se protéger de la menace de zombies rampants que pour se dérober aux regards de groupes de mercenaires vindicatifs, et bien humains ceux-là.

Une image vaut toute explication :

Détail d’un bassin. Image : Keulmadang

À proximité, on trouve la verrière qui a inspiré la scène où le personnage principal est retenu en otage.

Au fond : la verrière. Image : Keulmadang.

Passé lointain

L’île Seonyu, alors connu sous le nom de « colline Seonyu », apparaît au 17siècle comme un lieu de contemplation et d’inspiration pour les poètes et les philosophes. En 1920, suite à de violentes inondations dans Séoul, l’administration coloniale japonaise prélève des blocs de roches de la presqu’île pour la construction d’une digue. Quelques années plus tard, en 1929, les Japonais procèdent à de nouvelles extractions de roches pour la construction d’une piste d’atterrissage sur l’île voisine Yeoui (en service jusqu’à 1958). À cette époque, la colline Seonyu est entièrement rasée, et l’endroit est rebaptisé « l’île Seonyu ».

Peinture de paysage par Jong Seon (nom de plume Gyeomjae) au 18e s.  Elle donne une bonne idée du relief escarpé de la presqu’île à l’époque. La colline Seonyu s’élevait jusqu’à 40 mètres au-dessus du niveau du fleuve et était bordée de sable blanc. Sur le dessin, on voit bien le bras de terre qui la reliait à la côte.

Futur proche

Le livre de Jung nous offre le « plaisir » d’assister à ce dont les médias nous menacent quotidiennement : une attaque du Nord contre le Sud. Charge au lecteur ou à l’analyste d’explorer ce désir inavouable : une part de nous rêve de survivre au déclenchement des hostilités, d’assister à la fin de l’humanité, en quelque sorte. La fiction est là, qui vide la menace, l’épuise en la donnant à voir — ou comment imaginer le pire pour vivre le meilleur… De son côté, la ville de Séoul poursuit l’aménagement de ses berges ainsi que la réhabilitation de plusieurs îles[14] du fleuve Han. La carte suivante montre l’emplacement de quelques installations phares dans le contexte immédiat de l’île Seonyu.

Cette illustration montre l’aménagement du fleuve. Yeouido abrite le bâtiment de l’Assemblée  nationale et la « tour 63 », gratte-ciel de bureaux de 63 étages qui fut un temps le plus haut d’Asie. Au fond : la Namsan Tower, une tour de télécommunications. Image : Wi tack-when, Lee Sung-ah

[1] Séoul zone interdite, Jung Myeong-seop, traduit du coréen par Hwang Jihae et Julien Paolucci, Decrescenzo éditeurs, 217 pages, 18€.

[2] Preuve que la vie ne s’arrête pas après l’apparition des goules : les citoyens sont appelés à voter pour la désignation de la nouvelle capitale du pays. Ce passage peut faire écho au contexte politique de la Corée au début des années 2010.  À l’époque, la ville nouvelle de Sejong, alors en cours de construction, est destinée à recevoir la capitale administrative du pays afin de lutter contres les inégalités territoriales. Le projet provoque de nombreux remous au sein la société coréenne. Le sujet est clos en 2012 lorsque une partie de l’exécutif est effectivement transféré à la deuxième capitale.

[3] Dans son histoire, la Corée a déjà fait appel à la Chine pour réprimer des jacqueries sur son territoire. C’était en 1894. Cet épisode connu sous le nom de  « Rébellion paysanne du Donghak » sera le déclencheur de la première guerre sino-japonaise.

[4] On pense à la guerre de Corée (1950-1953).

[5] En janvier 1951 pendant la guerre de Corée (1950-1953), les troupes nord-coréennes et chinoises font une percée extrême au-delà de la ligne de Séoul.

[6] Lors d’une conférence prononcée sur le sujet des hétérotopies, Michel Foucault propose une caractérisation de ces espaces autres selon six principes. Nous en empruntons quelques traits qui nous semblent applicables à la description de ce lieu (la zone interdite) qui est au centre du roman, et qui est autre…Voir Michel Foucault, Dits et écrits (1984), « Des espaces autres », n°360, p. 752-762, Gallimard, Nrf, 1994.

[7] Rien de très légal dans tout ça : la « traversée » s’opère à des endroits précis de la ville, à l’abri des regards,  et les mercenaires doivent montrer patte blanche au passeur s’ils veulent pénétrer dans la Zone : argent et paquets de cigarettes scellent le deal.

[8] L’histoire de l’île Banseom est intéressante. Dans le passé, l’île a compté jusqu’à 400 habitants. Durant les années 60, dans le cadre du développement de Yeoui, une île voisine de plus grande importance,  les habitants de Banseom sont déplacés et la ville décide de faire exploser l’île. Le sable et les roches récoltés serviront à la construction de la digue de Yeoui. Près de 50 ans plus tard, l’île renait de ses cendres et la nature reprend ses droits grâce aux dépôts de sédiments charriés par le fleuve pendant plusieurs décennies. Véritable réservoir écologique en plein cœur de Séoul, Banseom abrite 140 espèces de végétaux et 50 espèces d’oiseaux. Elle est fermée au public.

[9] Sebitseom, ou « Some Sevit », est un complexe de trois polders accueillant des expositions artistiques ou technologiques. Ces îlots artificiels à l’allure futuriste ont servi de lieu de tournage à plusieurs films et séries, notamment Avengers 2.

[10] La passerelle de Seonyu a été construite dans le cadre des célébrations de l’an 2000 conjointement par la France et la Corée du Sud. Sa conception est l’œuvre de l’architecte français Rudy Ricciotti. L’ouvrage permet aux piétons de franchir un bras du fleuve Han pour accéder à l’île aménagée en jardin.

[11] Le projet « Renaissance du fleuve Han » prévoit de faire du fleuve Han un des pivots de la politique d’urbanisation de la ville. Le plan comprend l’aménagement des berges du fleuve, la réhabilitation de plusieurs îles et la promotion du tourisme vert. On développe aussi l’activité de plaisance.

[12] Le stade de la Coupe du monde mais aussi le stade et le village olympiques sont dans l’environnement immédiat du fleuve.

[13] En cas de nécessité, le silo se révèle un habitat antizombies de premier ordre. https://zombiesafehouse.wordpress.com

[14] L’île Nodeul est une île artificielle crée lors de la construction du pont Hangang. Pendant les années 60, sa plage de sable était un lieu prisé des habitants de la capitale. Au fil du temps, l’apparence de Nodeul s’est peu à peu transformée  avec le développement de son écosystème, et l’île fut délaissée par les Séoulites. En 2016, la ville lance un concours «  Nodeul dream island » ouvert aux architectes pour réhabiliter les lieux. L’équipe dont le projet est retenu remporte le chantier de rénovation de l’île. Nodeul est prévue d’être inaugurée en septembre 2019. http://nodeul.org/3rdannouncement-of-winners/