Une société en métamorphose

Une Histoire fort morale

Face au désespoir le plus total, comment ne pas céder à l’immoralité ?
Nous sommes dans la Chine des Ming, au XVIe siècle. Le seigneur Hwa Uk est un homme admiré, d’une moralité exemplaire et s’étant distingué dans les arts de la guerre. Ses fils Chun et Jin, issus respectivement de son premier et troisième mariage, sont, quant à eux, deux extrêmes opposés : si le cadet brille par sa générosité et une intelligence hors du commun dès son plus jeune âge, l’aîné quant à lui est arrogant et jaloux, ce qui lui vaut d’être accablé de reproches par son père.

À la mort du chef de famille Hwa et de sa troisième épouse Dame Jeong, ce sont la cupide Dame Sim et son fils Chun qui se retrouvent en charge de la maisonnée et en profitent pour déverser leur haine la plus totale sur le cadet, Jin, et sur sa sœur elle aussi orpheline, Tae-gang.
Dès lors, le récit enchaîne les rebondissements en tout genre dans la vie de plusieurs familles de nobles coréens dont le sort est lié à celui de la famille Hwa : morts tragiques, promesses de mariage, rivalités et tromperies, coups de foudre, luttes de pouvoir, le tout accompagné d’un brin de fantastique (résurrections miraculeuses, esprits, divination et magie). Malgré les difficultés, les protagonistes ne dérivent jamais du droit chemin, respectant ainsi la morale qui a été donnée dès les premières lignes du prologue :

« Que l’on soit homme ou femme, noble ou roturier, on doit prendre pour principes de vie la fidélité à son souverain et la piété envers ses parents. […] Si vous donnez à votre vie des fondations solides, vous resterez en paix même lorsque les difficultés surviendront » (p.15).

Même si l’histoire se déroule au XVIe siècle, les émotions des personnages sont intemporelles. Jalousie, rivalité, trahison, amour, tristesse, perte : les sentiments et les rebondissements sont dignes d’un drama du XXIe siècle. Malgré l’accumulation de personnages et de noms, on se laisse prendre par ces histoires de famille, de complot et de pouvoir, on compatit au destin tragique des héros et on se réjouit de la chute des méchants.

Une Histoire fort morale (창선감의록) porte finalement bien son nom : une vie droite et honnête est récompensée par la joie et la prospérité, tandis que les manigances et le mensonge mènent à la perte. Néanmoins, si la pensée confucéenne met l’accent sur une moralité exemplaire, le récit est prenant sans tomber pour autant dans le manichéisme pur et dur. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc : on faute, on ment, puis on apprend de ses erreurs, on se repend, c’est ce qui fait la complexité de l’âme humaine.


UNE HISTOIRE FORT MORALE
Récit anonyme
Traduit du coréen par CHOE Ae-young et Jean BELLEMIN-NOËL
Imago, 252 pages, 24 €.

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.