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Deux personnes seules au monde

Il y a être seul, et il y a se sentir seul. Kim Young-ha nous livre trois nouvelles aux tons très distincts les uns des autres, mais reliées par le même sentiment de solitude.

Il y a être seul, et il y a se sentir seul. Certains trouvent une forme de confort dans la solitude, une occasion de nouer avec leur soi intérieur ; d’autres sont habités par un vide constant, même en étant entourés. Kim Young-ha nous livre trois nouvelles aux tons très distincts les uns des autres, mais reliées par le même sentiment de manque, la perte de quelqu’un ou quelque chose qu’on chérissait.

La première nouvelle, éponyme au recueil, dépeint une relation père/fille confondue entre l’affection et la manipulation. Si le lien si particulier qui les unissait quand la jeune fille était adolescente semblait privilégié, leur connexion finit par amener davantage de solitude que de tendresse avec le temps. Une toxicité dont il est pourtant difficile de se défaire.

« J’avais arrêté quelque chose d’autre en venant en Amérique. Oui, quelque chose qui n’était pas bon pour moi, nocif et extrêmement addictif : mon père. » (p. 43-44)

La seconde nouvelle, Je ne suis pas un épi de maïs, suit un écrivain dépressif peinant à composer et croulant sous les dettes. Il en vient alors à trouver l’inspiration dans le lit de l’ex-femme de son patron. Le ton est léger, les personnages se laissent guider par des pulsions primitives qui nous tiennent en haleine jusqu’à arriver à un dénouement final assez troublant.

« Il y a des points communs entre un criminel et un écrivain ; ils échafaudent en secret leur plan, s’il est trop simpliste, ils se feront prendre et tomberont dans leur propre piège. » (p. 118)

La troisième et dernière histoire, Je cherche mon enfant, nous confronte à la perte et l’abandon – de soi, d’un proche, et de sa santé mentale. Yunseok et Mira perdent leur enfant dans un supermarché. Dix ans plus tard, ce dernier réapparaît de manière inattendue dans leur vie en ruines. Cette famille brisée peine à se reconstruire – les dégâts causés suite à cet évènement tragique sont peut-être irréparables, et c’est comme si leur fils rendu n’était pas vraiment leur fils. Avec émotion, on oscille entre la détresse et l’espoir de parents qui n’ont jamais eu l’occasion de l’être.

« D’un passé vieux de onze ans, Yunseok a soudain été projeté dans le futur, où il se retrouve seul. Dans ce futur, sa femme est devenue folle et son fils ne le considère pas comme son père. » (p. 149).

Ces trois histoires illustrent la complexité des relations humaines, la perte, la folie, la souffrance, mais aussi la tendresse, l’envie et les moments d’espoir. Ce court recueil se lit avec plaisir et facilité, de quoi apporter un brin de douce amertume à une après-midi d’été.


Deux personnes seules au monde
Kim Young-ha
Traduit du coréen par Choi Kyungran et Pierre Bisiou
Piquier poche, 176 pages, 7,50€

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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