Chroniques Essais Une société en métamorphose

Mes Coréens

Georges Arsenijevic profite de tout ce qu'il a appris en occupant le poste de Conseiller au Centre culturel coréen de Paris pendant 35 ans, pour dresser un portrait de la Corée du Sud et de sa relation avec la France.

Georges Arsenijevic a occupé pendant 35 ans le poste de Conseiller au Centre culturel coréen de Paris. Avec cette position privilégiée, il a assisté et accompagné l’essor du soft-power culturel du pays. Il prend son poste en 1985, quelques années après les évènements de Kwangju et quelques années avant les JO en 1988, au moment où la Corée, soucieuse de son image et de sa place sur la scène internationale, investit dans son rayonnement international, dont les centres culturels constituent la pierre de touche. Le Centre de Paris, comme d’autres centres dans le monde, est dirigé par un directeur de nationalité coréenne et le personnel se partage en deux nationalités. Avec le titre de conseiller, Georges Arsenijevic fut aux premières loges des rapports entre France et Corée du Sud. Son livre, au titre annexant certes mais qui ne généralise pas au moins, se présente comme le témoignage en résumé de quelques moments de rencontres et de cultures entre un Français et des Coréens, durant ces trente-cinq années. Véritable vademecum de la communication interculturelle (comme elle se dit par erreur de nos jours), le livre se présente en courts chapitres thématiques et aborde les questions les plus essentielles quand on va à la rencontre d’une autre culture, surtout si elle est aussi éloignée de la France que la culture coréenne. Si le visiteur assidu de la Corée pourra réviser les fondamentaux de l’interrelation franco-coréenne, le néophyte ou voyageur épisodique découvrira l’art de ne pas faire (trop) d’erreurs avec les Coréens. Bien entendu, dès qu’il s’agit de relation, dès qu’il s’agit d’affects, la prudence guide l’auteur et Georges Arsenijevic prend la précaution de faire valoir sa subjectivité et son expérience personnelle des relations qu’il a entretenues pendant toutes ces années.

Le livre de Georges Arsenijevic visite quelques traits majeurs de la culture coréenne (le jeong, le han, la hiérarchie, la face, etc.) et leur donne une lecture destinée à éviter le fourvoiement (l’auteur puise dans son expérience et montre qu’il n’est pas toujours aisé d’éviter le petit drame de l’incompréhension). Ainsi par exemple, le débat pour lequel les Coréens n’ont pas une pratique très développée (lisez le livre, vous saurez pourquoi) souvent source de conflit ou d’une soudaine et incompréhensible froideur de la part de l’interlocuteur coréen. Mais si vous parlez coréen vous minimisez le risque de passer à côté de situations où il faut justement être très présent. Toutes les précautions proposées par l’auteur sont particulièrement utiles dans le cadre de rencontres professionnelles au cours desquelles les enjeux peuvent être importants. Surtout si elles sont destinées à être brèves, ou à ne pas se renouveler. Un faux pas de votre part ne mettra pas fin automatiquement à la relation mais pourra laisser une impression de décontraction exagérée à leur égard. Rassurez-vous, depuis ces dix, vingt dernières années, la présence et la multiplication des contacts avec les cultures étrangères ont renforcé chez les Coréens la compréhension des codes étrangers. Et, découvrant la complexité des codes étrangers, commettant eux-aussi quelques erreurs, ils ont appris à devenir plus compréhensifs avec la méconnaissance ou l’incompréhension dont ils sont souvent victimes. Aussi, il est fréquent de nos jours qu’ils prennent avec humour et, parfois avec un certain sens de l’auto-dérision, la faute que vous pourriez commettre à leur encontre. Puis, un autre paramètre joue : l’âge de l’interlocuteur coréen, s’il est jeune ou plus âgé voire très âgé, vous aurez à devoir fournir des efforts particuliers, notamment s’il est plus âgé que vous. À l’inverse, une politesse attentionnée envers un interlocuteur plus jeune que vous le mettra mal à l’aise.

Si vous vous adressez à eux, sans préjugé, sans intention de prendre le dessus sur la relation, sans la morgue française bien connue, sans la volonté impérialiste d’instumentaliser l’autre oriental, vous découvrirez un peuple pas plus facile ni plus compliqué qu’un autre à comprendre. Mais parler des Coréens de la part d’un Français, c’est inévitablement parler des Français. Il n’y a pas mieux pour se regarder que d’utiliser un miroir étranger, aurait pu dire E. Saïd. On retrouve dans le propos et le vécu de Georges Arsenijevic les traits caractéristiques de notre culture, souvent renforcés d’ailleurs dans le contact avec des étrangers. L’épisode du spectacle chamanique est à ce titre édifiant.

La Corée est un pays qui va vite, chacun le sait, qui va vite aussi dans ses mutations sociologiques. Nous sommes régulièrement effarés de la vitesse à laquelle certains usages évoluent. C’est une des règles de l’évolution : quand l’économie, l’urbanisme, la création (culturelle, stylistique…) évoluent, elles suivent ou précèdent une évolution des rapports sociaux, des codes interrelationnels, linguistiques ; un champ n’est jamais affecté isolément, il entraîne dans son sillage d’autres champs qui interagissent. Les codes évoluent dans des temps plus ou moins différés. En cela, ce qui a été appris hier risque vite d’être démodé le lendemain.


Mes Coréens, 35 ans de rencontres et d’amitié
Georges Arsenijevic
L’Asiathèque, 252 pages, 25€

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