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Les quatre enquêtrices de la supérette Gwangseon

Pour lutter contre l’ennui du quotidien, quoi de mieux que de prendre un exhibitionniste en chasse entre amies ? Ce roman plein d'humour raconte l'enquête de quatre mères au foyer déterminées à arrêter un exhibitionniste.

Pour lutter contre l’ennui du quotidien, quoi de mieux que de prendre un exhibitionniste en chasse entre amies ? Miri, une mère au foyer dont la vie consiste à s’occuper de sa fille et à coudre des yeux en plastique sur des ours en peluche, décide d’enquêter sur l’homme qui terrorise les femmes de la résidence et se fait surnommer « Boules de Mulot ». Pour cela, elle s’entoure de ses trois amies du quartier, Jihyeon, Gyeongja et Sohui.

Il est d’abord difficile de prendre ces quatre ménagères au sérieux, notamment lorsqu’elles se mettent d’accord pour dire que porter des trench-coats est une partie essentielle de l’enquête. Pourtant, leur volonté sans faille et les connaissances qu’elles ont du quartier où sévit l’exhibitionniste leur offrent un avantage indéniable pour le démasquer. Après quelques jours de recherches, la « Section des enquêtrices mères au foyer » se trouve plus près du but que la police ne l’a jamais été, et Miri se félicite du potentiel caché qu’elle a su pressentir chez ses amies :

« Elle pense que, pour un certain nombre de choses, les femmes au foyer surpassent la police. » (p.108)

Mais alors que les enquêtrices multiplient les découvertes sur l’exhibitionniste, un autre criminel autrement plus dangereux se manifeste : le tueur en série « Smile Man » se met à sévir dans la résidence. Une nouvelle mission pour les mères au foyer.

Sous couvert de roman léger et humoristique, Les quatre enquêtrices de la supérette Gwangseon aborde des sujets profonds et très actuels, comme la dépression ou les violences conjugales, tout en condamnant la légèreté avec laquelle les affaires d’agressions sexuelles sont souvent traitées. L’auteure Jeon Gunwoo créé des personnages aux caractères bien définis, qui trouvent chacun un avantage à rejoindre cette section d’enquêtrices. Si Miri y voit une raison de se lever le matin et de combattre sa dépression, Jihyeon vit cette enquête comme une libération de sa routine quotidienne et une façon de reprendre confiance en elle :

« Jusqu’à maintenant, mon vieux était le seul à profiter des plaisirs de la vie, à faire ce qui lui chante. Aujourd’hui, c’est moi. Regarde-moi ! Tout ce que je peux faire ! » (p.109)

Ce roman, qui appartient à la catégorie littéraire « cosy mystery », est un thriller rempli d’humour, mais c’est aussi un roman féministe. Si les talents d’enquêtrices de ces mères au foyer peuvent sembler un peu exagérés, Jeon Gunwoo explique que c’est le sentiment de sororité qui lie ses personnages qui fait leur force : elles se font confiance les unes aux autres et s’encouragent à dépasser leurs limites, à pousser leurs réflexions toujours plus loin.

« Le sentiment d’appartenance de Sohui à la communauté des femmes est très fort. Quand elles sont ensemble, elle se sent en sécurité, elle est capable de tout. » (p.147)

Les enquêtrices ne sont pas pour autant débarrassées de leurs contraintes quotidiennes et elles doivent souvent cesser leurs activités à l’heure de la sortie des cours. Cependant, leurs enfants représentent pour elles autant un obstacle à l’enquête qu’une source de réconfort, voire de motivation. Lorsque Miri interroge une jeune fille victime de l’exhibitionniste, elle ne peut s’empêcher de penser à sa fille et son envie d’arrêter « Boules de Mulot » redouble. Et quand Sohui se retrouve en danger de mort, elle pense à son fils Cheoli qui l’attend à la maison, et regagne en confiance :

« Il faut que je me sauve d’ici… pour Cheoli. Sohui sert les dents. Elle ne peut pas abandonner maintenant. » (p. 227)

Les problématiques féministes et sociétales se retrouvent surplombées d’une ambiance très oppressante. Pendant que les quatre ménagères s’appuient les unes sur les autres pour résoudre leur enquête, une terreur moite pèse sur le quartier. Elle se manifeste par la lourde chaleur d’été qui ralentit et épuise les enquêtrices, par l’orage qui surgit quand elles réalisent que la police a commis une erreur, et par la présence menaçante d’un personnage qui se fait surnommer « l’homme », qui voit tout, qui sait tout, et qui contrôle tout dans l’ombre. Sous son influence, la petite investigation amusante de la Section des enquêtrices mères au foyer se transforme en lutte pour leur survie.


Les quatre enquêtrices de la supérette Gwangseon
JEON Gunwoo
Traduit du coréen par CHOI Kyungran et Bessora
Matin Calme éditions, 320 pages, 14,90€

A propos

Étudiante en traduction littéraire coréenne et en édition à l'Université Aix-Marseille. Co-éditrice en chef adjointe de Keulmadang. Je me spécialise depuis plusieurs années dans l'étude de la littérature coréenne, et notamment de la science-fiction.