de EUN Hee-Kyung
Zulma, 2009
Traduction de Lee Hye-young et Pierrick Miccottis
Les boîtes dont on parle dans ce recueil de nouvelles sont celles que l’on ouvre et que l’on referme, sans bien savoir si les personnages qu’elles abritaient ont eu le temps de s’éclipser ou bien d’être pris en flagrante tentative de se soustraire aux misères du monde.
Cinq nouvelles écrites dans un style alerte et fluide qui contraste avec la difficulté des thèmes travaillés puisque ces nouvelles sont toutes consacrées aux relations entre hommes et femmes, au sein de couples, légitimes ou non, dans la Corée contemporaine.
Dans la première nouvelle qui donne le titre au recueil « Les boîtes de ma femme », un homme découvre des boîtes appartenant à sa femme, en faisant l’inventaire d’un appartement qu’il va quitter, en raison de l’internement de sa femme. Et à partir du contenu hétéroclite de ces boîtes, il va déconstruire la relation avec sa femme et établir la genèse de l’échec, échec d’autant plus douloureux que l’amour ou plus exactement l’absence d’amour, n’est pas en cause.
Dans la deuxième nouvelle « Ma femme évanescente », un homme découvre le journal intime de sa femme et la vie qu’elle s’invente, notamment un prétendant qui lui ressemble étrangement.
Ces deux nouvelles illustrent la manière dont Eun Hee kyung abordent les relations hommes-femmes. Les personnages exposent leurs blessures et dissimulent leurs émotions. Et plongent le lecteur dans la position de l’observateur impliqué dans la situation qu’il est en train d’observer. Aucune économie du sentiment dans les propos de Eun Hee kyung. Même si elle esquisse une peinture au couteau de ses personnages, elle privilégie l’intensité plutôt que l’épaisseur, la densité plutôt que le chatoiement des couleurs. On s’aime, on se trompe, on se déchire, on se quitte, on regrette. Nul ne ressort vainqueur de cet affrontement où l’amour ressemble parfois à une arène dont le sort ne désignera ni vainqueur ni vaincu.
Dans la troisième nouvelle « Les beaux amants », la rupture de leur relation intervient naturellement à la suite… d’une méprise. Savante construction de la part des deux amants et leur séparation quasi-programmée, faute d’avoir su mettre en perspectives leur amour.
Dans la quatrième nouvelle, « On n’avait pas pensé à l’imprévu », une femme découvre l’amour qu’elle éprouve pour son mari, une fois mort.
Dans la cinquième nouvelle, une jeune fille découvre que sa soeur ainée, dont elle n’a jamais voulu élucider le rapport difficile qu’elle entretient avec elle, a subit un échec amoureux, qui la lui rend, paradoxalement plus proche.
L’optimisme ne règne pas dans les relations d’amour, dans cette Corée qui pour avoir vaincu ses ennemis n’en a pas fini avec ses vieux démons. la communication entre les personnes a changé de forme mais pas de nature. Elle y est toujours aussi délicate. Et la ville n’arrange rien. Dans une Séoul craintive, soucieuse de ressembler aux autres mégapoles, où pullulent les grands ensembles qui trimbalent avec eux leur lot d’inhumanité, dans la vie de tous les jours comme dans les relations les plus intimes. Les souffrances sont exposées à vif et les stratégies de chacun pour les dissimuler restent vaines. Point de salut, les histoires d’amour finissent toujours mal.
« Voilà un mois que mon mari est mort […] mais si au lieu de mourir, il était resté paralysé […] à présent, si elle pouvait le ramener à la vie, ne serait-ce qu’un instant, elle lui dirait : « Mon chéri, je ne voulais pas me disputer avec toi. Cela paraît bien paradoxal, mais c’est pour cette raison que je me mettais si souvent en colère. »
Dans ces nouvelles où l’un est le spectateur de l’affaissement progressif de l’autre, tout l’amour qu’ils se portent n’est pas suffisant pour sauver la relation d’une issue fatale :
« Une jour, elle s’est écriée : « Tout se fane chez nous […]. Même les pommes se ratatinent au bout d’une nuit. Le ciment des murs absorbe tout l’humidité. Moi aussi, je me fanerai un jour. Je sens toute l’eau de mon corps s’en aller. »
Impossible de vous cacher plus longtemps la réponse du mari : « Le lendemain, j’ai commandé un humidificateur pour l’intérieur ».
Avec Eun Hee kyung, l’humour est ainsi, il intervient au moment où on s’y attend le moins. Et, dérouté par cet à-propos, chacun d’entre nous se sent d’un coup meilleur, bien meilleur que le personnage qu’elle fait agir. Eun hee Kyung nous confiera dans une interview que nous publierons ultérieurement, que ses lecteurs lui avouent régulièrement qu’ils ressortent gonflés à bloc de leur lecture, tant ils se sentent bien meilleurs que la plupart des personnages exposés. L’ennui est que ces personnages ne sont pas des monstres. Ou alors des monstres particuliers, difficiles à détecter, cachés sous des masques ressemblant étonnamment à des personnages réels, mille fois vus, tant ils nous ressemblent.
On pense à Kundera ou à Kafka, auteurs fétiches de Eun Hee kyung, avec ces personnages dans l’incapacité de se racheter. Eun Hee kyung pose un regard tendre et détaché, mais implacable, refusant toute solution au lecteur, qui doit, tout comme elle en tant qu’auteur, se débrouiller.
Il faut lire ce petit livre où l’on découvre que les relations ente les hommes et les femmes n’ont jamais été aussi problématiques dans la Corée en modernisation à marche forcée. Hier soir encore, en sillonnant les ruelles* étroites de Séoul, toutes en cours de destruction, voyant hommes et (rares) femmes boire, manger et discuter à s’échauffer, nous nous demandions où était la part de vérité dans tout cela.
Eun Hee kyung est née en 1959 à Kochang, dans le sud de la Corée. Elle débute sa carrière littéraire à 35 ans avec son premier roman Cadeau d’un oiseau en 1995, et obtient le Prix des Romans, prix suivi depuis de six autres. Les boîtes de ma femme est son premier recueil traduit en français.
[toggle title_open= »En savoir plus » title_closed= »En savoir plus » hide= »yes » border= »yes » style= »white » excerpt_length= »0″ read_more_text= »Read More » read_less_text= »Read Less » include_excerpt_html= »no »]Ruelle très étroite appelée Pimatgol, où deux personnes à peine peuvent se croiser. Autrefois créées pour éviter au peuple d’avoir à saluer en se prosternant devant l’aristocratie qui défilait dans les grands boulevards parallèles. Ces ruelles sont bordées de restaurant populaires où on peut manger à bas prix et de bistrots (littéralement maisons à alcool), d’où il est possible de ressortir en titubant. Bien entendu, ces ruelles étaient un lieu de bouillonnement social. Comme un peu partout en Asie, elles sont détruites, en sacrifice aux dieux de la modernité. Elles laisseront bientôt la place à des buildings dans lesquels nous n’entreront sans doute jamais.[/toggle]