Shin Kyung-sook a fidèlement répondu aux attentes de son statut d’écrivain. Elle a remis au goût du jour le côté authentique des personnages longtemps laissé dans l’ombre de l’histoire et des problèmes sociaux, surtout à travers des figures féminines, dans le roman coréen. En plus de s’essayer à de nouveaux styles de romans, elle s’est également assuré un lectorat de taille, comme l’énorme succès de son dernier roman en Corée en est la preuve. La journaliste Han Yun-jeong a rencontré Shin Kyung-sook, qui a évoqué sa vie et son œuvre.
Shin Kyung-sook est un écrivain important que l’on ne peut pas négliger lorsqu’on parle de la littérature coréenne des années 1990-2000. Ce ne serait pas exagérer que de dire qu’elle est un élément moteur de la tendance littéraire coréenne de ces dernières années.
Shin fait ses premiers pas sous les feux de l’actualité littéraire en 1993, lorsque la série prolongée de dictatures militaires s’achève enfin en Corée du Sud, pour laisser place à un gouvernement civil. Pendant cette période, le roman coréen reste principalement réaliste, fermement ancré dans les décennies de lutte contre les règles autoritaires menées par les artistes. Les lecteurs, eux, commencent à se lasser.
C’est à ce moment là que Shin Kyung-sook présente aux lecteurs coréens son second recueil de nouvelles. Son style particulier, discret et délicat, attire immédiatement l’attention des lecteurs et des critiques. Elle fait son arrivée, alors âgée de 30 ans, le regard franc et empreint de sensibilité.
« Pendant sept ou huit ans après mes débuts en littérature à 22 ans, j’ai exercé différents boulots tout en continuant à écrire. J’ai lu une grande variété de romans, mais les œuvres que les autres trouvaient d’une originalité nouvelle n’avaient pas vraiment cet effet sur moi. A ce moment, je ressentais un besoin urgent de m’échapper des limites du récit traditionnel, et l’envie d’écrire quelque chose que l’on pourrait reconnaître comme étant mon œuvre dès les 5 premières pages, même sans lire la couverture », explique Shin.
A l’époque, elle lit de façon systématique toutes les œuvres de ses auteurs préférés, comme Yi Chong-jun et Oh Jung-hee. Cette période de lecture intensive lui permet de créer son propre style, à la fois triste et beau, hésitant et audacieux, cherchant à exprimer l’inexprimable et à montrer l’inmontrable. Elle fait revivre de façon très précise des détails familiers et réaffirme leur importance, se concentrant sur le personnage, féminin le plus souvent, aspect négligé par le passé par de nombreux auteurs coréens.
Le roman La Chambre Solitaire, que Shin publie 2 ans après son second recueil, lui permet de s’affirmer en tant qu’écrivain. Comme le décrit le romancier Hwang Sok-yong, ce livre est une « exploration à double face, de la vie et de l’écriture » – l’histoire autobiographique de l’expérience d’une femme qui surmonte la difficile période de l’industrialisation de la Corée, et en même temps, celle d’un écrivain qui fait difficilement face à son passé pour tenter de raconter son histoire.
Shin Kyung-sook est née à Jeongeup, dans un coin reculé de la province du Jeollabuk-do, où elle grandit et termine sa scolarité au collège. A ses 16 ans, ses parents n’ayant pas les moyens de l’envoyer au lycée, elle s’installe avec son cousin à Seoul, où son frère ainé vit déjà. Dans le Seoul de la fin des années 1970, la campagne d’industrialisation est à son apogée, avec une exploitation en règle de la main d’œuvre, et une constante violation des droits de l’homme dans les conditions de travail du régime de Park Chung-hee, dictature aveuglée par la quête de croissance et de développement qui l’a menée à sa fin.
« Cela faisait 10 ans depuis ma première publication et j’étais désespérément rattrapée par l’idée que je ne serais pas capable d’écrire quoi que ce soit sans faire face à cette douloureuse période de ma vie. », confesse Shin, « la plupart du temps, je suis sans doute la plus fervente lectrice de mes propres livres, mais pour ce roman, il a été si douloureux à écrire que je ne l’ai pas lu depuis que l’éditeur en a publié une nouvelle édition il y a dix ans. »
Ce livre est suivi par une série de romans, chacun d’entre eux attendu avec impatience puis adopté par les lecteurs et les critiques. Tous les romans de Shin, qu’ils soient d’éducation, d’amour ou historiques, prennent une teinte particulière, basée sur une trame et un style unique, une profondeur dont elle seule est capable. Dans la plupart des cas, ses personnages sont enclins au bien, tranquilles, contemplatifs, et non calculateurs. Shin semble croire, malgré ses conflits précoces avec sa famille et la société, que la nature humaine est basée sur la bonté, et que d’une manière ou d’une autre les hommes finissent par faire le mal sans pour autant en avoir l’intention. Peut être est-ce pour cette raison que ses livres sont tant appréciés.
Faisant un retour sur ses 23 années d’écriture, elle commente : « Quand j’ai débuté, j’étais tendue et trop sensible, trop désireuse d’écrire quelque chose de différent des autres, alors qu’après La Chambre solitaire, j’ai essayé d’écrire sans empathie pour l’autre, de me livrer à une écriture qui gratifie et comprend, plutôt que de contrarier. »
Plus que tout, Shin Kyung-sook a fidèlement rempli le rôle que la littérature coréenne attendait d’elle. Elle a rendu aux personnages authentiques, surtout féminins, la place qui est la leur dans le roman, alors dominé par l’imposante épopée de l’histoire et de la réalité sociale. En plus d’être à l’origine de nouveaux styles littéraires, elle s’est également assuré un important lectorat qui lui a permis de déployer cette esthétique nouvelle. Malgré la crise de l’édition dont on parle beaucoup en Corée, due au fait que cette dernière émerge comme la nouvelle capitale de la création cinématographique en Asie, Shin attire beaucoup de lecteurs coréens depuis les années 1990, et elle reste l’un des piliers qui maintient le genre romanesque en vie.
Son œuvre a également séduit de nombreux lecteurs étrangers. La Chambre Solitaire a été traduit en français, en japonais, en chinois et en allemand, et les traductions anglaises et espagnoles sont en cours ; Li Chin, publié en Chine, est en cours de traduction en français (paru en février 2010 aux éditions Picquier) ; et plusieurs de ses histoires ont été rassemblées en anthologies dans un certain nombre de pays. Dans le monde, beaucoup associent encore la Corée avec la guerre, la division, et les dictatures militaires, mais les livres de Shin ont un attrait universel qui peut parler à un large éventail de lecteurs. Comme cela a été le cas pour les lecteurs coréens qui ont découvert ses histoires pour la première fois dans les débuts de sa carrière, les lecteurs étrangers vont ressentir le même plaisir et se reconnaître dans ses livres.
Nous pouvons alors nous demander, à ce stade, à quoi ressemble la vie de Shin. Elle raconte : « J’ai toujours eu l’habitude d’écrire de façon naturelle depuis que je suis jeune » Et, pour ne pas que sa source d’inspiration ne se tarisse, elle se lève toujours aux premières heures de l’aube. Pendant ces heures paisibles, quand le reste du monde dort, elle réfléchit sur elle-même et sur les autres, et commence tranquillement à écrire. Shin dit : « Si je pouvais naître une autre fois, je voudrais faire quelque chose de plus physique, comme de la sculpture avec un marteau et un burin, ou construire un bureau avec une scie, ou même danser. Mais pour le moment, dans cette vie, je m’aime en tant qu’écrivain. »
Ecrire un roman, pour Shin, c’est rêver, c’est son arme la plus puissante face à l’éphémère de la vie. Son rêve d’écrivain, c’est « d’écrire un livre si beau, qu’il n’y ait pas une seule phrase que l’on puisse supprimer, du début à la fin. » Roman ou autre, peut importe le genre. Elle va continuer à écrire jusqu’à ce qu’elle ait écrit ce livre.
Han Yun-jeong
Avec l’aimable autorisation du Korean Literature Translation Institute
Traduction Lucie Angheben