Choi Seung-ho est né en 1954, à Chuncheon dans la province de Gangweon (Corée du Sud). Jusqu’à l’âge de vingt-trois ans, l’aîné d’une famille de cinq enfants, il vit dans cette région de montagnes et de lacs et passe son enfance, juste après la guerre de Corée, dans les ruines et la pauvreté. Son père qui dirigeait une petite entreprise doit quitter la maison familiale après la faillite de son affaire en 1967 : débute alors une longue séparation avec son père.
En 1972 il se met à fréquenter l’église catholique et se fait baptiser du nom de Raphaël. Il écoute de la musique classique occidentale au presbytère et chante comme basse dans le choeur de l’église. Bien qu’il n’ait pas continué à aller à l’église, il a été très touché par la biographie de Saint François d’Assise et les sermons de Maître Eckhart. Ayant le goût de la peinture – il aime les surréalistes Giacometti, De Chirico et Magritte -, il se rend compte qu’il n’en a pas le talent, bien qu’il ait toujours dessiné. Aussi entre-t-il en 1973 à l’école normale de Chuncheon pour devenir instituteur et en 1975, il est chargé de cours au collège des garçons où il enseigne le coréen. Il lit des ouvrages de poésie et de bouddhisme, et s’intéresse en particulier au zen et à Zhuangzi (Tchouang-tseu). En 1977 il fait paraître deux poèmes, dont Vivaldi, dans la revue Poétique contemporaine (Hyeondae sihak). Il est nommé instituteur dans une école primaire d’une commune de montagne isolée et s’exerce à la description littéraire. En 1978 il subit une rechute de sa tuberculose pulmonaire, diagnostiquée en 1974, et revient se soigner à Chuncheon. En 1979 il part enseigner à l’école primaire de Sabuk, dans une région de mines de charbon au pied de la chaîne des monts Taebaek. C’est à cette époque qu’il écrit les poèmes de ce qui deviendra son premier recueil, Alerte à la neige. En 1982 il reçoit le prix littéraire Écrivains d’aujourd’hui pour Alerte à la neige (qui sera publié en 1983) et quarante-huit autres poèmes. Il démissionne alors de l’enseignement, monte à Séoul et travaille dans une maison d’édition. Il publie ensuite d’autres recueils poétiques importants et marque les années 1980-1990 : LeVillage des hérissons (1985), qui reçoit le prix littéraire Kim Su-Yeong, et Sur le dos du boeuf de boue(1987). Directeur littéraire de la maison d’édition Segyesa, il crée en 1989 la revue trimestrielle Le monde des écrivains (Jakka seyge). En 1990 il publie le recueil Plaisir de la ville mondaine, qui reçoit le prix Yi San. Après le suicide de sa compagne en 1991 et l’incendie de sa maison, il revient vivre chez son frère cadet à Chuncheon et publie en 1993 La nuit de lagangrène. Il se marie en 1994 et, après la naissance de sa fille, la famille déménage à Séoul. Il publie alors successivement La réserve des lucioles (1995), Le bonhomme de neige (1996) et La marge (1997), et devient directeur de Chemins pour vivre ensemble, revue mensuelle publiée par la Fédération du Mouvement pour l’environnement. En 1999 il publie Les Grotesques et reçoit le prix littéraire Daesan. Les hommes de sable paraît en 2000 et Moi qui ne suis rien et qui suis tout en 2003. Il reçoit le prix littéraire Midang pour le poèmeLa télévision. En 2004 il va réciter ses poèmes à Cuba et au Mexique, tandis qu’une anthologie est publiée aux États-Unis, chez Homa & Sekey, sous le titre Flotoers in the Toilet Boiol (traduction Won-Cliung Kim et James Han). En 2005 paraît Autobiographie de la glace. Il donne des récitations à Berlin et à Leipzig. Deux poèmes, dont La cuvette des toilettes, sont traduits en allemand dans le numéro d’hiver de la revue littéraire Lose Bldtter tandis que paraît en Espagne la traduction de Moi qui ne suis rien et qui suis tout (Th que sOl nada, 10 soy todo), chez Verbum. Depuis 2006, Choi Seung-Ho donne des cours de création poétique à la Faculté des Arts de l’Université Jungang à Séoul. Son dernier recueil à ce jour, Le désert de Gobi, composé à la suite de son voyage en Mongolie, vient de paraître en 2007. Alerte à la neige est ainsi le tout premier recueil de Choi Seung-Ho, écrit au tournant des années 1970-1980, sous la dictature militaire, en des années marquées par l’industrialisation et l’urbanisation galopantes d’un pays resté encore largement agraire jusqu’à la sanglante guerre civile de 1950-1953 qui avait laissé la nation exsangue et coupée en deux. En Corée du Sud, sous le régime militaire nationaliste, ont prospéré, grâce à leurs appuis politiques et par le jeu capitaliste des participations croisées, les grandes entreprises (chaebols) qui ont rapidement fait connaître au pays un taux de croissance élevé et l’ont modernisé à marche forcée jusqu’à le transformer en moins de deux décennies en un dragon de l’économie mondiale. Mais, revers de cette expansion économique, la société s’est trouvée bouleversée par cette industrialisation frénétique et l’urbanisation à outrance qui ont transformé les travailleurs en robots et . souvent le paysage naturel en dépotoir, d’autant plus que, dans cette région sur la ligne de faille de la guerre froide, le développement s’est accompagné d’une politique autoritaire de suppression des libertés individuelles. Ainsi l’année 1980 en particulier est restée dans l’histoire comme celle de la répression féroce par l’armée des révoltes étudiantes dans la ville Kwangju où le régime a proclamé la loi martiale. Or, de manière très originale et en avance sur son époque, Choi Seung-Ho critique la civilisation moderne et industrielle du temps de la dictature militaire non pas dans une optique politique, réactionnaire ou marxiste, mais dans une perspective environnementaliste qui, plus profondément, rejoint le souci d’embrasser toute la Création par-delà l’enfer de l’existence terrestre, où la vie humaine n’est plus qu’une marchandise comme les autres. Face aux dangers mortels de la société de consommation dont les atteintes faites à l’homme, tant physiques que spirituelles, sont indissociables de celles infligées à la nature, le poète réagit en révélant, au-delà de la belle apparence de la réussite économique, l’envers du décor avec sa laideur et ses violences, du point de vue des victimes et des laissés pour-compte avec lesquels il sympathise sincèrement. Pour cela il recourt à un langage poétique descriptif et analytique, mais dont le réalisme dérangeant s’exprime au travers d’images volontiers naïves et insolites, grotesques, voire décalées, d’où surgit l’absurde d’un monde déshumanisé et hors de ses gonds. C’est seulement au prix de cet examen lucide que la poésie en éveil pourra partir à la reconquête de l’harmonie perdue de l’homme avec la nature.
No Mi-Sug et Alain GÉNETIOT
Nous donnons ici deux poèmes de Choi Seung-ho :
L’aprécition de la situation
Tous semblent grandir à la hâte.
Sans force de caractère,
Avec une taille géante en apparence seulement,
Ils semblent se laisser entraîner quelque part
d’un air abattu.
Les pas lourds tirés par la corde
Épaisse
De l’obligation
De l’ingérence d’autrui
Et du contrôle…
Ils semblent tous marcher en chancelant
En ce moment ou au dernier moment,
En cette époque anxieuse comme dans un tunnel
Où l’on ne sait pas quand le train va surgir.
Sans savoir pourquoi ils marchent,
En tombant
En dépit de leurs efforts pour ne pas tomber,
Marchent-ils vers le jour où ils.ne pourront
plus jamais se relever?
Les Nuages
Dans le ciel
Où après ma mort
Il n’y aura pas une maison pour accueillir mon âme
Passent les nuages couleur de marbre
Les nuages déposés dans l’urne de mon esprit
Les nuages qui remplissent mon crâne
Et les nuages qui se sont collés comme des plumes
Sur la tenture des os, des gros os et des cartilages
Pourrai-je les voir les nuages
Après l’instant qui va écraser mon corps
Dont la taille augmentait comme la barre d’un graphique,
Ces nuages qui passeront un jour sur la terre vide?