Dans son roman Les larmes bleues, Juliette Morillot nous propose une voyage au côté de Seungja, personnage principal de l’histoire. À travers son oeuvre, l’auteur nous dépeint la société coréenne des années 1950 qui est loin de ressembler à celle d’aujourd’hui. En lisant la quatrième couverture, on se rassure en apprenant que l’auteur est une spécialiste des deux Corées et par la même occasion que nous serons épargnés de dates et faits historiques approximatifs. Toutefois,
même s’il ne s’agit pas de roman historique, le lecteur qui ne connaît pas grand chose sur la Corée d’antan risque d’être un peu perdu et de passer à côté du message que veut faire passer l’auteur. Un message que l’on peut qualifier d’assez explicite mais avec un sous-entendu implicite. Peut-on se défaire de son passé ? Voilà la question soulevée par l’auteur dans ce roman. Question à laquelle elle répond en nous donnant son point de vue à travers l’histoire de Seungja.
Les larmes bleues est une histoire racontée par Seungja, personnage principal du roman. Née de parents lépreux et emprisonnée dans l’île de Sorokto, elle rêve d’une vie meilleure dans la société coréenne. On découvre alors l’évolution de la jeune fille à travers ses rencontres avec des âmes meurtries par le destin. L’auteur nous ouvre les portes de ces hommes et femmes frappés par la fatalité, et qui comme Seungja souhaiteraient prendre le contrôle de leurs vies en défiant les lois du sang, de la naissance et de la providence.
Il faut admettre qu’au niveau du point de vue de la forme, l’auteur a fait un choix judicieux en donnant des titres à ses chapitres. (même si je pense que certains titres sont représentatifs du contenu, alors que d’autres le sont moins) Ce choix n’est pas un hasard car chaque chapitre est synonyme de nouvelles rencontres qui permettent à l’histoire d’évoluer. On apprécie alors cette évolution qui est en parfaite adéquation avec l’ascension sociale de l’individu dans la société. Chaque nouveau personnage a un statut un peu plus élevé que le précédent. De ce fait, l’auteur a une raison de faire évoluer le personnage de Seungja et par la même occasion de montrer au lecteur qu’elle se rapproche de plus en plus de son but. Je pense qu’il s’agit là d’une volonté de l’auteur à entraîner le lecteur vers une piste afin qu’il ne devine pas la fin de l’histoire avant d’avoir terminé le livre.
Au delà de cette cohérence entre la forme stylistique et l’histoire, on peut avoir le sentiment qu’il manque quelque chose à l’histoire. Lorsqu’on commence le livre, nous sommes en Corée au début des années 50 et à la fin de la lecture nous sommes à peu près dans les années 75. Une période très importante pour la Corée du Sud qui a connu une séparation douloureuse et dévastatrice avec son voisin le Nord. Certes, l’auteur ne fait pas l’impasse là-dessus car à travers les dates et le dialogue de certains personnages, elle nous donne des faits sur la situation politique de l’époque. Mais ces faits ne perdent-ils pas de leur gravité lorsqu’ils sont racontés par une fille qui n’avait que onze ans au moment des faits.
«Sa Il Gul. Avril 1960. La révolution ? Qu’en savions-nous à sorokto ? J’avais onze ans quand les étudiants avaient envahi les rues de la capitale et marché vers le palais. […] Une junte s’était formée autour du général Park Chung-Hee et, à l’aube du 16 mai 1961, les tanks avaient surgi dans la capitale. Les militaires avaient pris le pouvoir.» p.179-180
Cette partie historique de la Corée aurait mérité un traitement qui provoque plus d’impact chez le lecteur, et qui devient là presque une banalité. Tout comme la Guerre de Corée qui n’est pas assez évoquée. Il est fort probable que Juliette Morillot ait préféré se focaliser sur les conséquences de ces évènements et d’épargner au lecteur une fastidieuse partie historique.
Le personnage de Chung est profondément touchant, même si Seungja ne le trouve pas si effrayant que ça : «Je le trouvais plutôt sympathique, pas du tout terrifiant comme je m’étais imaginé le propriétaire des lieux.» p.120
Ce boucher de chiens parait froid, sans état d’âme et cruel. Cette image ne varie pas jusqu’au moment où on le voit avec son fils Ungga. Et là, le lecteur se rend compte qu’il est avant tout un homme, jugé par son métier de la même manière que la société coréenne qui l’a exclu. Au fil des pages, on se sent coupable de ne pas lui avoir donné sa chance dès le début. D’un sentiment de dégoût, on passe à la compassion, puis onepartagé son bonheur et sa douleur. Il n’a pas été épargné par le destin tout au long de sa vie. Il a combattu ses démons pour qu’on puisse le voir en tant qu’homme et pas en boucher de chiens. Son combat pour changer de destin est exemplaire. On voudrait qu’il soit plus fort après la dernière tragédie dont il a été victime. Afin qu’il puisse prouver au monde que la volonté et le rêve de l’individu sont plus fort que le sang qui coule dans les veines. Qu’il puisse clamer: «J’ai souffert, j’ai pleuré, la douleur était tellement pénible que j’ai voulu mourir, je n’avais plus rien mais vous savez quoi ? J’ai survécu. Je m’appelle Chung, je suis boucher de chiens mais ce n’est pas le plus important. Car aujourd’hui, je suis Chung l’homme.»
Chung choisit de se révolter et de détruire sa vie, un choix qui peut provoquer l’anéantissement ou le sentiment de trahison.
Juliette Morillot nous livre une histoire poignante axée sur la force de nos vies passées. Fuir son passé est possible quitte à le voir remonter à la surface. Le seul point d’interrogation sur ce roman réside dans l’impact qu’il peut avoir entre un lecteur ignorant et un lecteur connaisseur de l’histoire de la Corée. Il faut malgré tout aller jusqu’au bout de cette histoire peu gaie mais poignante.