Ministre honoraire (1), votre humble sujet Yi Hwang, se prosterne deux fois et s’adresse respectueusement à Votre Majesté. Quand je réfléchis bien, la Voie n’a pas de forme et le Ciel est sans parole (2). Lorsque sont apparus le « Diagramme du Fleuve et la Charte de la Rivière Luo (3) », le Sage en a fait des hexagrammes et la Voie s’est ainsi manifestée sous le Ciel. Mais comme elle est si vaste, par quoi commencer ? Et comme les leçons anciennes sont innombrables, par où y entrer ?
L’étude de la Sagesse a son grand principe et la méthode pour cultiver le coeur a ses règles essentielles. Les Sages postérieurs ont donc dû composer des diagrammes pour les manifester et écrire des commentaires pour les expliquer afin de dévoiler à tous la porte d’entrée de la Voie et le fondement de la vertu.
Or le coeur du roi est le lieu où convergent toutes les affaires de l’État, où sont réunies toutes les responsabilités, où entrent toutes les convoitises et toutes les perversités. Si donc dès qu’il commence à être paresseux, négligent et relâché, il devient semblable à une montagne qui s’écroule ou à une mer agitée par la tempête que personne ne peut contrôler.
Les sages empereurs et les rois éclairés des temps anciens se souciaient de cela. Ainsi, ils demeuraient toujours attentifs et dans la crainte et, jour après jour, ils avaient conscience de leur imperfection. Ils ont créé alors une charge officielle de maître pour être enseignés et une autre pour qu’on leur adresse des remontrances. Devant et derrière eux, à leur gauche et à leur droite, d’autres encore les aidaient. Quand ils allaient en palanquin, des règles régissaient ce qui concernait les gardes du corps. À la Cour, des codes de loi définissaient les tâches des fonctionnaires et des précepteurs. Sur leurs bureaux, se trouvaient les remontrances du Maître de récitation et dans la chambre à coucher, des admonitions de leurs Conseillers de chambre. En ce qui concernait les affaires, ils avaient l’orientation du Maître de musique et de l’astrologue de la Cour ; dans le loisir, ils recevaient les conseils de l’Ingénieur des travaux publics (4). Et sur les plats, les bols, les bureaux, les cannes, les épées ou les petites fenêtres, à tout endroit où leurs regards s’arrêtaient et où leurs corps se trouvaient, ils rencontraient inscriptions et préceptes. Ils se donnaient ainsi entièrement au souci de maintenir leur esprit vigilant et de veiller à leur personne. C’est pourquoi, jour après jour, leur vertu se renouvelait et leur perfection augmentait ; ayant vécu sans tache, ils ont ainsi laissé un grand nom.
Par la suite, les souverains sont montés sur le trône en recevant le mandat du Ciel, et leur responsabilité et leur mission furent alors plus grandes que jamais. Mais le gouvernement de leur esprit et de leur propre personne ne fut pas aussi rigoureux. Ils se proclamaient eux-mêmes Sages et se montraient arrogants envers les princes et la multitude. Il n’est donc pas étonnant qu’une telle attitude ait fini par entraîner tous les maux et toutes les violences.
C’est pourquoi les conseillers qui veulent conduire les rois sur la Voie s’y appliquent de tout leur coeur. ( …).
1) Titre honorifique attribué à celui qui n’a plus d’activité à la cour.
2) Entretiens, XVII, 19 : « Le Maître dit : Le Ciel parle-t-il ? Pourtant, les quatre saisons suivent leur cours, pourtant les cent créatures naissent. Le Ciel parle-t-il ? »
3) À l’époque du souvrain mythique Fuxi, le dragon est sorti du fleuve Jaune avec sur son dos ce dessin, qui est à l’origine des huit trigrammes du Classique des mutations (Yi jing). Et une tortue qui portait sur son dos une charte mystérieuse est sortie de la rivière Luo, ce qui donna au roi Yu le Grand (2205-2197 av. J.-C), fondateur de la dynastie des Xia, l’idée des « Neuf articles de la Grande Règle », rapportés dans le Classique des documents.
4) Ce passage souligne le peu d’intérêt de T’oegye pour la technique qui relève du loisir. A cette lumière apparaît l’originalité de Yi I pour qui les divers aspects de la vie dont la technique sont importants. La réaction coréenne au moment de l’arrivée des Occidentaux reflète assez bien la grande influence culturelle de T’oegye.