Introduction
« Si vous voulez rentrer chez vous vivantes, il faut tout accepter »[1]. Cette phrase prononcée par un médecin militaire de la troupe « Shingsu » de Mandchourie, nous permet de mettre tout de suite en lumière le drame vécu par les nombreuses femmes enlevées, torturées et violées par les soldats japonais entre 1932 et 1948. Ces femmes, provenaient des colonies du Japon et des pays qui était sous domination japonaise, comme la Corée. On estime à 200 000, le nombre de femmes ayant subi ce type d’esclavage dont 80% étaient des victimes coréennes.
Après la publication du livre Jugun Ianfu (War Comfort Women) de Senda Kako[2] en 1973, l’euphémisme « femmes de réconfort » s’est répandu. En coréen, le terme « Halmony » s’est figé comme un nom propre qui désigne les victimes. Il signifie grand-mère. Un autre terme fait référence aux « femmes de réconfort », c’est le terme « Wianbu ». En 1992, un congrès à Séoul eût lieu, où ils parlèrent pour la première fois du problème. Le terme « troupes de volontaires » y a été aboli et le terme anglais : « military sexual slavery by Japan[3] » a été officialisé.
Nous pouvons nous demander dans quelles mesures ces faits se sont produits et pour quelles raisons nous continuons d’en parler aujourd’hui même, c’est-à-dire, plus de soixante ans après les faits ?
Dans un premier temps, nous verrons le contexte politique, les conquêtes du Japon et la naissance du sentiment anti-japonais puis nous traiterons dans un second temps le sort réservé aux jeunes femmes destinées aux maisons de réconfort, enfin, pourquoi ce sujet est toujours polémique, nous verrons que plus de soixante ans après les faits, le débat n’est pas encore clos et que les « femmes de réconfort » sont toujours prisonnières.
I. Origine du débat et naissance du sentiment anti-japonais.
1) L’incident de Mandchourie
En 1919, le Japon envoya l’armée japonaise en Mandchourie, mais les chinois se montrèrent résistants face à cette « invasion ».
En 1929, la crise économique mondiale atteint aussi le Japon et c’est un facteur d’accélération des conquêtes. En effet, la Société Japonaise des Chemins de fer de Mandchourie du Sud (C.F.M.) est en déficit, et comme les japonais veulent la Mandchourie, ils préparent une stratégie militaire d’invasion en 1931. C’est ce qu’on appelle l’incident de Mandchourie. Les japonais déclenchent un attentat pour mettre en cause les chinois. Selon Jung Kyung-a, cette attaque serait un coup monté pour justifier l’invasion militaire de cette région. Le sentiment anti-japonais chez les chinois était à son apogée. De nombreuses maisons closes ont vu le jour à Shanghai car les soldats sont venus s’y installer après y avoir pris le contrôle.
En 1932, les japonais déclarent la création de l’Etat de Mandchourie (Manzhouguo).
2) La justification de la création des maisons de réconfort
Yasuji Okamura était l’initiateur des maisons de réconfort de l’armée japonaise. Parce que les soldats violaient les chinoises et attrapaient des maladies vénériennes, ils décidèrent de créer des maisons closes afin que ce soit plus réglementé. En décembre 1932, déjà 17 maisons de réconfort pour la marine japonaise avaient été mises en place. En effet, lorsque les troupes japonaises étaient envoyées sur le front à l’étranger, ce système de maisons était habituellement aménagé sur place. L’Etat contrôlait les prostituées et les soumettait à un contrôle médical systématique et régulier.
3) Généralisation du conflit Chine-Japon
Au printemps 1938, le conflit est généralisé entre le Japon et la Chine. Le point de départ de ce conflit est lié au fait qu’un soldat manque à l’appel et aux rumeurs selon lesquelles il aurait été tué par une balle chinoise, c’est ainsi que le Japon a déclaré la guerre à la Chine, et que se produisit la Bataille de Shanghai. 9115 soldats japonais moururent dans cette bataille. Ensuite, se produit le massacre de Nankin, où 300 000 personnes furent massacrées. « Parmi les cadavres à terre, ceux de femmes, tous âges mêlés, fillettes ou grand-mères ; elles gisaient avec les mêmes mutilations : seins, ventres et sexes déchiquetés »[4].
Au 28 octobre 1938, on estimait entre 30 000 et 40 000 le nombre de « femmes de réconfort » sur l’étendue de la ligne de front chinoise.
4) La conquête de l’île de Java.
En 1942, les japonais envahirent l’île de Java, où les hollandais faisaient fortune depuis plusieurs générations. Sur l’exemple des maisons de réconfort fondées en Chine, le colonel Okubo, chef d’état-major et le général de corps d’armée Nozaki Seiji, décidèrent de créer des maisons closes pour l’armée japonaise. Des femmes entre 17 et 28 ans, provenant de plusieurs camps de prisonniers, dont celui d’Ambarawa, ont été utilisées pour créer quatre maisons au centre de la ville de Samarang. Ces clubs sont le choco club ; le samarang club ; l’hinomaru et l’hutabaso[5]. Ils avaient besoin de beaucoup de filles, une centaine par maisons. Ils les arrêtaient dans la rue, les convoquaient et les « inscrivaient » contre leur gré.
II. Le sort réservé aux jeunes femmes destinées aux maisons de réconfort
1. Le confucianisme : idéologie fondamentale pour le devenir des « femmes de réconfort ».
En Corée, le confucianisme est très développé depuis le VIIème siècle et régit la vie des coréens. Il vient du philosophe Confucius, et met en avant le besoin d’ordre, qui passe par la hiérarchie et par le respect envers ses aînés, mais aussi, l’importance de l’élite et des lettrés.
Lorsque l’on sait que cette idéologie est fondamentale pour les coréens, on imagine la difficulté qu’ont eue ces femmes à rentrer chez elle, la peur et la honte ressenties. Ce sont d’ailleurs des témoignages similaires que nous pouvons lire, elles ont peur de ce que vont penser leurs parents et leur entourage. Désormais, elles ne sont plus vierges, elles « souillent » l’honneur de la famille. C’est donc un choix et une situation difficiles pour ces jeunes femmes qui, après avoir vécu de telles violences, se retrouvent seules, sans soutien, à devoir affronter le regard des autres.
Certaines femmes, refusant de perdre leur virginité de cette façon, se suicidaient, pour se protéger et protéger le nom de leur famille. De plus, les femmes qui ont survécu, ont préféré, au moment de la Libération, se suicider ou ne jamais retourner dans leurs familles, ayant trop honte. Elles ont donc mené des vies solitaires, comme par exemple Jan Ruff O’Herne, ancienne esclave sexuelle de l’armée japonaise dans les années 1940, de nationalité hollandaise[6] ou Kim Hak-Sun, une jeune coréenne. Ces jeunes femmes sont restées murées dans le silence et la solitude pendant près de 50 ans.
2. Les méthodes de recrutement et d’enrôlement de force des jeunes femmes.
Selon plusieurs témoignages sur les enrôlements de force, on peut en mettre 3 en évidence, qui sont:
– Les enlèvements en faisant croire à un travail. En effet, la méthode la plus courante était de dire aux jeunes femmes qu’elles allaient travailler comme femmes de ménages, ou cuisinière et étaient prisonnières ensuite dans des bordels. Par exemple, Kim Soon-Duk, en 1937, âgé de 16 ans, est partie avec un coréen qui soit disant recrutait des femmes pour travailler dans les usines japonaises.
– Les menaces, violences et chantages. Recrutement de jeunes coréennes en leur faisant des propositions comme de l’argent pour soigner les parents. Exemple de Son Phan-Nim âgé de 16 ans, en 1941. Pour aider son père en prison et pour le faire sortir, elle accepta de partir avec les soldats japonais qui lui avaient promis la libération de son père. A son retour, son père étaient mort en prison et sa mère s’était suicidée. « Sometimes family members were beaten or killed if they tried to rescue the women, most in their teens. When the women arrived at the station, they were forced to have sex, typically with 20 to 30 men a day. If they resisted, they were beaten or killed.[7]»
– Les enlèvements en plein jour dans les rues : en 1940, Moon Ok-Ju et d’autres petites filles, âgées de 11 ans ont été enlevées devant le poste de police. La police n’était pas ignorante de ces actes. Les attaques organisées n’étaient pas rares, ni les « tournantes » entre la police et l’armée.
Les femmes coréennes étaient surnommées « chosen pi » (pi en chinois désigne le sexe de la femme)
3. Les mauvais traitements infligés aux jeunes femmes
Les maisons de réconfort peuvent être comparées à des camps d’esclaves. En effet, les violences les plus diverses étaient subies par les jeunes femmes : viols de petites filles, coups de fouet, menaces, etc…. Jung Kyung-a nous explique que « Les soldats projetaient sur les femmes les humiliations et les violences de leurs chefs ainsi que les atrocités et la peur ressenties au cours des batailles. »[8]
Si les jeunes femmes tentaient de s’échapper, elles étaient violemment battues et parfois exécutées. Chong Ok Sun a même été tatouée sur tout le corps, y compris à l’intérieur de la bouche, en signe d’humiliation et de propriété.[9] Après les nombreux viols, les femmes devenaient stériles. De même, pour les infections, les femmes recevaient des injections n°606, du Salvarsan qui pouvait entraîner la stérilité. Le port du préservatif était obligatoire mais il arrivait que des maladies se déclenchent. Les femmes trop malades ou ayant subi un choc psychologique trop fort étaient abandonnées ou tuées.
D’autres témoignages nous montrent la violence des soldats et de l’armée en ce qui concerne les femmes enceintes :
– Kim Young Suk, de la Corée du Nord, a été enlevée à l’âge de 12 ans et a enduré de 30 à 40 viols par jour. Un soldat lui a mutilé les parties génitales avec sa baïonnette et lui a brisé la jambe en la battant, la rendant ainsi handicapée pour la vie. Se rendant compte qu’elle était enceinte, les soldats lui ont arraché son fœtus et l’utérus à l’aide d’une baïonnette
– « When we were pregnant, the owner gave us an abortion. My period started at sixteen, and ended at forty eight. (Silence) I had an abortion. There was a soldier who was close to me. He was in the army and wore a gold line with a yellow star on red background. They called us Josenjing, Senjing, Handdojing (people of a peninsula, the pejorative term for the Koreans). I don’t like Japanese people, and I never speak Japanese. When I think of that time, I feel disgusted. I am sick of it. I always feel sad. » [10]. Ici, on peut voir que les souvenirs des brutalités commises par l’armée japonaise lors de la Seconde Guerre Mondiale, sont encore vifs et douloureux. Ces moments peuvent être eux-aussi considérés comme un viol culturel, dans la mesure où les japonais ont voulu éradiquer la culture coréenne, en leur interdisant de parler le coréen par exemple, ou bien en les obligeant à adopter des noms japonais en 1940. Ils ont voulu tout prendre et ne rien leur laisser, pas même leur dignité. On constate que le sentiment anti-japonais est très fort du côté coréen mais aussi chinois, et encore maintenant, dû au fait qu’ils nient les évènements passés. Entres autres celui des « femmes de réconfort », et le massacre de Nankin, en Chine, par exemple.
Il faut savoir de plus, que les femmes coréennes étaient considérées comme des êtres inférieurs par les soldats japonais.
Caroline Berndt a écrit une thèse dans laquelle elle analyse l’attitude de l’armée japonaise et selon elle, le viol est une part inévitable de la guerre. Elle a examiné les lois internationales protégeant les femmes des violences sexuelles pendant la guerre mais le cœur de sa thèse traite les témoignages des femmes.
Pour Berndt, il est important d’en parler encore maintenant, puisqu’elle estime que cela existe toujours. On peut la citer dans un article sur la prostitution forcée des « femmes de réconfort » : « Some Japanese corporations still reward hard-working businessman by organizing “sex tours” of prostitution houses in cities across Southeast Asia[11] ». Elle a de même trouvé des rapports selon lesquels ces femmes du Sud-est de l’Asie étaient recrutées par des agences temporaires du Japon pour travailler en tant que réceptionnistes, hôtesses d’accueil et serveuses. Quand elles arrivent, l’agence leur prend leurs passeports et de nombreuses femmes deviennent des prostituées.
4. Au moment de la libération
Les soldats violaient les femmes à tout moment, notamment pendant les raids aériens très forts. Les hommes se jetaient sur les femmes même dans les abris.
Pour éviter de capituler, les japonais appliquaient le système du suicide collectif, qui a concerné également les « femmes de réconfort ». Celles qui ont survécu, ont appris à survivre par leur propre moyen. Les nombreuses maisons et camps de réconfort ont été libérés par les alliés et dans un camp de Thaïlande, le nombre de « femmes de réconfort » coréennes enregistré était de 1500.
D’autre part, une lettre datée du 18 août 1945 indique que les « femmes de réconfort » doivent servir l’armée en tant qu’infirmières : « A partir du 1er août, ceux qui sont embauchés dans le cadre du système de « femmes de réconfort » pour la marine japonaise stationnée à Singapour auront le statut d’employés civils de l’hôpital 101. Les femmes seront nommées infirmières-assistantes. Pour le reste, suivre les ordres du 1er corps expéditionnaire du sud. » Pour George Hicks, cette lettre révèle que l’armée japonaise a dissimulé officiellement la preuve de l’existence des « femmes de réconfort »[12].
III. Un débat toujours d’actualité
1. Les différentes actions mises en place pour l’obtention de la Vérité.
En 1990, 37 groupes de femmes en Corée forment « The Voluntary Service Corps Problem Resolution Council» et demande que le gouvernement japonais admette que les femmes coréennes ont été forcées à servir d’esclaves sexuelles. Elles veulent des excuses publiques, qu’un mémorial soit dressé, qu’on dédommage les survivantes ou leurs familles et qu’on reconnaisse les faits lorsque ce sera enseigné dans les écoles. Mais le gouvernement a nié avoir un rapport avec ces « femmes de réconfort » et maintient ne jamais avoir été impliqué dans les maisons de réconfort.
En 1991, suite à cela, trois anciennes esclaves sexuelles ont entamé des poursuites contre le gouvernement japonais[13].
En 2000, une ONG avait organisé un faux procès du Japon en plein Tokyo. On pouvait y entendre les témoignages déchirants d’anciennes « femmes de réconfort » violées 20 fois par jour par des soldats japonais.
En 2007, la Chambre des représentants des Etats-Unis « recherche la reconnaissance de l’horrible vérité afin que ces horreurs ne se reproduisent jamais[14] » et adopte un projet de loi relatif aux « femmes de réconfort ». Cette Chambre des représentants veut lutter contre l’amnésie historique.
En 2010, la Confédération Syndicale Internationale du Travail estime qu’il y a eu une violation de la convention sur le travail par rapport aux « femmes de réconfort », le Japon ayant signé un grand nombre de traités sur le respect des droits de l’homme et des femmes, dans les années 1910. En 2011, cette question sera abordée à la conférence annuelle[15]. Quant aux japonais, ils expliquent que ces conventions ne concernaient pas leurs colonies, il n’y a donc pas eu de violations.
C’est donc un problème devenu international, qui aujourd’hui, n’est toujours pas résolu.
2. Les différentes polémiques sur les « femmes de réconfort ».
Deux polémiques nous paraissaient importantes à mettre en évidence, la première est celle de l’implication de l’empereur Hirohito, décédé aujourd’hui, et la deuxième, est celle des chercheurs qui ne croient pas du tout au rôle joué par les japonais dans le trafic de jeunes femmes destinées au travail dans des maisons de réconfort.
a) Débat sur Hirohito et l’implication des Etats-Unis
Le procès organisé à Tokyo par les associations de «femmes de réconfort», en 2000, a projeté une lumière crue : Hirohito aurait-il dû, après la reddition japonaise, être traduit devant le tribunal de Tokyo qui jugea les criminels de guerre? Le général américain MacArthur, qui avait conclu un pacte avec l’empereur lui évitant cet affront, avait-il alors réalisé qu’il plongeait le Japon dans l’amnésie? Selon Herbert Bix[16], Hirohito a soutenu l’effort de guerre jusqu’à en avaliser les pires abus, et MacArthur a choisi de l’absoudre de ses responsabilités pour pouvoir gérer le Japon de l’après-guerre. Pour l’historien, La responsabilité du Japon, telle qu’évoquée lors du tribunal à Tokyo, trouve ses racines dans cette journée de 1948 durant laquelle l’empereur Hirohito convoque son secrétaire pour lui dicter sa version des faits[17].
De plus, il est évident que les procès ont été bâclés. Les japonais n’ont pas été punis pour leurs crimes. On peut se demander également quel a été le rôle des Etats-Unis au début de la polémique. En 2001, des articles montrent qu’ils minimisaient les faits, peut-être de peur d’être accusés eux-aussi. En effet, à l’arrivée des alliés, des maisons de réconfort ont été réservées aux forces alliées et aménagées dans tout le pays, sous la direction d’Hashimoto, chef du service du ministère de l’Intérieur japonais. Après la libération de la Corée, les nouvelles proies étaient les japonaises pauvres qui se retrouvaient sans famille. C’est le bureau de l’ordre public, rattaché au ministère de l’intérieur, qui menait les opérations.
Au mois de mars 1949, il y eut une dissolution de ces maisons de réconfort demandée par les américains, les maladies sexuellement transmissibles ayant touché à 68% les soldats.
De plus, des sources nous indiquent qu’après la guerre, les alliés ont reconstruit le Japon en priorité et dans un contexte de Guerre Froide, ont laissé ces atrocités impunies[18].
b) Débat avec les négationnistes : Exemple du chercheur Tsutomu Nishioka
Il y a donc un débat entre les anciennes « femmes de réconfort » et ceux qui disent que ce n’est jamais arrivé. Notamment, dans un premier temps, l’ancien premier ministre Abe Shinzo, qui en 2007, disaient que ces femmes avaient inventé les faits.
D’autre part, par le chercheur Tsutomu Nishioka[19], qui dans son livre, dément une grande partie des accusations que les femmes font au gouvernement japonais, en l’expliquant par le fait que les coréens ont toujours critiqué les japonais. Il nous explique que tout n’est que mensonges.
Il met en avant dans un premier temps que les gens confondent les femmes volontaires au travail en usine et les « femmes de réconfort ». En effet, de nombreuses sources nous indiquent que ces femmes étaient trompées, on leur promettait un travail en usine et au lieu de cela, elles étaient enlevées pour travailler dans ces maisons de réconfort. Ce que nous dit Tsutomu Nishioka, c’est « Volunteer corps were, more accurately, volunteer labor corps, which had nothing whatsoever to do with comfort women. Members were not transported to brothels, but to munitions factories in Toyama Prefecture.[20] »
Ensuite, ses titres nous montrent bien qu’il ne croit pas en ce que disent les anciennes « femmes de réconfort », par exemple, il écrit : « More lies : « Kwantung Army Recruits 20 000 comfort women » ou bien « Intentionally falsified testimonies ».
Dans son livre, l’auteur nous fait part de sa consternation pour ce sujet et cette polémique, il veut qu’on arrête d’accuser le gouvernement japonais. Pour lui, ces femmes n’ont rien à redire, elles ont gagné beaucoup d’argent : « Watching the reports, I realized that the comfort women controversy farce had gone as far as it could go. To begin with, one former comfort woman claims to be the victim of official coercion and sues the Japanese government. It comes to light that during her comfort woman career, which lasted a bit more than three years, she made ¥26,000, a huge amount of money. Is this the sort of life a sex slave leads? Is this the fate of a victim of abduction?»[21] Cette thématique de l’argent est importante ici, puisque l’auteur veut nous montrer qu’elles n’ont pas été des esclaves, qu’elles ont reçu un salaire pour le “travail” accompli. Ici, ce ne sont pas des victimes de viols mais des prostituées. Ces maisons de réconfort sont donc considérées comme un lieu public de prostitution légalisée. C’est aussi par crainte d’entendre ces réflexions que de nombreuses jeunes femmes ont eu peur de rentrer chez elles. De plus, sur le plan de la rémunération, Jung Kyung-a l’aborde dans son livre et nous explique que ces jeunes femmes n’étaient pas payées directement mais elles recevaient de temps en temps des « tickets » qui ressemblaient aux notes de frais d’aujourd’hui prouvant le nombre de soldats reçus. Madame Park Soon-Ja (pseudonyme) témoigne avoir perdu son livret de compte au cours d’un naufrage. De plus, sans l’existence de l’armée, ces « tickets » n’ont plus aucune valeur.
D’autre part, Nishioka s’attaque aux américains conservatistes dans leur soutien aux anciennes esclaves sexuelles de l’armée japonaise. En effet, «Some conservatives have been heard to make comments like the following: “Some condemn the dropping of atomic bombs on Hiroshima and Nagasaki, but that was the right thing to do. Dropping those bombs put an end to the rapes of comfort women, which were being committed at that very moment”. »[22]
Cette citation nous montre bien que le sujet des « femmes de réconfort » est un débat brûlant. Pour Nishioka, il n’y a pas lieu de faire des excuses, ces femmes étaient conscientes de ce qu’elles allaient faire ainsi que leurs parents. “It is shameful for the elderly women to come forward and admit they were comfort women, unless they say they were coerced. They can’t say, in public, that her parents sold them. This is something one keeps to oneself.” [23]
3. La question de la mémoire et de la Vérité
« Nous ne cherchons pas à faire punir les coupables individuellement : nous attendons que l’Etat japonais reconnaisse son crime officiellement »[24]. Dans cette phrase, nous constatons que nous avons toute la problématique du jugement des crimes de guerre et du travail des différentes commissions Vérité et Réconciliation dans le monde. « Pour les viols de guerre, qui sont les criminels ? Tous les soldats japonais qui se sont rendus dans une « maison de réconfort » à l’époque ?»[25]. Ici, Jung Kyung-a met en avant un problème fondamental, problème auquel il est difficile d’obtenir une réponse, ainsi que presque impossible à régler. Ce sujet a été traité à maintes reprises par les différentes Commissions Vérité et Réconciliation à travers le monde. Si on prend l’exemple du Rwanda, après le génocide de 1994, qui faut-il condamner, la population dans son ensemble ? De même en Argentine, faut-il condamner tous les membres des administrations qui, pour certains, ne faisaient que répondre aux ordres.
Dans notre cas, il n’est pas rare de trouver des témoignages de soldats rapportant que ces maisons de réconfort étaient un endroit où il fallait être vu par ses collègues et supérieurs pour montrer sa virilité et sa vaillance au combat. Dans le cas où on ne prenait pas part à ces activités, leurs vies étaient rendues impossibles par leurs chefs. Condamner tous les soldats n’est pas possible, il faut donc se reporter sur les gouvernements.
Chung Jin-Sung, dans son livre Etablissement et développement de la politique des « femmes de réconfort » par l’armée japonaise, nous fait part que vers la fin des années 1937, le gouvernement japonais, comme les ministères de l’Intérieur et des Affaires Etrangères, puis le gouvernement général de la Corée et de Taiwan collaboraient activement[26]. Ce sont donc ces gouvernements qui doivent être jugés et plus particulièrement celui du Japon, qui n’a toujours pas fait d’excuses officielles à toutes ces esclaves sexuelles de l’armée japonaise.
Ce sont ces excuses que beaucoup de femmes en mauvaise santé attendent et espèrent avoir avant de mourir. L’obtention de ces excuses et éventuellement d’un dédommagement serait pour elles une Libération. Depuis le 8 janvier 1992, les anciennes « femmes de réconfort » manifestent tous les mercredis pour la Reconnaissance et la Vérité. C’est une étape obligée pour qu’elle retrouve la paix et l’honneur. Ces manifestations sont organisées par le conseil coréen pour les femmes enrôlées de force comme esclaves sexuelles au service de l’armée japonaise. Le nombre de « femmes de réconfort » survivantes, en Corée du sud, sont actuellement au nombre de 132 sur 212 officiellement recensées.
Conclusion
« Mes larmes coulent toujours…[27] ». Ce slogan affiché sur les sites officiels des anciennes esclaves sexuelles de l’armée japonaise, qui luttent pour la Vérité, nous permet de ne pas oublier. Elles souffrent toujours et tant qu’elles n’auront pas de la part du Japon des excuses officielles, elles ne pourront être libérées, elles seront toujours les victimes de la guerre et des brutalités de l’armée.
Nous avons traité dans un premier temps le contexte historique, comment cela s’est-il passé puis, nous avons vu le sort réservé à ces jeunes femmes. Chacune avait un sort différent, une histoire différente : viols sur plusieurs années, accompagnés de blessures et parfois, l’issue fatale était la mort. Il n’est pas rare d’entendre que la mort était une sorte de Libération pour ces jeunes femmes. Le choc psychologique a été très important et c’est pour cela qu’aujourd’hui, plusieurs associations et mouvements ont été créés pour obtenir réparation et les aider dans leur lutte.
Ces actes ne sont pas les premiers commis en temps de guerre et ne seront certainement pas les derniers, mais il est normal que les Etats qui violent les conventions sur les droits de l’homme payent le prix. Nous ne sommes plus à l’heure de l’exemple, seulement à celle de la réconciliation entre des peuples voisins, qui ont tous souffert des horreurs de la guerre.
Bibliographie
Livres
KYUNG-A Jung, Femmes de réconfort, Esclaves Sexuelles de l’armée japonaise, Séoul, co-eds. Au diable vauvert et 6 pieds sous terre, 2007.
NISHIOKA Tsutomu, Behind the comfort women controversy: how lies became truth, Tokyo, The Society for the Dissemination of Historical Fact, 2007.
SARAH SOH Chunghee, The comfort women: sexual violence and postcolonial memory in Korea and Japan, Chicago, University of Chicago Press, 2008.
STETZ Margaret Diane et OH Bonnie B. C., Legacies of the comfort women of World War II, New York, M.E. Sharpe, 2001
TANAKA Toshiyuki et TANAKA Yuki, Japan’s Comfort Women, Sexual slavery and prostitution during World War II and the US occupation, London, Routledge, 2002
Articles de presse
NURHAYATI Nunuy, « Indonésie : Honte et innocence », Courrier International, 14 Octobre 2010
“Amnesty International demande la justice pour les survivantes d’esclavage sexuel au Japon », NEWS Press, Lundi 21 Juin 2010, Amnesty International
MASSON Marie-Françoise, « Amnistie, procès, excuses les réponses des nations », La Croix, Mardi 26 Janvier 2010
« Etats-Unis : La Chambre des représentants adopte un projet de loi relatif aux « femmes de réconfort »», Xinhua News Agency – French, 31 juillet 2007
« Les chercheurs chinois dévoilent leur premier rapport sur les » femmes de réconfort » », Xinhua News Agency, 3 juillet 2007
« La Chine presse le Japon de résoudre le problème des « femmes de réconfort » », Xinhua News Agency – French, 28 juin 2007
ARNAUD Régis, « Les femmes de réconfort embarrassent le Japon », Le Figaro, 24 mars 2007, International, Tokyo
« Le Congrès américain demande au Japon de prendre la responsabilité du problème des « femmes de réconfort » » Xinhua News Agency, 14 septembre 2006
« 60 ans après, des « femmes de réconfort » demandent réparation au Japon », Agence France Presse, 10 août 2005
OAK Susan, “Comfort women: forgotten victims », The Korea Herald, May 13, 2004, Thursday
« Les esclaves sexuelles de l’armée japonaise ont enfin leur procès; Pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, des femmes des pays occupés par le Japon ont été contraintes à se donner aux soldats », Le Temps, 9 décembre 2000
« Prostitution: Asian ‘Comfort’ Women Forced into Prostitution », Sex Weekly, March 3, 1997, Pg. 15-16
Sites internet
Sur la violence faite aux femmes en temps de guerre :
http://www.wunrn.com/news/2010/03_10/03_15_10/031510_comfort.htm
http://www.womenandwar.net/english/index.php
Sur les victimes de l’esclavage sexuel de l’armée militaire japonaise
http://www.hermuseum.go.kr/eng/en_index.asp
http://www1.jca.apc.org/vaww-net-japan/english/index.html
Article sur l’intégration des droits fondamentaux des femmes et de l’approche sexospécifique : violence contre les femmes
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/70884469c8bd61e2c1256b61004f9a8d?Opendocument
Article d’Ariane Brunet sur la justice exigée par toutes les « femmes de réconfort »
http://www.ichrdd.ca/francais/commdoc/publications/femmes/tokyoFemmesReconfort.html
[1] Cf. KYUNG-A Jung, Femmes de réconfort, Esclaves Sexuelles de l’armée japonaise, Séoul, co-eds. Au diable vauvert et 6 pieds sous terre, 2007, Chapitre 3, page 165. Dans son livre, Jung Kyung-a cherche à nous faire comprendre quelles ont été les circonstances qui ont abouti à cette situation, son sens et son impact sur la société coréenne.
[2] Senda Kako est un journaliste et écrivain japonais.
[3] En français, « esclaves sexuelles de l’armée japonaise ».
[4] Op. cit., Chapitre 2, p. 113
[5] Op. cit., Chapitre 1, page 42
[6] Jan Ruff O’Herne est née en 1923, elle est de nationalité hollandaise et est restée dans le noir pendant 50 ans. Elle a décidé de révéler son secret en voyant un témoignage à la télévision en 1992.
[7] Cette citation est de Caroline Berndt, qui est l’auteur d’une thèse sur les « femmes de réconfort », à l’Université de Caroline du Nord. Thèse pour laquelle elle reçut les honneurs en 1997. En français,« Parfois les membres de la famille étaient battus ou tués quand ils essayaient de sauver les femmes, ou les adolescentes. Quand les jeunes femmes arrivaient dans les maisons de réconfort, elles étaient forcées à avoir des rapports sexuels, généralement avec 20 ou 30 hommes par jour. Si elles résistaient, elles étaient battues ou tuées. »
[8] Citation extraite de KYUNG-A Jung, Femmes de réconfort, Esclaves Sexuelles de l’armée japonaise, Séoul, co-eds. Au diable vauvert et 6 pieds sous terre, 2007, Chapitre 2, p. 162.
[9] Information prise dans l’article de BRUNET Ariane, « Les » femmes de réconfort » exigent justice pour toutes les femmes », consulté le 1er décembre 2010, sur le site http:// www.ichrdd.ca/francais
[10] Témoignage de Kunja Kim, née en 1926, emmenée à la maison de réconfort de Hunchun en Chine en 1942. Extrait du site http://www.hermuseum.go.kr/eng/en_index.asp, consulté le 9 décembre 2010. En français, « Lorsque nous étions enceintes, le propriétaire nous faisait avorter. J’ai eu mes premières règles à 16 ans et je ne les ai plus eu après 48 ans. J’ai subi un avortement. C’était un soldat qui était proche de moi. Il était dans l’armée et portait un ruban doré avec une étoile jaune sur un fond rouge. Ils nous appelaient Josenjing, Senjing, Handdojing (termes péjoratifs pour les coréennes). Je n’aime pas les japonais et je ne parle jamais japonais. Quand je pense à cette époque, je suis dégoutée, ça me rend malade et triste ».
[11] Cf. article «Prostitution: Asian ‘Comfort’ Women Forced into Prostitution » Sex Weekly, March 3, 1997. En français: « Certaines entreprises japonaises récompensent les employés les plus méritants en organisant des « sex tours » dans les maisons closes dans les villes du Sud-est de l’Asie ».
[12] HICKS George, The Comfort Women : Japan’s Brutal Regime of Enforced Prostitution in the Second World War, New York, W.W. Norton & Company, 1995
[13] Informations extraites de l’article « Prostitution: Asian ‘Comfort’ Women Forced into Prostitution », Sex Weekly, March 3, 1997
[14] Cf. article « Etats-Unis : La Chambre des représentants adopte un projet de loi relatif aux « femmes de réconfort » » Xinhua News Agency, 31 juillet 2007
[15] Cf. article en annexe « Amnesty International demande la justice pour les survivantes d’esclavage sexuel au Japon », NEWS Press, Lundi 21 Juin 2010.
[16] Herbert Bix est un historien étatsunien qui écrivit Hirohito and the Making of Modern Japan en 2000, qui gagna le prix Pulitzer en 2001.
[17] Cf. article « Un livre accuse l’empereur Hirohito d’avoir réécrit sa propre histoire», Le Temps, 13 décembre 2000
[18] Cf. article OAK Susan, «Comfort women: forgotten victims» The Korea Herald, May 13, 2004
[19] Cet auteur a écrit de nombreux ouvrages sur les relations entre la Corée et le Japon, par exemple : South Koreans’ Perception of Japan ; The Mountain of Misconceptions Separating Japan and Korea , sorti en 1992 et l’œuvre sur laquelle nous nous penchons actuellement, Behind the comfort women controversy: how lies became truth, 2007.
[20] Citation extraite de NISHIOKA Tsutomu, Behind the comfort women controversy: how lies became truth, Tokyo, The Society for the Dissemination of Historical Fact, 2007, page 16. En français, “les troupes de volontaires n’avaient rien à voir avec les “femmes de réconfort”. Les membres n’étaient pas transportées dans des bordels mais dans des usines de munitions dans la Préfecture de Toyama ».
[21] Op. cit., page 37. En français: “En regardant les rapports, je me suis rendu compte que la farce sur les “femmes de réconfort” est allée aussi loin que je puisse le supporter. Pour commencer, une ancienne « femme de réconfort » dit partout être la victime de la pression exercée par le gouvernement japonais et porte plainte contre lui. Cependant, pendant sa carrière de « femmes de réconfort », qui a duré 3 ans, elle a amassé 26 000¥, ce qui est beaucoup d’argent. Est-ce que c’est cette vie que mène une esclave sexuelle ? Est-ce que c’est le destin de femmes enlevées ? »
[22] Op. cit., page 82. En français, « Certains conservatistes ont fait des remarques comme celle qui suit : certains condamnent le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, mais c’était la bonne chose à faire. Lâcher ces bombes a mis un point final aux viols des « femmes de réconfort », qui étaient commis à ce moment-là ».
[23] Op. cit., page 39. En français, « C’est quelque chose de honteux pour les vieilles femmes de débarquer et d’admettre qu’elles étaient des « femmes de réconfort », sauf si elles disent qu’elles y étaient forcées. Elles ne peuvent pas dire en public que leurs parents les ont vendues. C’est quelque chose que chacun garde pour soi. »
[24] Citation de Jan Ruff O’Herne, cf. note de bas de page n°5.
[25] Citation extraite de KYUNG-A Jung, Femmes de réconfort, Esclaves Sexuelles de l’armée japonaise, Séoul, co-eds. Au diable vauvert et 6 pieds sous terre, 2007, Insert 1 p. 64
[26] Op. cit., Chapitre 2, p.139
[27] Extrait du site, http://www.womenandwar.net/english/index.php, consulté le 9 décembre 2010. En français : « Mes larmes coulent toujours »/ en anglais : « Tears are not dried out yet ».