« La route de l’excès mène au palais de la sagesse », de William Blake
Tae-mann, homme vénal et mari oisif, quitte précipitamment son foyer en vue d’un futur luxuriant et plein de promesses! Son assurance juvénile le porte, tel un conquérant, à rentrer au service du célèbre Monastère de la Prospérité, réputé pour son abondance de nourriture et de richesse. Attiré par l’appât du gain et les plaisirs faciles, sa crédulité le pousse à surestimer son pouvoir de persuasion et à sous-estimer la clairvoyance du cercle très fermé des moines du monastère.
Cependant, la réalité le rattrape bien vite, rebaptisé Bong « le Phénix » lors de son entrée au monastère, notre jeune héros souffre rapidement des plaisirs qui lui sont désormais interdits, jusqu’au jour où une rencontre changera sa vie. Eun-Ja Kang nous entraîne ici, dans le cœur de la vie monastique, au travers des yeux d’un jeune homme plein d’espoir et de naïveté… Tel un oiseau qui s’envole vers un monde inconnu, l’attachant Bong ira de surprise en surprise, endurant un long et difficile voyage initiatique.
L’une des grandes originalités d’Eun-Ja Kang dans ce roman réside dans les deux adjuvants que forment Yong et Jin et les deux opposants que sont Kap et Fal Ja. Ces deux couples, indispensables à l’évolution de Bong, interviennent tantôt simultanément, tantôt séparément, et jouent le rôle d’élément perturbateur dans la vie de notre jeune moine.
Conformément à l’imagerie du diable d’un côté et de l’ange de l‘autre, Bong est entouré de deux novices: l’humble et fidèle Yong et le sournois et ambitieux Kap. D’abord séduit par les plaisirs faciles et le vice qu’éveille en lui Kap, Bong s’aventure avec lui vers des chemins ombragés. La cupidité de Kap sera cependant précocement dénoncée, et le personnage de Yong deviendra alors le guide et le modèle de Bong. Ainsi, au fil des mois et des années, notre héros, gagnera imperceptiblement en maturité et en sagesse auprès de son ami loyal, gravissant ainsi les échelons de la hiérarchie sacrée avec une sournoise habileté apparente mais fruit d’un honnête labeur.
Tout comme Kap, Fal Ja, l’épouse de Bong, sera l’une des principales faiblesses de Bong: poussé par son désir et sa culpabilité, le fantôme de Fal-Ja sera à l’initiative de nombreuses erreurs de notre personnage: « Pourtant, il était parti pour la rendre heureuse, à sa manière à lui ». À l’inverse, le personnage de la belle Jin s’avérera être un « mal pour un bien ». L’issue de leur rencontre ne leur sera guère favorable, mais permettra à Bong, de faire sa première action uniquement guidée par le bonheur de l’autre et non plus le sien: « Si mon amour est assez fort pour vaincre mon égoïsme, je partirai demain sans l’avoir vue » (…) « Bong goûtait un nouvel état d’âme jusqu’alors inconnu. Au lieu que son cœur se fendît de douleur, une douceur indéfinissable le berçait comme la brise effleure les feuilles qui ont survécu à la tempête ».
Bong… finalement c’est ainsi qu’aurait pu s’intituler le roman! En un seul mot, tout est dit! Le « Phénix », connu et reconnu, pour sa capacité à renaître de ses cendres, symbolise ici la résurrection d’un homme, qui réapprend à se connaître. Le chemin vers la maturité fut long, périlleux et semé d’embuches, mais Bong les surmontera avec humilité et espoir « … il voyait là sa première bonne œuvre accomplie sans voler, sans mentir, sans désir dissimulé… ».. Le personnage principal, bien que ses défauts soient révélés très tôt, captive très vite le lecteur par son côté atypique: quoique manipulateur et vicieux, Tae-mann fait preuve d’une incroyable joie de vivre et Eun-Ja Kang le transforme en personnification de l’Espoir. Indéfectible optimiste, Bong, tel un phénix, renaît de ses défaites avec toujours plus d’envie: le Tae-mann paresseux du début devient un Bong combattant et pragmatique.