RENCONTRE AVEC LES JEUNES AUTEURS COREENS
Ce lundi soir, un amphi de la fac de lettres de l’université de Provence ouvre ses portes à la littérature et au monde. Ce ne sont pas des professeurs qui montent sur l’estrade pour faire face aux étudiants rassemblés sur les bancs, mais des jeunes auteurs lauréats arrivés de Corée depuis peu. Ils ont été primés dans des concours, chacun dans un domaine différent :
– GANG Seo-Hyeon, prix du scénario
– JEON Hyo-jeon, prix de la poésie
– JO Woo-ri, prix du roman
– KIM Kyung-Min, prix du théâtre
– YOON Jae-min, prix de la critique
– LEE Jin-ha, prix du conte pour jeunesse
Arrivés il y a à peine trois jours en Europe, nos lauréats sont encore sous le coup du décalage horaire. Pourtant, chacun a préparé une présentation… en français ! à notre plus grande surprise, qu’ils commencent à nous lire tour à tour. Dans une langue qui n’est pas la leur et qu’ils n’ont pour la plupart jamais apprise, ils se présentent brièvement : étudiants passionnés de littérature, ils rêvent tous de devenir écrivains, et ce concours leur a en quelque sorte permis de réaliser un de leurs rêves. Ensuite, chacun explique son œuvre en quelques mots.
JHJ (Poésie) : Mon poème s’intitule Le plaisir d’un promeneur. C’est l’histoire d’un éléphant qui s’approche de moi et me regarde silencieusement. On risque de mourir écrasé sous le poids d’un éléphant… Alors je prends un livre et me mets à lire. La lecture fatigue et l’éléphant disparait. Le lendemain matin, au cours d’une promenade, l’éléphant pose le pied sur un insecte. Ce dernier ne s’en rend pas compte, mais il souffre sous le poids de l’éléphant. C’est cette constante oppression qui pousse à lever la tête vers le ciel. Tous les trois ensemble, nous regardons vers le ciel. J’ai eu l’idée d’écrire ce poème alors que je me promenais dans le campus de l’université. Je ne m’ennuie jamais et jouis de ma liberté tous les jours. Seuls ceux qui l’ont vécu peuvent comprendre ce plaisir. J’ai décidé d’emprunter un chemin peu connu, celui de la poésie. Je ne sais pas où il me mènera, je ne sais pas ce qu’il y aura au bout, mais je suis persuadé que ça vaut la peine de le prendre.
JWR (Roman) : Le titre de mon roman est La nuit des 5 chiens. En 2011, une ouvrière coréenne s’est barricadée pour protester contre son licenciement. Pour soutenir cette femme, plusieurs sympathisants ont créé le bus de l’espoir. Ces bus ont été stoppés et cela a donné lieu à des affrontements. Mais, elle a continué et l’entreprise est revenue sur sa décision. Un poète qui soutenait cette ouvrière a lui été arrêté. Je ne veux pas critiquer mais dénoncer la réalité à travers mon histoire, qui se base sur ce fait. Elle met en scène deux personnages dépassés par la réalité et qui se sentent seuls. Le monde dans lequel nous vivons rend solitaire, il est plein d’incompréhension. Le titre reprend une expression des indigènes d’Australie, qui dit que quand la nuit est trop froide, les hommes se serrent contre leurs chiens pour se tenir chaud. Un jour, tout le monde passera la nuit avec quelqu’un pour le réchauffer. J’ai écrit ce roman pour dépasser une certaine nuit froide, même s’il y avait une certaine chaleur à côté de moi.
KKM (Théâtre) : Ma pièce s’intitule Un île. Le décor c’est un kujiwon, une petite pièce où les coréens étudient et préparent des concours. Sur la droite il y a une cuisine, mais l’entrée est cachée. On voit les toilettes communes aux hommes et aux femmes, et l’entrée de la chambre 101, dont la porte est ouverte. Le sol est éclairé en bleu et on entend la neige qui tombe. Il y a une femme et un homme. Ils sont dans un rêve, dans une île au milieu de la mer, une île submergée par une larme, comme un kujiwon. Dans cet endroit, deux voyageurs attendent leur guide. Après un moment d’ennui, la femme se rappelle qu’elle était propriétaire de l’endroit. Le suicide est la seule façon de fuir cette île. L’homme est venu rafraichir la mémoire de la femme ; la femme est renfermée sur elle-même, enfermée dans elle-même. Elle quitte l’île et l’homme ferme la porte. L’île est alors submergée puis engloutie dans un silence éternel.
YJM (Critique) : J’ai écrit sur la sociopolitique du phénomène du Hibster. L’écrivain Kim Sa-kwa a déjà écrit sur le Hibster qui a occupé Wallstreet en 2011. Je le cite et montre les aspects contradictoires de notre tendance à la consommation et le plaisr que l’on en tire. Je critique la vision progressiste du capitalisme. L’universalité est condition d’un nouveau départ.
GSH (Scénario) : Le titre du scénario est Black Out. Su-mi est une handicapée intellectuelle qui vit avec sa grand-mère dans un immeuble où il ne reste plus qu’elles-deux et une autre famille. La grand-mère n’émet jamais aucune inquiétude quant à l’avenir. Tous les jours elle cultive des légumes et ramasse des cartons. C’est la jeunesse de Su-mi qui remplit la grand-mère d’énergie. Ce sont les gens faibles et banals qui croient être supérieurs, mais qui en fait sont faibles devant les gens forts, qui brisent la pénibilité de leur vie. L’idée de départ était de travailler sur la peur des sons étranges que l’on peut entendre dans les vieux immeubles et sur la cruauté des humains envers les gens les plus faibles.
LJH (Conte) : Mon conte s’intitule Le voleur de lait. Le personnage principal est un élève en 4e année à l’école primaire, l’équivalent du CM1. Il considère sa maitresse comme une sorcière qui leur enseigne des choses qu’ils n’aiment pas et qui leur fait boire du lait de force. L’histoire montre le sentiment d’injustice d’un élève face aux élèves qui boivent du lait tous les jours. Un jour, il dit que le lait a disparu, et l’école est toute agitée pour retrouver le lait. L’élève qui a volé le lait se sent comme un héros mais il sent l’angoisse l’envahir à cause des caméras. Mais la maitresse amène du lait d’ailleurs, et la cachette se retrouve vide.
Le public, curieux de tant de maturité littéraire, peut ensuite poser des questions aux auteurs.
– Depuis combien de temps réalisez-vous ce travail d’écriture ?
JHJ depuis 1 an ; JWR depuis une dizaine d’années ; KKM depuis environ 15 ans ; YJM depuis 6 mois dans le cadre d’études d’écriture (creative writing) ; pour GSH, c’est un plaisir d’enfance qui s’est concrétisé plus sérieusement depuis l’année dernière ; LJH depuis toute petite.
– Souhaitez-vous faire de l’écriture votre métier ou est-ce un simple loisir ?
Nous voulons tous devenir écrivains professionnels.
– Comment devient-on écrivain professionnel en Corée ?
En général, il faut être lauréat d’un concours de littérature, qui peut être organisé soit par un journal ou un magazine littéraire. Puis, on peut publier son œuvre dans ses magazines et des maisons d’éditions vous font ensuite des propositions. Comme partout ailleurs dans le monde, il est difficile de vivre de l’écriture. La société capitaliste favorise la concurrence. Comme le revenu des écrivains n’est pas suffisant, il faut souvent avoir une autre profession à côté ; sinon, on vit dans la pauvreté. En Corée, il doit y avoir environ 10 écrivains qui peuvent vivre correctement de leurs ventes.
– Comment est votre travail ? Plutôt encadré ou plutôt libre ?
Soit nous sommes formés dans un département d’études créatives à l’université, soit nous étudions la littérature et nous nous en inspirons.
– Qu’est-ce que le hibster ?
C’est un mot qui apparait dans les années 2000 aux Etats Unis pour désigner les êtres humains qui sont fous d’un aspect culturel en particulier, et mécontents de la politique actuelle. Ce sont des progressistes par rapport aux rapports sociaux et culturels qu’ils entretiennent avec la consommation dans la société. Ce sont les humains qui causent tous les problèmes. Mais ce groupe ne pourra pas attirer l’attention puisqu’il est en contradiction avec l’universalité de son époque.
– Quelle est votre sentiment par rapport à votre œuvre ? Etait-ce difficile de l’écrire ?
JHJ, j’ai un sentiment de liberté par rapport à mes poèmes, la liberté de tous les jours. La poésie est difficile à écrire, mais en fait au final, ce n’est pas si difficile, et tout le monde peut la comprendre. Il suffit de s’exprimer : tout le monde peut être poète !
JWR, j’écris des romans depuis 10 ans. J’ai participé à des concours plusieurs fois, mais c’est la première fois que je reçois une bonne critique. Pourtant, j’aimais mes œuvres précédentes. Cette fois, mon roman a été apprécié et c’est une très bonne nouvelle pour moi.
KKM, j’ai toujours voulu écrire sur le malheur de la jeunesse, sur l’anxiété par rapport à l’université qui rendrait meilleur celui qui intègre un établissement renommé. Il y a encore de nombreux étudiants qui se suicident. J’ai beaucoup réfléchi au contenu, mais l’écriture en soi m’a pris peu de temps.
YJM, ça fait longtemps que je pense écrire sur ce sujet. Une fois que j’ai terminé de rédigé, je n’ai pas aimé. C’est un texte inspiré d’un fait réel que j’ai écrit en une demi-journée. Les idées sont bonnes, mais pas la forme.
GSH, j’ai écrit un scénario une fois sur internet. J’ai écrit ce texte très facilement… J’ai eu beaucoup de chance !
LJH, dans ce texte, il y a des parties réelles de mon enfance. Pour moi, le conte n’est pas toujours beau, et avec une belle histoire de rêves et d’espoir. J’écris pour les enfants, et mon rôle est celui d’un porte-parole.
– Quel est votre sentiment en tant que jeune auteur dans un monde littéraire qui se tourne bien plus volontiers vers des écrivains mûrs et accomplis ?
Pour comparer les écrivains et les sportifs, il faut faire beaucoup d’efforts pour intégrer l’équipe nationale ; les écrivains doivent faire pareil pour entrer dans le monde littéraire. Une fois qu’on est sélectionné, c’est fait. Nous venons d’entrer dans ce monde, et c’est un soulagement !