-57 à 918 : les Trois Royaumes et Silla
La Corée possède une longue tradition de poésie qui aujourd’hui encore peut se faire sentir. Très tôt il a été question d’exprimer l’intériorité et les sentiments par le biais de chansons ou poèmes. Les premières œuvres répertoriées puisent leurs racines dans l’animisme traditionnel et toutes autres formes spirituelles en présence. Les chansons créent un lien entre le divin et le peuple, entre le ciel et la terre. La poésie est ainsi sacralisée, tout en exprimant les valeurs d’une société entière. Les chants et poèmes d’époque sont de précieux documents qui ont figé dans le temps des faits historiques et des légendes.
Si les premiers textes sont oraux et transmis de génération en génération, très vite les érudits pensent à les transposer à l’écrit. La Corée ne possédant alors aucun alphabet, elle emprunte les idéogrammes de son voisin chinois pour écrire ses chansons appelées hyangga. Mais ceux-ci sont utilisés de façon aléatoire, tant pour leur sens que pour leur phonologie.
918 à 1392 : Koryeo
Avec le temps la poésie évolue. La période de Koryeo est celle des changga, longs poèmes chantés en musique. Les refrains de ces changga circulent de bouche à oreille avant d’être retranscrits aux alentours du XVème siècle. Comme la majorité des chansons populaires, les origines et les auteurs se perdent dans le temps. Parallèlement aux changga qui circulent parmi le peuple, on retrouve une littérature savante d’inspiration didactique : les gyeonggich’ega, savants mélanges de structures chinoises et coréennes. Ces poèmes étaient chantés eux-aussi, mais sans musique.
Des formes courtes se développent, comme les poèmes hansi ou seonsi. Lus ou récités, ces poèmes plus sobres sont composés directement en chinois. Ils illustrent les deux courants de pensée dominants à l’époque : le bouddhisme pour les seonsi écrits par des moines, et le confucianisme pour les hansi. Les auteurs sont éduqués et apportent une vision didactique à la poésie.
1392 à 1910 : Joseon
L’époque de Joseon est marquée par une invention considérable : celle de l’alphabet coréen, ou hangeul, sur demande du roi Sejong le grand en 1443. Son principe est simple : retranscrire les sons de la langue coréenne selon la position des organes phonatoires et l’idéologie confucéenne afin de permettre au peuple entier de s’initier à la lecture et à l’écriture. Quand l’écriture devient accessible à tous, cela se ressent dans la littérature et dans la poésie. Le yongbieoch’eonga, chanson des dragons du paradis, est la première œuvre littéraire écrite en coréen ; elle parait en 1447.
Les formes poétiques des dynasties précédentes continuent de se développer en même temps que d’autres apparaissent. La forme la plus populaire est le sijo : une strophe de trois vers rigoureusement organisés. La simplicité apparente du tercet s’allie à la difficulté d’exprimer la sensibilité à travers les mots pour créer des poèmes aimés de tous et écrits par tous. Grâce à l’utilisation de l’alphabet coréen, tout le monde peut écrire, même les femmes et les moins riches.
Aux côtés du sijo, forme courte par excellence, on retrouve le kasa, poème narratif long utilisé à des fins morales et religieuses. Autre chant en vogue sous Joseon, les akjang, qui chantent les éloges de la dynastie au travers des hauts faits royaux. La musique d’accompagnement tend à s’effacer.
Les années 1910 : l’apparition d’une poésie nouvelle
Avec le temps qui passe, la société change, et les poètes aussi. Des auteurs comme CHOI Nam-seon, qui se permettent d’écrire librement, révolutionnent la littérature. Son poème De la mer à l’adolescent est considéré comme le premier poème moderne. Le mètre fixe et le lyrisme disparaissent au profit d’une littérature plus libre et plus proche du peuple.
Envoyés faire leurs études au Japon pendant l’occupation, les jeunes poètes découvrent la poésie européenne et s’en inspirent. Ils se font surnommer l’école de la littérature étrangère. En réponse à la difficile situation à laquelle fait face leur pays, plusieurs auteurs se réunissent dans un mouvement contestataire appelé KAPF. La poésie devient idéologique. La modernisation excessive de la poésie appelle à un retour en arrière ; certains auteurs se raccrochent au lyrisme des siècles précédents
Les années noires et la guerre
L’oppression japonaise augmente dans les années 1940, communément appelées les années noires. L’utilisation du coréen est interdite et la majorité des poèmes sont censurés. Certains poètes coréens utilisent alors le japonais et se mettent au service de l’impérialisme, quand d’autres résistent, comme YI Sang ou YOON Dong-ju. Publications clandestines et emprisonnements sont alors monnaie courante. Les poèmes de l’époque de l’occupation témoignent de la difficulté du peuple coréen.
Quand la Corée est libérée en 1945, l’espoir renait aux côtés de deux mouvements littéraires poétiques : la poésie du progrès, avec des auteurs comme KIM Ki-rim et la poésie pure, menée par CHO Ji-un. Certains poètes aspirent à la nouveauté et au progrès quand d’autres veulent puiser de la force dans la poésie traditionnelle.
Mais en 1950, la guerre éclate. La poésie lyrique d’inspiration traditionnelle est critiquée et peu à peu remplacée par le modernisme. Les Coréens se posent des questions identitaires qui resurgissent dans leur poésie. Une poésie existentialiste voit le jour avec la séparation du pays.
L’après-guerre
Après des années de tourmente, les coréens recherchent la paix. Mais l’année 1960 ne sera pas des plus calmes. Le coup d’Etat militaire de mai 1960 fait s’effondrer les derniers espoirs de liberté manifestés par les poètes engagés dans les révolutions étudiantes. Une forme de modernisme nouvelle remplace alors la poésie réaliste révolutionnaire : la poésie hyeondae. Les poètes cherchent à exprimer leurs sentiments mélangés face à ce monde moderne occidentalisé qu’ils ont dû intégrer de gré ou de force.
Dans les années 1980, la littérature veut dépasser le modernisme et le réalisme. Les écrivains veulent trouver un équilibre entre modernisme et tradition. Forte de ses emprunts et de son histoire la poésie coréenne ne peut qu’avancer de plus belle.
[box type=]Pour plus de détails et des exemples, lire La Poésie Coréenne: entre modernisme et tradition, par Lucie Angheben. [/box]