On compte parmi ses recueils “Recueil des poèmes de la poétesse Moon Chung-hee”, “Vol d’oiseaux”, “Le son des cloches qui, seul, s’éteint”, “Si les étoiles se lèvent, même la douleur parfume”. Par ailleurs, ont été publiées aux Etats Unis : “Wind flower” et “Woman on the terrace”. Ses oeuvres sont également disponibles dans d’autres langues. Elle enseigne à la Dogguk et à la Korea University. Un an après la remise du prix Cicada en Suède, la poétesse Moon invitée par l’Université “Ca’ Foscari” à Venise, revient en Europe. Et c’est lors de cette occasion que je la rencontre, avec sa solitude, son enthousiasme, ses vers.
La poétesse Moon écrit depuis la fin de l’école primaire quand, lors de son passage au collège, elle est obligée de voyager seule vers Kwangju. Poussée par un talent naturel, elle se retrouve à noter ses pensées les plus intimes, mais quand ses enseignants les lisent, ils reconnaissent immédiatement qu’il ne s’agit pas de simples notes, mais de vraies poésies. Moon Chung-hee ne se contente pas d’être une simple écrivaine. Elle est le témoin unique de son temps et de l’orageuse histoire que les Coréens vivent et subissent depuis les années 70. Une histoire qu’elle vit en protagoniste et qu’elle assaisonne avec sa rage impétueuse envers l’oppression de l’époque, la censure étouffante, les injustices sociales. Il s’agit d’une rage mise au féminin envers la position soumise de la femme, coincée dans un rôle et des schémas qu’elle ne veut pas et ne peux pas accepter. Dans les années 70 elle participe à un concours pour journalistes et remporte le premier prix; elle s’assure ainsi d’une place de choix au sein du magazine féminin “Vie d’une femme”. Malgré ses réussites, elle est obligée de démissionner après son mariage, à cause de l’omniprésent machisme coréen qui veut la femme reléguée aux bords de la société. Cela devient l’occasion pour elle de réfléchir sur les concepts clés de la société de l’époque: la liberté, la personnalité et la vie. Et c’est enfin la vie le véritable sujet de cette période, la vie des étudiants de Kwangju, qui demandent la fin du régime totalitaire, puis la vie qui prend forme en elle-même: l’arrivé de son premier fils.
“La société coréenne des années 70 était pleine de tabous, étranglée par un machisme qui la contrôlait et l’empêchait de s’exprimer. Mais grâce à mes poèmes j’ai réussi à chanter avec courage la vie de la femme, son monde, son rôle. En 1982, j’ai passé deux ans à étudier à l’université de New York et j’ai pu finalement apprécier, pour la première fois, la liberté, la liberté d’une femme. Mais aussi la liberté de trouver des nouvelles lectures qui ne se limitent pas simplement à la poésie et à la littérature, mais qui permettent d’élargir ses horizons. En même temps, la Corée du Sud devient une énorme puissance économique et connaît en quelques décennies le même développement que l’Europe en 300 ans, avec des conséquences sociales catastrophiques: aliénation des personnes, perte des valeurs traditionnelles et destruction de la nature. Dans ce monde qui s’écroule et qui se remodèle, soudainement, a lieu le développement de l’activité de Moon Chung-hee.
– Croyez vous que le rôle de la poésie a changé depuis vos débuts ?
Avant tout c’est la poésie elle-même qui a changé. Elle ne se limite plus à décrire des paysages, des fleurs, des montagnes ou même l’amour, comme dans la littérature classique, mais à partir des années dans lesquelles j’ai commencé à écrire, la poésie commence à sortir des schémas traditionnels suivis jusqu’au XIXe siècle. La poésie n’étant plus quelque chose d’abstrait, elle aspire à se rapprocher des arguments plus délicats et dangereux. Pour moi spécialement, la poésie est comme un journal en vers, où je raconte mes sensations, mais aussi ma solitude et mes silences.”
– Que pensez-vous du rôle de la poésie, en particulier de la poésie féminine?
Je ne pense pas que le rôle de la poésie ait changé dans ce sens-là, je crois plutôt que les thématiques mais surtout le langage poétique se sont transformés. Le langage de la poésie féminine s’est libéré de toute une série de restrictions qu’il y avait auparavant. La poésie est devenue de plus en plus libre et ouverte, en parallèle avec l’évolution de la position de la femme dans le temps. La langue qui, dans les années ’70, était un peu grossière et puritaine au même temps, est devenue raffinée, recherchée, mais aussi capable d’oser en incorporant des nuances érotiques. Moi-même, avec un langage inusuel et agressif pour l’époque, j’ai trouvé les mots pour pouvoir dénoncer l’oppression et, au même temps, décrire les pulsions de la femme. J’ai été une poétesse… téméraire.
Le soir de moi ne reste qu’un tronc. A mon corps,
mon beau père a coupé net les mains,
ma belle-mère a sorti les yeux,
et ma belle-sœur a arraché les mots.
(“Fantômes”)
– Qui sont ces hommes? Avez-vous changé avec le temps votre façon de voir les
hommes?
Mon approche vers les hommes a changé terriblement. L’homme a été pendant toute ma vie un ennemi, mais en suite tout au long de ce voyage nommé vie, j’ai fini pour le prendre dans mes bras, en prendre soin, ressentir de la pitié pour lui. J’ai essayé d’en comprendre la valeur et les côtés positifs, de comprendre son rôle en tant que père et mari.
– Qu’est-ce que ça représente pour vous d’écrire des poésies?
La poésie ne consiste pas à arriver quelque part, la poésie c’est d’avoir des ailes. Et encore, le poète boit de la solitude et moi, je vis errante comme une exilée, fille d’une diaspora infinie. Dans les dialogues de Confucius on lit que le malheur d’un grand pays fait la fortune d’un poète. Et moi, qui suis née dans un pays avec une histoire tordue et fatigante, j’ai toujours trouvé abondance de matériel pour inspirer ma poésie et ma créativité. Quand j’étais petite je jouais avec les grenades et les cartouches, déposées par la guerre, qui ont laissé tellement de blessures dans mon cœur.
La poésie est ma joie et ma malédiction. Mon humble, mais lumineux chemin.