On connaissait le roman La Chamane, de Kim Dong-ri issu de la nouvelle que nous donnent à lire Les Ateliers du Gué, l’éditeur. La chamane de Kim Dong-ri (1913-1995) livre publié en 1935 est une œuvre majeure inspirée par et écrite sous l’occupation japonaise, occupation qui marque aussi la fin de la dynastie Joseon. Sur fond de conflit entre une mère chamane et un fils chrétien, Kim Dong-ri, un des auteurs les plus prolifiques de Corée, marque en réalité la mutation culturelle que subir le pays, et au-delà, l’Asie toute entière, sous les poussées conjointes de l’occupant japonais, de la christianisation et de l’ouverture à l’occident. Sur fond de dispute et d’autodafé de Bible, la mère et le fils incarnent le drame de l’époque où le chamanisme devient la cible des attaques des évangélistes, comme il sera plus tard la cible de Park Chung-hee, lorsqu’il faudra moderniser la Corée. Le chamanisme a concentré les attaques de ceux qui voulaient changer la culture de la Corée, au moment de l’introduction du christianisme ou encore au moment où la modernisation de la Corée passait, selon le dictateur, par une éradication des croyances rétrogrades. Le chamanisme, religion sans dieux, clé de voûte de la culture coréenne accorde au chamane le pouvoir d’intervenir entre le monde des vivants et le monde des morts, pour assurer la paix, intervenant auprès du ciel pour calmer la colère des divinités et auprès des vivant pour les apaiser. Les chamanes disposaient en Corée d’un statut à part, très inférieur aux autres statuts mais jouissant d’un fort pouvoir symbolique. Il constituait donc une menace contre toutes les formes de modernisme économique et d’obstacle envers l’évangélisation du pays et fut la cible prioritaire des missionnaires. Avec la question lancinante qui surgit : Que pouvait la culture coréenne dans son passage au modernisme ? Rapidement interprétée comme étant l’âme coréenne » elle fut le premier rempart durant les invasions, (barbares, mongols, mandchoues, japonaises) et le principal soutien des coréens. Pendant la dernière occupation japonaise (1910-1945), Kim Dong-ri exalta cette culture au point d’en dénoncer sa menace et son déclin dans la nouvelle La chamane, où le fils devenu chrétien incarne la perte déchirante des valeurs de la famille, et où la mère représente dans sa douleur toutes les douleurs de la Corée sous l’occupation.
Kim Dong-ri, un des auteurs les plus prolifiques, voulut une littérature « pure » et humaniste, en constante réflexion sur les questions religieuses et fut à ce titre considéré comme un écrivain à part, refusant de s’engager idéologiquement, quand bien même cet engagement était à cette époque considérée comme une marque suprême de courage. Il faut lire ou relire cette nouvelle, car elle marque une étape importante dans le basculement de l’Asie.