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Une leçon de bouddhisme du Grand roi Sejong

Le chant de la lune se reflétant dans mille fleuves. Texte du roi Séjong Editions Autres temps.
Le chant de la lune se reflétant dans mille fleuves.
Texte du roi Séjong
Editions Autres temps.

LE CHANT DE LA LUNE SE REFLÉTANT DANS MILLE FLEUVES

Comme l’explique le traducteur André Fabre dans son introduction :

le Chant de la Lune se reflétant dans mille fleuves est une hagiographie de Bouddha où domine le merveilleux, pour ne pas dire le naïf au sens culturel du terme. (10)

Cet ouvrage s’adresse donc tout particulièrement aux passionnés de Bouddhisme ou aux amoureux de la littérature classique.

Il s’agit d’un des tous premiers textes composé avec le hangeul, créé par ce même roi en 1443. En tant que version d’essai, on pardonnera volontiers les quelques faiblesses qui au final font la force de cet ouvrage hors du commun, qui veut pour la première fois raconter le bouddhisme au peuple dans sa langue. Le style est parfois saugrenu, le déroulement des actions douteux, la frontière entre réel et imagination très floue, mais on a bel et bien créé de la littérature avec le nouvel alphabet. Puisque le hangeul est encore utilisé par des millions de coréens aujourd’hui, l’épopée du Chant de la Lune se reflétant dans mille fleuves, tant pour sa rédaction que pour son contenu, est loin d’être un échec.

J’ai l’intention de vous raconter les hauts faits du Bouddha, même si cela concerne des évènements qui se sont déroulés en dehors de notre pays. Veuillez les considérer comme si vous  les aviez sous les yeux. J’ai l’intention de vous rapporter les paroles du Bouddha, même si ce sont des propos d’il y a mille ans. Veuillez les considérer comme si vous les entendiez de vos propres oreilles. (13)

Le texte en soi est un genre totalement nouveau, entre le roman fantastique et la littérature didactique. Sejong retrace la vie de Bouddha, de certains de ses disciples et de ses enseignements. Il faut donc s’attendre à rencontrer des dizaines de noms inconnus du lecteur non bouddhiste. Il est clair que le texte s’adresse à un lectorat déjà familier avec cette religion. Des notes de bas de page aident cependant à y voir plus clair. Le texte se présente sous la forme de petits paragraphes numérotés de 0 à 194, qui suivent l’ordre chronologique, de la naissance du Bouddha à l’éveil.

Si l’on sort du contexte religieux, l’histoire est celle d’un personnage comme un autre qui porte le nom de Bouddha, et à qui il va arriver de nombreuses aventures. Dès le début le message est clair : ici pas de réalisme, rien de plus normal que de croiser dragons et magiciens. Du point de vue de la narration, la naïveté de certains passages fait sourire, comme quand on lit que :

161 Nodacha créa un boeuf. Il avait un grand corps et de grandes pattes. Ses cornes étaient comme des sabres. Un lion rugissant apparut dans un tourbillon de poussière et ne fit qu’une bouchée du bœuf. (61)

Aucune explication, pas un mot de plus, les phrases comme leur contenu sont d’une simplicité enfantine, bien qu’écrites par le roi lui-même ! C’est alors qu’il faut garder en mémoire la visée didactique de l’œuvre, qui pour la première fois s’adresse à tout le peuple, grâce au nouvel alphabet qui ne se limite pas aux érudits et au lettrés sinisants. L’histoire avance mais se répète. Le Bouddha est bon et ses exploits sont grands. Credo qui ne saurait étonner d’ailleurs, puisque le texte a été écrit pour fidéliser le peuple. On y retrouve cette sagesse orientale qui garde un côté mystique en Occident,

119 Un éléphant tirait une charrette richement décorée et le Bouddha, lui, marchait pieds nus. Pourquoi donc ne souffrait-il pas ? C’est parce que la charrette qui est tirée par cinq forces prodigieuses a la voie libre, mais celle qui est tirée par l’éléphant a la voie barrée et ne peut pas avancer. (49) ;

et certains des commandements du Bouddha :

123 Mais quand on se détache de la vie et de la mort, on ne connait plus l’anxiété. Quelle raison aurait-on d’avoir peur ? (50).

Loin d’être une lecture facile, Le Chant de la Lune se reflétant dans mille fleuves n’en est pas moins instructive et intéressante. Comme il faut beaucoup chercher pour trouver la perle rare, il faut faire fonctionner ses méninges pour apprécier ce grand texte, qui dresse un tableau à la coréenne du Bouddhisme de l’époque de Joseon.

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