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Le cœur de la culture de consommation
Entourée par les avenues Euljiro, Chungmuro et Samilro, la zone administrative de Myeongdong couvre 0.99km², pour quelques 4069 résidants en 2012. Néanmoins, le Myeongdong géographique d’aujourd’hui ne veut pas dire grand-chose ; pour les habitants de Séoul tant que pour les visiteurs étrangers, c’est un quartier qui se forme aussi dans les esprits.
Depuis que la culture capitaliste s’est enracinée en Corée, le quartier de Myeongdong s’est fait l’icône de la culture de consommation à la coréenne. Il s’agit de la terre la plus chère à louer dans tout le pays, qui regroupe les centres commerciaux phares proposant les tous derniers produits ; la « rue de l’argent » qui symbolise les banques, les sociétés de sécurité, les sociétés qui investissent à court terme, les prêteurs privés ; le quartier du divertissement qui tente les visiteurs par ses innombrables restaurants, cafés et bars ; là où l’on marche épaule contre épaule au milieu de la foule. Pour reprendre la formule d’Emile Zola qui décrivait le centre commercial comme « la cathédrale du commerce moderne », Myeongdong est le sanctuaire de Séoul.
La zone Boksamyeon de la montagne de Namsan, tombée sous la juridiction de Myeongdong à l’époque de Joseon, était alors appelée Namchon. Elle était peuplée majoritairement par des intellectuels appauvris sans trop d’espoir d’avancée politique et des militaires qu’on regardait de haut en comparaison aux hommes de lettres. Dès l’ouverture du premier port à Myeongdong, le voisinage, laissé à la traine derrière par le passé, commence à changer rapidement.
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Les rues des étrangers
En 1882, les soldats de Séoul lancent des émeutes. Suite à la requête du gouvernement de Joseon, la Chin envoie 3000 hommes et une quarantaine de marchands. Ces derniers ne sont jamais rentrés après le conflit. En 1884 sont construits à Myeongdong le bureau des affaires générales de Qing et l’équivalent de l’époque de la chambre de commerce des marchands Qing, là où trônent aujourd’hui l’ambassade de Chine et la poste centrale. En 1885, les marchands japonais se voient offrir une résidence légale. Ils vivent alors dans le Sud de Myeongdong, aux pieds de Namsan, où se trouvait le Consulat Japonais. Avec la montée du nombre de résidents étrangers à Séoul, le gouvernement de Joseon passe des accords avec les diplomates de chaque pays pour réduire les zones où ils avaient droit à s’installer. Le Myeongdong d’aujourd’hui était la concession chinoise, alors que les Japonais se regroupaient sur l’actuel Chungmuro.
Suite à la victoire japonaise sur les Chinois (1894-1895), la majorité des marchands Qing rentrent en Chine. Les Japonais s’emparent de la concession chinoise sans la permission du gouvernement de Joseon. Avec le début de la guerre russo-japonaise en 1904, les résidents japonais de Séoul deviennent un groupe privilégié. Nombreux sont les soldats, fonctionnaires, marchands, ouvriers et serveuses qui se rendent à Séoul. La plupart s’installe à Myeongdong et dans les environs.
Le quartier reste résidentiel jusqu’au milieu des années 1920. Lorsque le gouvernement général de la Corée est déplacé face au palais de Gyeongbok (là où se trouve l’actuel centre commercial Shinsegae) et que la mairie se retrouve face au palais Deoksu, Myeongdong commence à se changer en quartier commercial. La zone de Namdaemun devient le quartier de la bourse et des entreprises financières comme la Banque du Japon, les banques du Commerce de Joseon et les assurances Teikoku. Au milieu des années 1930, on construit les quatre centres commerciaux majeurs : Mitsukoshi, Hiroda, Minakai et Chojiya. Myeongdong sert de terrain d’accueil pour toutes ces entreprises et centres commerciaux. Des petites sociétés de sécurité et des investisseurs à court terme voient le jour, aux côtés de salons de thé, cafés, motels, restaurants, bars, qui apparaissent partout. Le Myeongdong d’aujourd’hui commence à prendre forme à cette époque. Les jeunes apprennent à prendre goût à la culture occidentale tout en savourant un café au rythme du jazz. Myeongdong sert à la fois de quai de chargement et de salle d’exposition pour la culture occidentale.
Pourtant, après la guerre du Pacifique provoquée par le Japon, les lumières qui illuminent les rues de Myeongdong la nuit s’éteignent. Les biens à la consommation sont alors restreints et le pouvoir d’achat du public chute. Les cafés et les bars sont fermés par le gouvernement sous prétexte d’être des établissements de divertissement pour adultes.
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Des ruines à la romance : le renouveau de Myeongdong
Le 15 août 1945, la Corée est libérée de l’occupation japonaise. Commence alors une migration à grande échelle de la population. Les quelques soixante-quinze millions de citoyens japonais de la péninsule rentrent au Japon. Les Coréens de l’étranger reviennent sur leur terre et s’installent majoritairement à Séoul. Des campagnards décident aussi de partir pour la ville, attirés par les emplois laissés vacants par le départ des Japonais. A partir de 1946, des migrants arrivent aussi du Nord (l’actuelle Corée du Nord). Un an après la libération, 30% de la population de Séoul sont des nouveaux arrivants. Les demandeurs d’emploi des deux sexes affluent en ville. A cette époque, Séoul devient une « ville flottante ».
Malgré les circonstances, certains Coréens parviennent à s’enrichir rapidement. Quelques-uns reprennent les restaurants haut de gamme et les cafés laissés à l’abandon par les Japonais pour gagner de l’argent. Les bars se développent très rapidement, sous l’influence d’artistes ou autres amoureux de la culture. Les rues de Myeongdong revivent et retrouvent leur statut, paradis de la décadence et du plaisir.
Pourtant, quand la guerre de Corée éclate en 1950, le quartier de Myeongdong est dévasté. Pendant le conflit et après, c’est un espace de perdition. Ce n’est que vers les années 1955-56 qu’il commence à renaitre de ses ruines. Les bâtiments de Chungmuro ayant souffert de dégâts encore plus importants, certaines fonctions sont transférées à Myeongdong qui devient le cœur du centre-ville de Séoul.
Après la guerre, Séoul devient une ville de dabang (littéralement « pièce pour le thé » souvent traduit comme « café »). L’espace dabang est utilisé comme salon, agence de placement, parfois même comme bureau, en lieu et place de tous les espaces ravagés par la guerre. Myeongdong, épicentre de la culture du dabang, offre de l’espace à de nombreux cafés de ce genre, où l’on vient discuter littérature, arts. L’un après l’autre, les bars font aussi leur retour aux affaires.
Le nihilisme post-guerre laisse une marque indélébile sur beaucoup de dabang et de bars de Myeongdong. Au printemps 1956, dans un petit bar de Myeongdong, le poète Park In-hwan écrit de façon spontanée des paroles de chanson qui commencent ainsi : « Bien que j’ai oublié son nom ». Le musicien Lee Jin-seop, assis à ses côtés, écrit une mélodie et Im Man-seop chante la chanson. Depuis lors, cette chanson est appelée la « Chanson de Myeongdong » et elle est devenue un véritable symbole dans le voisinage.
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Le centre de la mode
Même après la fin de la guerre, l’armée américaine occupe pendant longtemps l’ancien centre commercial Mitsukoshi (aujourd’hui Shinsegae), où de nombreux produits sont proposés à la vente : alcool, cigarettes, café, mais aussi des publications qui aident à disséminer les dernières modes. Le développement économique éclair des années 1960 augmente la production et la consommation des biens de consommation, tout en élargissant l’espace économique. Depuis 1956, date où le projet de réaménagement territorial est réalisé, et pendant les années 1960, on construit de nombreux bâtiments, dont les hôtels Savoy, Metro, Sejong et Daetyeongak, le bâtiment de l’UneSCo et le centre YMCA.
Ces nouvelles structures transforment le paysage de Myeongdong. Leur apparition, qui coïncide avec la rigidité de l’atmosphère sociale suite au coup d’état militaire du 16 mai 1961, a une grande influence sur le commerce et la culture. Les établissements de divertissement pour adultes ferment sous influence de la répression gouvernementale qui veut « éradiquer les vieux démons sociaux » et « simplifier les modes vie ». Les sociétés de mode et de prêt à porter qui profitent de l’industrie du textile florissante prennent leur place. C’est ainsi que le nouveau centre commercial Jaeil (aujourd’hui M PLaza) est construit en 1967, en lieu et place du parc pour les enfants de Myeongdong. Celui-ci a grandement contribué au changement de fonction et d’atmosphère de Myeongdong. Le lieu de naissance des marques de mode et centres commerciaux est rapidement entouré par les magasins des jeunes créateurs.
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La Mecque de la culture jeune
A partir du milieu des années 1960, Séoul change très rapidement. Les trams disparaissent pour laisser place au métro, les gratte-ciel font leur apparition avec le redéveloppement du centre-ville, des complexes d’appartements sont construits au Sud du fleuve Han, de nombreux ponts viennent relier le Nord et le Sud de la ville, on crée la Société Coréenne de l’Export Industriel, des autoroutes, et la population grandissante dépasse les 5 millions en 1970, 8 millions en 1978.
Le développement de la zone de Gangnam au Sud a radicalement changé Myeongdong : de nombreuses installations culturelles, stations de radio, banques et entreprises sont relocalisées à Gangnam. C’est aussi au Sud du fleuve Han que se développe le quartier résidentiel des classes moyennes et hautes. La valeur locative de Myeongdong reste quand même la plus élevée du pays, bien que les consommateurs des magasins et les travailleurs ne soient plus ni les plus chics ni les plus riches. En résultat, l’image de Myeongdong comme centre de la culture et des arts perd quelque peu de ses couleurs. La jeunesse s’empare de l’espace laissé vacant par les artistes. Sur le modèle du « Mai 68 » parisien qui a remué le continent européen, les jeunes créent leur propre modèle de culture en résistance à l’autorité établie en Corée, avec pour icônes les cheveux longs, les guitares et la marijuana. Myeongdong est alors l’espace où les hippies coréens peuvent s’exprimer.
Dès la fin des années 1960, on met en place des scènes pour accueillir les jeunes chanteurs et leur public, et les dabang et autres bars à bières avec de la musique livre gagnent en popularité. A l’époque, Myeongdong est envahie par les jeunes en jean et la rue principale est connue sous le surnom de « la rue des guitares acoustiques ». Pourtant, avec les nouvelles politiques gouvernementales de 1975 visant à « déraciner la décadence et les plaisirs personnels », la jeune culture florissante est dissipée en un rien de temps. Depuis lors et jusqu’à la fin des années 1980, l’art et la culture disparaissent de Myeongdong.
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La terre sainte des mouvements pro-démocratiques
Après la déclaration du président Park chung-hee sur la constitution du Yushin en 1972, la Corée connait une période noire. Myeongdong est la seule lumière de cette époque, avec la cathédrale de Myeongdong pour centre. En 1973, les prêtres catholiques forment une association nationale des prêtres catholiques pour promouvoir la justice et ils ont ainsi allumé la flamme des mouvements pro-démocratiques. Dans les années 1970, de nombreux évènements en lien avec ces mouvements ont lieu à Myeongdong, comme la convention nationale de 1979 signée au YMCA, appelant à l’abolition de la constitution Yushin.
Avec le mouvement pro-démocratique de 1987, la cathédrale de Myeongdong est le centre de tous les efforts. En février 1988, un service mémorial y est tenu pour Park Jong-cheol, étudiant de l’Université Nationale de Séoul mort sous la torture lors d’un interrogatoire policier. Cet évènement accélère le mouvement. A l’époque, la cathédrale sert de refuge et de base pour les protestataires qui demande la démocratisation du pays. Suite aux concessions du gouvernement le 29 juin, la démocratie coréenne entame un nouveau chapitre de son histoire. La cathédrale de Myeongdong est par la suite considérée comme la terre sainte des mouvements pro-démocratiques, et sert pendant longtemps de base à différents mouvements sociaux comme l’activisme étudiant, le mouvement travailliste et le combat contre la pauvreté.
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Myeongdong, aujourd’hui et demain
Suite au mouvement pro-démocratique de 1987, les salaires réels augmentent rapidement, lançant par la même l’ère de la consommation de masse. L’expansion de l’espace de vie moyen relance l’immobilier, on possède de plus en plus de voitures, les restaurants se développent, des complexes dédiés à la consommation apparaissent. Myeongdong est marqué par ces changements dans son espace et dans sa culture. Les entreprises, anciens symboles du quartier, sont relocalisées ailleurs, comme à Gangnam. Myeongdong perd sa valeur locative et son statut de meilleur quartier de Séoul.
Les changements des modes de vie comme la possession d’une voiture ont contribué au déclin de Myeongdong. Depuis le milieu des années 1990, le quartier s’adresse surtout aux consommateurs non véhiculés comme les jeunes et les touristes étrangers. Les magasins commencent à baisser leurs prix et les boutiques étudiant la rentabilité des nouveaux produits disparaissent dès leur apparition.
Aujourd’hui, Myeongdong est un immense complexe de consommation : il occupe la même fonction que le COEX de Gangnam ou le Lotte Town de Jamsil. Nénamoins, sa structure et son paysage portent en eux une riche histoire. Les encouragements et les cris de la bourse, les dialogues sur les arts et la littérature dans les petits bars et les dabang, les jeunes chanteurs s’essayant dans les bars ont disparu de Myeongdong mais il est possible de retrouver un peu partout des traces de l’histoire : les piliers de pierres des petites rues, l’ambassade de Chine, la cathédrale de Myeongdong et son théâtre, tout comme les anciens restaurants chinois appartiennent depuis longtemps au quartier. L’histoire de Myeongdong, souvenir pour certains ou centre de marchandises pour d’autres, reste une force majeure pour le futur.
Traduction Lucie Angheben
Avec l’aimable autorisation du KLTI