Quel lien entre la naissance de Jumong, père fondateur sorti d’un œuf, les équipes de foot de Manchester et Milan, et les attentats du 11 septembre ?
Dok-su parvient à accomplir l’exploit de lier tous ces éléments les plus divers dans un très long poème, intitulé « Le Postier ». Aussi improbable que cela puisse paraitre, le poète utilise une image qui tombe sous le sens : la sacoche du postier (celui de Van Gogh !). Les lettres qu’on envoie par la poste n’ont-elles pas cette capacité unique de traverser les frontières et de traverser les époques ? Un peu comme les poèmes.
Représentant du courant moderniste, notre auteur n’hésite pas à multiplier les images, anciennes ou plus modernes, pour mettre à jour les horreurs de la guerre, dont il a lui-même été la victime.
Des mains délicates
Qui autrefois tenaient des stylos
Tiennent des carabines M1 et présentent les armes.
Une, deux, une, deux,
Ils sont les sujets
Des commandements de l’histoire. (24)
Le foisonnement d’images issues de toutes les époques et de toutes les cultures, s’il choque au début, se trouve retranscrire à la perfection l’absurdité de la guerre et de l’espèce humaine au sens plus large. Mun Dok-su a participé à la guerre de Corée (1950-1953) mais force est d’admettre que le conflit et ses tristes conséquences ne s’arrêtent pas à la frontière. Le message est universel.
Ainsi se justifient les intrusions les plus diverses de la bêtise humaine. Paru en 2013 aux éditions Sombres Rets, le recueil Le Postier, composé de l’unique poème éponyme, n’est pas facile à lire du fait de son importante intertextualité. Les traducteurs Ko Chang-soo et Antoine Coppola ont réalisé un lourd travail sur les références utilisées par l’auteur puisqu’on ne trouve pas moins de 48 notes explicatives de bas de page ! C’est donc une lecture instructive qui pousse à réfléchir. Sur l’histoire, avec les invasions, les guerres, les catastrophes naturelles ; sur les mythes, avec Jumong, Œdipe, les Evangiles ; mais aussi sur l’homme et l’irrationalité qui est la sienne. Mun Dok-su nous offre un poème intelligent, fortement ancré dans notre réalité de par ses multiples références (qui pour la plupart, ne nous sont pas inconnues), qui montre l’horreur du monde sans détournement, mais toujours avec le recul nécessaire de l’humour.
Vous regardez une télévision comme un ticket
De loterie. Dépliez l’antenne,
Prêtez-moi votre portable,
Je dois parler à Dieu. (64-65)