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Rêveries et Déambulations

Keulmadang n°2 - Rêveries et déambulations Decrescenzo éditeurs
Keulmadang n°2 – Rêveries et Déambulations
Decrescenzo éditeurs

« S’égarer dans une ville comme on s’égare en forêt, cela s’apprend », écrivait Walter Benjamin dans Enfance berlinoise. L’art de s’égarer,  cher à  l’auteur passionné par cette figure de la modernité urbaine qu’est le flâneur, mérite aujourd’hui plus que jamais d’être cultivé. Mais que ce soit à Paris ou à Séoul, briser le rythme monocorde de notre vie quotidienne (métro, boulot, dodo)  et se défaire de l’emprise d’un monde devenu transparent par l’usage des nouvelles technologies, ce n’est pas facile, et il faut le vouloir ! Assurément, le rêveur n’est pas du côté de la norme.

Il s’en trouve tout de même encore qui tentent l’aventure. Car il s’agit d’aventure. Que le flâneur battant le pavé d’un lieu familier, transforme ce qu’il foule en une rêverie agréable, est une chose ; mais le voyageur qui se  « risque »  sur des terres étrangères, lui, doit un peu plus que les autres s’attendre à l’imprévu, à l’accidentel. C’est ainsi que la balade prend parfois les accents d’une déambulation initiatique.

Les auteurs de ce numéro en ont tous fait l’expérience : tous ont vécu le « lointain ». Que ce soit lors d’une promenade littéraire dans le siècle dernier ou en arpentant les rues d’une ville située à l’autre bout du monde, chaque voyageur nous fait la relation unique et enthousiaste de son expérience. Des déambulations singulières prêtes à se convertir en mots ou en images, dont le parcours n’était pas à l’avance balisé, mais qui participent du même besoin d’évasion et de la même envie  d’aller à la rencontre de l’autre.

C’est ainsi que certains des plus poètes de nos écrivains-voyageurs partiront en pèlerinage dans les Pyrénées  sur les pas du Francis Jammes de Clairières dans le ciel. L’écrivain, aujourd’hui un peu oublié dans notre paysage littéraire français, chantre d’une vie simple et peintre amoureux de la nature, se fait ici l’écho, depuis ses montagnes paisibles, de poètes coréens inspirés par le même rythme intime des choses, tels que Kim Jong-sam ou Yun Dong-ju.  D’autres amis promeneurs choisiront de battre le pavé des rues de la ville d’Aix-en-Provence et évoqueront l’amitié de Paul Cézanne et d’Emile Zola à la faveur d’une ascension de la Sainte-Victoire dans « Souvenir de la ville d’Aix-en-Provence » de l’écrivain coréen Jeong Chan.

Il y a aussi les récits d’expériences françaises en Corée, avec les textes « Paysages de la littératie » de Frédéric Barbe et « Retour à Isu » de Eric Bidet. Les deux auteurs habitués à l’exercice des impressions de voyage – on connait Fréderic barbe pour Made in Korea, et Eric Bidet pour ses Pérégrinations coréennes –, nous transportent dans la ville de Séoul, un lieu où le nouvel arrivant, perdu dans le dédale des rues illuminées  de multiples enseignes au néon en hangeul, fait  l’étrange expérience d’être ivre de sa propre ignorance ; mais également le lieu où le promeneur aguerri constate les transformations du paysage urbain.

Enfin, la balade pourra se faire sur un mot, yopki, traduit en français par « bizarre ».  Une exploration linguistique depuis le début du XXe siècle, qui  nous  montre combien le sens de ce mot évolue selon l’époque. Un  « goût pour l’étrange » que l’écrivain Bak Tae-won pressent au début des années 30 dans son premier roman : l’histoire d’un écrivain qui, n’arrivant pas à écrire, décide de débloquer son imagination… en marchant. Là encore, la flânerie vient accoucher d’une expérience créatrice et d’une prise de conscience de la vie. C’est peut-être la chose la plus importante que l’on doit retenir de tous ces récits : chaque voyageur part en définitive à la conquête d’un espace du dedans.

C’est maintenant au lecteur de partir…

 

Au sommaire de ce numéro :

 

LITTÉRATURE

Souvenir de la ville d’Aix-en-Provence, par Jeong Chan
Kim Sung-ok, une écriture fuyante, par Kim Myung-suk

PROMENADE
Retour à Isu, par Éric Bidet

POÉSIE
Clairières dans le ciel de Francis Jammes, par Kil Hai-yon

INTERVIEW
Park Min-gyu, le visage du 21e siècle, par Kim Dong-shik

TEXTE DE CORÉE
Mercredi des cendres, par Han Yu-joo

TRADUCTION
Avatars et chances du Yopki en coréen, par Choe Ae-young

CRITIQUE
Paysages de la littératie, par Frédéric Barbe

LECTURES
À lire ou à relire

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