Si nous connaissons les films coréens, si nous découvrons la littérature coréenne et les manhwas, force est de constater que nous ignorons tout du théâtre coréen. Avec ce livre, Cathy Rapin et Im Hye-gyông -déjà auteurs de plusieurs anthologies du théâtre coréen parus en France- nous permettent d’en apprendre beaucoup plus sur ce genre vivant qui évolue constamment depuis sa création.
L’ouvrage retrace habilement l’histoire du théâtre depuis son introduction en 1910 par les Japonais jusqu’à aujourd’hui grâce à plusieurs études de spécialistes en ce domaine. Au fil de la lecture, on prend alors conscience de l’importance de ce genre, pourtant dénigré, car il reflète lui aussi toute l’évolution de la société dans laquelle il se développe.
Ainsi, chaque décennie aura une empreinte qui lui est propre, créant parfois de nouveaux genres théâtraux (théâtre madanggûk en plein air qui interpelle le public, musicals, …) afin de correspondre aux attentes de son public mais surtout de témoigner de ses états d’âme. On découvre, entre autres, que dans les années 1980, après une série d’événements traumatisants (massacre de manifestants à Kwangju en mai, …) les pièces théâtrales prennent une tournure plus engagée qu’avant : « De nombreuses pièces historiques se font alors l’écho des conflits sociaux et politiques du présent, certaines s’attaquent directement à la réalité et au gouvernement en place. » (p 44).
On remarque aussi les changements des valeurs traditionnelles ou leur remise en cause à travers cet art, notamment à travers des femmes dramaturges qui dénoncent dans leur texte le système patriarcal issu du confucianisme qui les soumet à leur mari.
L’auteur relève également le parallèle entre la nouvelle industrie culturelle qui privilégie des spectacles commerciaux à gros budget plutôt que les petites compagnies théâtrales et les inégalités sociales d’aujourd’hui. On pourrait aussi penser que cette recherche actuelle du spectacle pour le divertissement répond au besoin de la population qui souffre d’une pression sociale trop lourde à supporter.
Le théâtre coréen semble être en constante quête de soi. Les genres théâtraux et les thèmes se sont multipliés, toujours à la recherche d’un théâtre coréen encore plus parfait. Mais qu’est-ce qu’un théâtre parfait ? Faut-il privilégier le texte ou la mise en scène ? C’est ainsi que de nouveaux thèmes se dessinent dans ce livre qui ne fait finalement pas que retracer l’histoire du théâtre, mais propose aussi des réflexions sur sa condition, sur son authenticité, sur le rôle de l’auteur et du metteur en scène, sur son avenir.
On appréciera alors par exemple le retour aux origines du spectacle coréen pour comprendre l’influence qu’il a sur le théâtre actuel. Le retour des traditions dans le théâtre s’oppose d’ailleurs de manière assez complexe à une volonté de modernité (inspirée par le théâtre occidental),et montre un désir de la Corée à créer un théâtre qui lui est propre. Et, en évoquant ce désir, on en vient à se demander vers quel théâtre nous devrions aller, voire si notre conception du théâtre n’est pas un peu trop restrictive et s’il ne faudrait pas y inclure d’autres performances telles que le chant, l’interaction avec le public…
C’est donc un livre incroyablement complet (articles, interviews, extraits de pièces, glossaire, chronologie…) qui nous dévoile toute une partie de la richesse de la culture coréenne qui nous était jusqu’alors peu connue. Les textes se lisent bien , indépendamment ou en complément les uns aux autres. Les auteurs nous donnent envie d’ assister aux représentations qu’ils décrivent.