L’histoire se déroule pendant la période Joseon, sous le règne du Roi « humaniste » Sejong. Jang-Un a perdu sa mère à cause d’une maladie, tandis que son père, ancien tailleur de pierre, s’affaiblit peu après un accident qui le handicape. Il ne reste à Jang-Un que sa sœur aînée, Deok, qui effectue des tâches menues avec lui afin qu’ils puissent vivre. Alors qu’il tentait d’attraper un lièvre pour un villageois, le jeune garçon se perd dans un pavillon de montagne, où des gardes le dénichent. Même s’il l’ignore encore, Jang-Un fait là une rencontre incroyable.
Un vieux noble, à l’attitude digne et coiffé d’un gat¹, l’invite à s’asseoir à côté d’un lettré. Ce grand-père lui propose d’abord un marché : quatre livres de riz contre une gourde pleine d’eau de source, censée guérir ses yeux malades. C’est ainsi que débute le tête-à-tête de Jang-Un avec cet étrange personnage. Au cours de ces entretiens, il apprend à lire et écrire le Hangeul. Or un jour, sa sœur est vendue à de riches nobles afin de payer les dettes de la famille. Elle doit partir. Pendant les jours qui précèdent son départ, Jang-Un commence à lui apprendre le nouvel alphabet pour qu’ils puissent communiquer par des lettres, et se promet de la retrouver. Au même moment, le vieil homme ne vient plus. Jang-Un cesse d’aller dans la montagne. Se retrouvant livré à lui-même, il s’engage auprès d’un maître tailleur de pierre. Petit à petit, il noue des contacts avec les autres apprentis. Il leur apprend à son tour les lettres, les sons et le langage en entier.
L’apothéose du récit et la satisfaction du jeune lecteur se produisent lorsqu’enfin Jang-Un retrouve ce vieil homme. Quelle surprise de voir qu’il s’agit du Roi en personne ! En le nommant Grand-père comme exige la référence coréenne à l’égard des hommes très âgés, l’auteur noue une proximité affective entre le protagoniste et un roi, usuellement hors d’atteinte. C’est aussi un échange entre l’origine du Hangeul, l’Histoire coréenne et le lecteur coréen ainsi que toute personne qui apprend la langue.
Cet homme qui a passé une grande partie de sa vie à réfléchir au moyen d’offrir à son peuple un langage propre, l’affranchissant de l’autorité chinoise, devient ici le « grand-père » d’une civilisation, d’une nouvelle et jeune génération. Ce livre, rédigé dans la langue inventée par Sejong et évoquant un récit qui lui est dédié est un bel hommage aux prouesses du langage. C’est une narration élégante et poétique sur les arts humains : la façon de décrire la sculpture, l’amour des lettres, des sons et le plaisir d’échanger. Car c’est ce qui a permis que le Hangeul soit si aisément diffusé puis assimilé par le peuple : l’échange. C’est la vie dans sa simplicité qui nous est évoquée derrière le pouvoir.
Si Sejong est le père de la langue coréenne, c’est un peu le grand-père des jeunes d’aujourd’hui qui l’apprennent. L’auteur par sa souplesse de langage nous fait aimer ce personnage qu’elle décrit comme un homme malade, fatigué, usé par le pouvoir et les inventions mais prompt à apprendre et à enseigner. C’est pour cela qu’il se réjouit de voir l’une de ces plus belles créations être léguée à la jeune génération qu’incarne Yang-Un. Ce texte sonne comme un remerciement au cadeau hérité de Sejong, et on se balade agréablement dans la lecture. On se laisse entraîner par les phrases aérées qui nous font découvrir l’apprentissage de la vie. L’auteur, appuyée par les informations laissées dans l’ancien texte « Les Annales du Roi Sejong² », nous guide dans l’aventure savante, humaine et semée d’embûches que fut l’invention du Hangeul.
[1] Chapeau masculin traditionnel coréen fait avec des crins de chevaux
[2] Le Sejong Sillok, relate le règne du Roi Sejong de 1418-1450 et fut, contrairement aux précédents, imprimé et non rédigé à la main.
LES LETTRES DU SECRET
DE BAE YOO-SAN
Traduit du coréen par Françoise Nagel et Lim Young-hee,
Flammarion – Chan-ok, 188 pages, 10.90 €