La lenteur comme elle va…
On voyage jusqu’à Séoul en à peine plus de dix heures d’avion. On peut aller encore plus vite : la brièveté d’un clic sur un clavier d’ordinateur, et nous voilà transportés à l’autre bout du monde. Nous n’avons jamais été aussi « proches » les uns des autres et la vitesse toujours grandissante des moyens de transport et des connexions Internet nous rend toujours plus de choses et de lieux immédiatement accessibles. Enivrés de notre modernité, nous avons sans arrêt quelque chose à faire, à voir ou à penser…
Pourtant, dans la pratique, on ne nous voit point contents. Alors que l’accroissement du confort physique et le progrès technologique devraient nous rendre satisfaits, nous aspirons à toujours plus de découvertes. Il est même étonnant de constater que, alors que les livres de développement personnel font florès et que l’on revendique haut notre désir de retour à un mode de vie sain et naturel, nous prenons le plus grand soin à n’être jamais seul avec soi-même mais un soi encombré de multiples expériences. Il paraît à peu près sûr que la vitesse — ou la précipitation — à laquelle nous fonçons sous une avalanche de distractions nous détourne de ce qu’une pause confortable, un mouvement traversé par la lenteur nous amèneraient à repenser : notre rapport au monde.
En 1999 naissait le label Città Slow. Il s’agit là d’un mouvement de décélération propice à envisager un autre mode d’existence, une vie urbaine plus paisible. S’agissant de gastronomie, d’aménagement et de gestion de la ville, la lenteur porte en elle-même le gage de l’authenticité et renvoie à l’adéquation entre les facultés de l’homme et les capacités de la nature (« Éloge des villes lentes en Corée »).
Une proximité retrouvée avec la nature et l’une de ses plus belles expressions : la marche à pied. Tandis qu’il disparaît lentement dans le paysage qu’il traverse, le flâneur a toute latitude de se laisser aller au rêve et de mobiliser tous ses sens. Il découvrira au détour d’un sentier des bonheurs d’ordre gustatif, s’il sait se montrer patient pour apprécier la saveur des fruits qui lentement mûrissent (« La culture assimilée à la nature »). Et, dans le calme que procure l’impression de la beauté sauvage, le temps de sa promenade rencontrera le temps d’un poème (« Lenteur et Poésie »).
Cheminer lentement pour habiter le présent, voilà ce que nous propose Haemin, moine bouddhiste coréen, dans son livre intitulé Ce que l’on voit en s’arrêtant. Stoppons notre course-poursuite (toujours plus vite, toujours plus de quelque chose…). Faisons une pause en savourant ce que la vitesse nous rend inaccessible : l’instant.
Si les arts martiaux sont souvent considérés pour leur utilité en self-defense, nous serons surpris de découvrir que la lenteur est malgré tout une condition de leur apprentissage, tout autant que la philosophie dont ils se réclament (« Le long apprentissage des Arts martiaux »).
Qui oserait penser qu’un rite puisse être exécuté rapidement ? Et tout particulièrement un rite adressé aux ancêtres. Il puiserait alors dans la vitesse sa condition de l’oubli (« Les rites confucéens pour les ancêtres »). Tout comme pour ce chant si propre à la Corée, le pansori, héritier du chamanisme et du confucianisme, qui se jouait autrefois sur les places de marché et que la Corée réhabilite aujourd’hui (« La complainte du chanteur de pansori »). Rites et chants ont parties liées dans leur exécution, dans la façon dont ils se proposent, pour des raisons différentes, à une même aspiration universelle.
KEULMADANG N°3 – ÉLOGE DE LA LENTEUR EN CORÉE
COLLECTIF
Decrescenzo éditeurs, 96 pages, 10 €.